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Quel partage des richesses dans l’entreprise ?

Alors que les profits capitalistes explosent, il faut revaloriser automatiquement les minima de branche et rétablir une échelle mobile des salaires.

Catherine Perret Secrétaire confédérale de la CGT

Les profits capitalistes vont de plus en plus aux dividendes et de moins en moins aux travailleurs. Pour la CGT, les syndicats ne peuvent laisser accaparer les fruits des richesses créées par le travail. La question du partage de la valeur a été utilisée par le patronat pour contourner les exigences d’augmentation du salaire de base. Elle a permis d’individualiser à outrance la rémunération à coups de prime ou d’intéressements différents, accentuant encore les inégalités de reconnaissance du travail. Ainsi, en 2019, 70 % des salariés des grandes entreprises ont reçu de la participation, contre 2,4 % pour ceux et celles des TPE, ou 5,7 % dans les PME.

Cette individualisation nuit gravement aux femmes et fait obstacle à l’égalité salariale et professionnelle. Ainsi l’intéressement bénéficie beaucoup plus aux fonctions managériales, auxquelles elles ont moins accès, se heurtant à un plafond de verre toujours réel.

Le déséquilibre entre la part de la richesse qui revient au travail et celle qui va grossir le capital ne cesse de s’accentuer. Chaque fois que le capital augmente d’un point sa part dans la valeur ajoutée, ce sont 650 euros brut supplémentaires qui sont spoliés aux travailleur·ses chaque année. Cette réalité est amplifiée avec l’inflation actuelle et le blocage des salaires du privé et du public. L’absence d’échelle mobile écrase la grille des salaires intermédiaires à chaque rattrapage du Smic. Cela se traduit par une baisse du revenu net de toutes et de tous.

L’utilisation des primes, de l’intéressement et l’épargne salariale est particulièrement préjudiciable à la protection sociale, fragilisant le financement des retraites, par exemple, puisque non soumises à cotisations sociales. En 2022, ces exonérations s’élèvent à plus de 75 milliards d’euros offerts aux entreprises, alors que Macron veut reculer l’âge de la retraite et baisser les pensions ! La dernière invention du capital s’appelle la prime Macron. Renommée prime du partage de la valeur, elle constitue un véritable hold-up. Elle est aléatoire, discriminatoire et non pérenne. Les salariés d’Orpea, récemment en grève, en savent quelque chose. Le groupe a décidé de supprimer la prime, arguant de la baisse de l’action, incriminant… la sortie du livre les Fossoyeurs dénonçant les dérives d’un système capitaliste gestionnaire d’Ehpad.

L’enjeu est de construire le rapport de forces dans les entreprises afin d’arracher l’ouverture de négociations salariales sans attendre le calendrier patronal et gagner des augmentations générales. C’est le sens de la campagne revendicative que mène la CGT depuis plusieurs mois et qui s’est traduite par des grèves très nombreuses et de belles victoires.

Le Smic doit être porté à 2 000 euros brut et s’appliquer nationalement et à toute les professions. Les minima de branche et sociaux doivent être revalorisés automatiquement. La CGT exige également le rétablissement de l’échelle mobile des salaires, attachée aux qualifications et à la ­reconnaissance de l’expérience ­professionnelle. 

Rééquilibrer le partage de la valeur ajoutée en faveur des salariés, cela passe par le Smic à 1 700 euros net et par une augmentation de 400 euros pour tous.

Murielle Guilbert et Simon Duteil Codélégué·es de l’Union syndicale Solidaires

L’évolution du partage de la valeur ajoutée dans les entreprises a connu un tournant au début des années 1980 : après des décennies de lent rééquilibrage en faveur des travailleuses et des travailleurs, la courbe s’est inversée. L’ère de l’ultralibéralisme s’est concrètement accompagnée d’un renforcement des profits, en particulier des dividendes aux actionnaires. Évidemment, nous parlons des grandes entreprises, car dans le même temps, les plus petites subissent le poids de la transformation de l’économie et de la vassalisation via la sous-traitance en chaîne qui fait retomber la pression et les risques sur les prestataires et dégage les donneurs d’ordres de leur responsabilité sociale.

Tout cela s’est accompagné d’un renforcement d’un discours simpliste, soufflé régulièrement par le CNPF puis le Medef, et repris par une grande partie des médias et des responsables politiques : ce sont les capitalistes qui créent la richesse et prennent des risques, et la théorie du « ruissellement » vient fermer cette boucle. À grand renfort de mythe de l’entrepreneur, d’un côté, et de concurrence mondialisée qui obligerait à délocaliser ou à baisser les salaires, de l’autre, la petite musique est constante : vous avez bien de la chance de travailler, alors fermez-la ! Une seule constante pour le grand patronat au service du capital : conserver et améliorer ses marges et taux de profit. Qu’importe les conséquences sociales ou écologiques. Cela s’accompagne du fameux « faut dégraisser l’État », quand il s’agit de services pour le bien public. Les mêmes se gavent de subventions et autres « allégements » qui alimentent in fine leurs comptes en banque, en France… ou dans les paradis fiscaux.

Pour l’Union syndicale Solidaires, il y a un certain nombre de mesures à prendre rapidement. La première est de mener le Smic à 1 700 euros net, soit un peu plus de 2 150 euros brut. On ne peut pas imaginer vivre avec moins aujourd’hui. C’est une question de dignité. La deuxième est une hausse immédiate des salaires de 400 euros par mois, pour contrebalancer l’inflation et donner une véritable bouffée d’oxygène à des millions de salarié·es. La troisième mesure à prendre est un rattrapage réel du retard du salaire des femmes, encore inférieur de près de 20 % en moyenne à celui des hommes.

Enfin, notre dernière mesure, c’est une limitation à 5, au maximum, des écarts de salaires dans une entreprise. Cela permet de reporter la masse financière dégagée sur les bas salaires, tout en en finissant avec les très hauts revenus, qui, rappelons-le, ont l’empreinte carbone la plus importante.

Il est temps d’en finir avec la socialisation des pertes et la privatisation des profits. De telles mesures nécessitent la construction d’un rapport de forces favorable aux travailleuses et travailleurs, passant par le renforcement des outils syndicaux de lutte et de transformation sociale.