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Qui a inventé la grève?

Temps de lecture: 4 min

Pourquoi envions-nous l'orgasme des cochons? Les gauchers sont-ils davantage intelligents? Quand il pleut, est-ce que les insectes meurent ou résistent? Vous vous êtes sans doute déjà posé ce genre de questions sans queue ni tête au détour d'une balade, sous la douche ou au cours d'une nuit sans sommeil. Chaque semaine, L'Explication répond à vos interrogations, des plus existentielles aux plus farfelues. Une question? Écrivez à [email protected]

La grève. Voilà un mot que l'on entend souvent en ce début d'année dans l'Hexagone. Et ce n'est pas près de s'arrêter: le 31 janvier marquera la deuxième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, après une première réussite. Une journée de grève massive, comme on aime si bien faire en France.

Si faire la grève est ancré dans nos traditions –voire dans nos gènes de Gaulois réfractaires–, nous n'avons rien inventé. Non, la grève n'a rien de français, et ses origines trouvent racine loin de Paris et ses barricades révolutionnaires, et même loin de l'Europe. Il faut plutôt regarder de l'autre côté de la Méditerranée.

Pas d'ail, pas de travail

La première grève connue dans l'histoire de l'humanité remonte à la fin de l'Égypte antique, en 2100 av. J.-C. À l'époque, une foule de serviteurs d'un temple de la ville de Thèbes auraient décidé de cesser de travailler pour mettre la pression sur le gouverneur Psarou. Macron/Psarou, même combat pour faire passer une impopulaire réforme? Rien à voir. Ici, les travailleurs réclamaient plutôt deux galettes de nourriture supplémentaires par jour. C'est donc la faim qui les a poussés à sortir dans la rue, gamelle vide et poing dressé.

Quelques années après, une autre grève frappait la ville de Khéops et Gizeh. Cette fois-ci, ce sont les ouvriers des chantiers de construction des pyramides qui décidèrent de cesser le travail. Et pour cause: les responsables des travaux avaient décidé de retirer l'ail de la nourriture des ouvriers. Oui, les premières grèves de l'humanité étaient donc avant tout un combat culinaire, une histoire de galette et d'ail disparu.

Si Ramsès II puis Ramsès III n'échappèrent pas non plus aux grèves répétées sous leurs règnes, il semblerait que ce procédé ait également gagné quelque peu la Grèce antique. Du moins, c'est ce que raconte Aristophane dans sa comédie Lysistrata, en 411 av. J.-C. Le poète présente une grève atypique: celle de femmes de l'époque qui auraient décidé de faire la grève du sexe pour obliger les hommes d'Athènes et de Sparte à arrêter de s'entretuer.

Il faudra attendre des siècles avant de trouver des traces de la première grève en France. Et comme souvent dans l'Hexagone, ce sont les étudiants qui ont fait bouger les lignes en premier.

«Cessatio»

Tout part d'une vulgaire bagarre dans une taverne parisienne du Quartier latin un jour de l'an 1229. Pour faire cesser la querelle, des sergents royaux emploient la manière forte. Un peu trop forte même, puisqu'ils frappent sans vergogne les étudiants présents, en tuent quelques-uns, et en jettent plus de 300 dans la Seine. Un événement marquant, et les prémices d'une contestation inédite contre l'évêque de Paris et la reine de France.

Le corps universitaire et les étudiants de Paris décident en effet de se lancer dans un boycott sans précédent. Ils cessent les cours et quittent Paris. Certains rejoignent d'autres universités européennes comme Oxford ou Bologne. Cette paralysie de l'université parisienne, résultant d'une décision collective de «grèves», dure deux longues années, avant que le pape Grégoire IX n'intervienne. Il accorde en 1231 le droit de grève à l'université de Paris suivant certaines conditions. Ce droit inédit est alors appelé «cessatio».

De manière générale, les grèves corporatistes –des imprimeurs aux drapiers, en passant par les peintres et les charpentiers– qui éclatent par la suite au Moyen Âge sont bien souvent violemment réprimées. Pourtant, il faudra attendre la Révolution française de 1789 pour que la grève devienne... illégale. La loi Le Chapelier, votée en juillet 1791, vient en effet interdire toute coalition de citoyens. Plus de 150 ans après, en 1946, le droit de grève devient finalement constitutionnel en France.

Des gravats aux pavés

Des ouvriers égyptiens mécontents aux Français dans la rue contre la réforme des retraites, la grève a fait un sacré bout de chemin. Le mot «grève» lui-même n'est pas arrivé là par hasard, et son étymologie a connu un drôle de parcours.

Aujourd'hui, le mot «cessatio» –qui ressemble plus à un sort d'Harry Potter– n'a plus la cote, et on lui préfère largement celui de «grève». Il n'en a pas toujours été ainsi: le mot «grève» vient du latin populaire «grava» qui signifie «gravier», ce sable grossier mêlé de cailloux que l'on trouve dans le lit des rivières et près des plages.

Quel rapport avec la grève? Eh bien, dans le Paris du Moyen Âge, une plage de ce type se trouve juste à côté de l'hôtel de ville. Son port est alors baptisé «port de Grève», et devient le lieu de rendez-vous des ouvriers sans travail qui cherchent à se faire embaucher sur l'un des bateaux de marchandise passant par là.

Quelques années plus tard, au XIXe siècle, la place de Grève se transforme en un point de ralliement des ouvriers qui protestent pour avoir une augmentation de salaire. On dit alors qu'ils se mettent «en grève». Si la place a été rebaptisée «place de l'Hôtel-de-Ville», le mot «grève» a perduré jusqu'à nos jours.