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Qui vit combien d’années à la retraite ? : l’INED a de nouvelles données précises

Des chercheurs ont mesuré l’espérance de vie des catégories socioprofessionnelles à différents âges.

© Valery HACHE / AFP

Espérance de vie

Des chercheurs ont mesuré l’espérance de vie des catégories socioprofessionnelles à différents âges, et particulièrement autour des âges de départ à la retraite, dans une nouvelle étude.

Florian Bonnet est chargé de recherches à l'Institut National d'Etudes Démographiques (INED) depuis octobre 2020. Florian Bonnet est docteur en économie de l'école d'économie de Paris et de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, agrégé d'économie-gestion option finance et contrôle.

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Atlantico : Vous avez publié une étude, "Les ouvriers vivent moins longtemps que les cadres : combien de temps passent-ils à la retraite et en (in)activité ?", quelle était son ambition ? Quels sont ses principaux résultats ?

Florian Bonnet : L'ambition première était de recalculer l’espérance de vie de manière fiable. On avait besoin de remettre un peu de perspective aux chiffres, notamment au regard de la réforme des retraites. Les données précédentes sur ce sujet étaient assez anciennes, donc nous avons voulu voir quels étaient les écarts aujourd'hui. Plus précisément sur la période 2018, c'est-à-dire avant la pandémie.

Dans cette première partie de l'article, nous avons voulu montrer qu'il existe bel et bien un gradient de mortalité, ou du moins d'espérance de vie, selon les catégories socioprofessionnelles. Les ouvriers et les cadres présentent un écart important. Si l'on reprend les chiffres des données, l'écart est d'environ 6 ans chez les hommes et de 3,5 ans chez les femmes. Cela signifie qu'un homme ouvrier de 35 ans aura une espérance de vie d'environ 6 ans de moins qu'un homme cadre. Pour les femmes, la différence est un peu moindre. Ces résultats étaient déjà connus, donc notre premier message dans cet article est de souligner que l'espérance de vie a augmenté et continue d'augmenter, mais les écarts persistent entre les catégories socioprofessionnelles et ne se résorbent pas vraiment avec le temps.

La deuxième ambition de cet article était d'essayer de comprendre les statuts occupés par ces différentes sous-populations, si l'on peut les appeler ainsi. Nous avons voulu voir s'il y avait des différences dans les statuts occupés selon les catégories socioprofessionnelles et les sexes. Nous avons constaté une forte proportion d'inactivité chez les femmes, beaucoup moins chez les hommes, et cela s'explique en grande partie par le temps passé à être au foyer. Cela peut expliquer en partie les différences entre les hommes et les femmes.

Nous avons également analysé la durée en emploi et à la retraite selon les catégories socioprofessionnelles. Il est évident qu'il existe un gradient d'espérance de vie à 35 ans, comme nous l'avons mentionné précédemment. L'écart de 6 ans apparaît clairement dans l'espérance de vie. Cependant, cet écart est beaucoup moins visible dans la durée de vie passée à la retraite, bien qu'il persiste. Les cadres ont une espérance de vie plus élevée, mais passent plus de temps en emploi que les ouvriers. Cependant, cette différence dans la durée de l'emploi ne se traduit pas par une durée de vie supérieure dont ils peuvent profiter. En d'autres termes, même si les cadres passent plus de temps en emploi, ils bénéficient d'une période de retraite plus longue, estimée à environ 2 ans de plus.

Ce sont donc les principaux résultats de cette étude, qui repose sur l'utilisation de chiffres récents et une méthode originale pour quantifier les différents statuts occupés.

Ces différences de gradient en termes d'espérance de vie, comment, comment les expliquons-nous ?

Alors, il faut faire attention dans ces interprétations, car ce n’était pas l’objet de cette étude. Donc, nous pouvons faire des suppositions, des hypothèses de travail ou s’appuyer sur des résultats que l'on retrouve dans la littérature. Mais pour moi, on peut les classer en deux catégories principales. Tout d'abord, il y a celle liée à la difficulté du travail et à l'exposition à des risques qui peuvent être plus importants pour certaines catégories socioprofessionnelles que pour d'autres. Dans ce cas, nous pouvons considérer que l'exposition à des risques professionnels est plus élevée pour la catégorie la plus favorisée que pour la catégorie la plus défavorisée.

Ensuite, il y a des éléments qui sont liés aux comportements de chaque catégorie par rapport aux choix de vie et aux caractéristiques propres de chaque population. Par exemple, les expositions à l'alcool et au tabac peuvent différer selon les catégories socioprofessionnelles. Ainsi, nous pouvons identifier deux axes de travail. Le premier est totalement en lien avec la réforme des retraites et peut s'expliquer par le fait que certaines catégories professionnelles ont un travail plus impactant sur leur santé, ce qui justifie l'existence de mécanismes dérogatoires liés à la pénibilité du travail apparus dans les années 2010 et qui font l'objet de nombreux débats aujourd'hui.

Le deuxième axe concerne des mécanismes qui ne sont pas inhérents à la profession occupée, mais qui sont liés à des comportements à risque différents selon les catégories socioprofessionnelles. Donc, pour résumer ces hypothèses de travail classiques, nous pouvons regrouper les différents éléments selon ces deux catégories.

Qu’il n’y ait « que » un écart de 2 ans en termes de temps passé à la retraite, est-ce que ça veut dire que malgré tout les dispositifs de solidarité compensent partiellement les inégalités ?

Les résultats sont assez parlants ici, si l'on considère une situation classique sans ce dispositif dérogatoire, on aurait pu s'attendre à ce que les 6 années supplémentaires d'espérance de vie pour les hommes cadres, par exemple, se traduisent par 6 années de plus passées à la retraite. Cependant, on constate clairement une différence, et ainsi le gradient diminue pour atteindre 2 ans. 

Maintenant, il y a plusieurs façons d'aborder cette situation. Comme vous le savez, le système de retraite français repose sur deux piliers essentiels : l'âge de départ à la retraite et le nombre d'années de cotisation. Ces deux piliers font que, lorsque l'entrée dans la vie active est plus tardive, le passage à la retraite est également plus tardif, car le nombre d'années de cotisation requis n'est pas atteint au même âge. Ainsi, l'entrée dans la vie active des cadres est généralement plus tardive en raison de la durée plus longue de leurs études, même si les choses ont tendance à évoluer avec le temps. Néanmoins, aujourd'hui encore, l'entrée sur le marché du travail se fait à des âges plus élevés pour les cadres, ce qui signifie qu'ils devront attendre plus longtemps pour bénéficier d'un départ à la retraite sans décote.

Le deuxième aspect est que nous avons effectivement des dispositifs dérogatoires qui font que certaines professions ou individus peuvent prendre leur retraite de manière anticipée sans subir de décote. Ces dispositifs sont liés à la pénibilité du travail, notamment, ou à des maladies professionnelles ou des handicaps, ce qui fait que certains individus peuvent partir à la retraite plus tôt. Ces individus sont plus présents dans certaines professions et donc dans certaines catégories socioprofessionnelles. Cela explique pourquoi nous observons des différences dans le temps passé et l'âge de départ à la retraite, qui diffèrent d'une catégorie socioprofessionnelle à une autre. Ainsi, on peut dire que ces 4 années qui disparaissent par rapport au gradient en termes d'espérance de vie sont liées au fait que notre système de retraite prend en compte ces différences. Bien qu'il reste un écart de 2 ans, il est vrai que ces 2 années ne combleront pas complètement l'écart observé dans les indicateurs.

Comment évolue ce nombre d’années passées à la retraite ?

Cette étude se concentre sur l'année 2018, elle est statique. Mais il serait intéressant de mener des études plus longitudinales qui nous permettraient d'analyser l'évolution de la situation sur l'ensemble des années 2010-2018. Nous travaillons actuellement sur ces questions. Ce que nous pouvons analyser, c'est l'évolution récente de nos graphiques. Nous constatons une augmentation significative de l'espérance de vie, même si le rythme de cette augmentation tend à ralentir ces dernières années. Cette évolution favorable de l'espérance de vie concerne quasiment l'ensemble des catégories professionnelles, ce qui est assez intéressant. Nous aurions pu penser qu'une progression progressive de l'âge de départ à la retraite, passant de 60 à 62 ans, observée depuis le début du millénaire, aurait suffi à annuler les gains constatés sur ces années. Cependant, ce n'est pas le cas. En réalité, nous avons partagé le gâteau, conservant une partie des gains, tandis qu'une autre partie a été réinvestie sur le marché du travail afin que les personnes puissent continuer à travailler plus tardivement. Il convient de noter que ces aspects ne concernent pas les taux d'emploi ou l'employabilité des seniors, qui sont d'autres sujets nécessitant des études distinctes.

Comment se situent les professions intermédiaires dans ce panorama ?

En fait, si nous examinons l'étude, nous pouvons constater que les professions intermédiaires occupent une position relativement intermédiaire. Reprenons les chiffres : en ce qui concerne l'espérance de vie des hommes après 35 ans, nous observons que les ouvriers ont une espérance de vie de 44 ans, tandis que celle des cadres est de 49,7 ans. Les professions intermédiaires se situent entre les deux, avec une espérance de vie de 40,4 ans, ce qui les place dans une position médiane intéressante.

Chez les femmes, nous observons également une position intermédiaire, mais qui penche davantage du côté des cadres que des ouvriers à l'âge de 35 ans. Si nous examinons l'espérance de vie à 62 ans, nous constatons des résultats similaires, avec une tendance plus proche des cadres que des ouvriers, toutes proportions gardées.

La situation en ce qui concerne le statut d'activité est également intéressante. Par exemple, à l'âge de 35 ans, nous observons que les cadres ont une moyenne de 27,4 années en emploi, tandis que pour les ouvriers, cette moyenne est de 20,2 années et pour les professions intermédiaires, elle est de 23,9 années.

En ce qui concerne le temps passé à la retraite, nous constatons que pour les professions intermédiaires, il est légèrement plus élevé que pour les cadres. Les professions intermédiaires passent en moyenne 21,3 années à la retraite, contre 21,1 années pour les cadres. Cette tendance est également observable chez les femmes, où le temps passé à la retraite est plus important pour les professions intermédiaires. 

Il est donc évident que ces résultats doivent être interprétés avec prudence. Nous sommes confrontés à deux facteurs qui s'opposent : l'espérance de vie globale, qui peut varier, et la durée de l'emploi, qui peut également varier. Ces deux aspects justifient le fait que la prise de la retraite peut différer considérablement d'une catégorie à l'autre en termes de durée de l'emploi et de temps passé à la retraite.

Vous observez le temps passé en inactivité ou au chômage. À quel point est-ce que cela va avoir des conséquences sur la qualité de leur retraite?

Il existe un lien quasi mécanique. Il y a des phases d'inactivité ou de chômage qui peuvent donner lieu à une reprise d'annuités mais pas toutes. Il est important d'être aussi clair que possible et de faire la distinction entre les périodes d'inactivité ou de chômage qui peuvent donner lieu à une compensation et le temps passé dans une activité de chômage qui ne permet pas cette compensation. Cette deuxième partie est la plus problématique. En effet, si l'inactivité ou le chômage ne donne pas lieu à une compensation en termes d'annuités, il est logique de penser que ces individus partent plus tard à la retraite, atteignant ainsi l'âge de 67 ans, où ils ne subiront plus de décote.

Cependant, cela signifie passer beaucoup de temps à attendre dans des situations généralement caractérisées par une employabilité très faible sur le marché du travail ou une détérioration de la santé. Par conséquent, si le temps est passé dans des conditions délétères jusqu'à l'âge de la retraite, puis un départ à la retraite peut se faire dans une situation où la santé est altérée, on peut imaginer que la qualité de vie à la retraite soit mauvaise. 

Il convient également de mentionner un autre concept qui n'est pas abordé dans cette étude, à savoir l'espérance de vie sans incapacité, qui donne une idée du temps vécu sans incapacité, c'est-à-dire en bénéficiant d'une vie globalement agréable. C’est quantitativement bien moins que l'espérance de vie globale. On peut donc imaginer que les individus qui partent à 67 ans auront une durée de vie sans incapacité relativement faible, ce qui signifie qu'ils pourront faire face à une qualité de vie réduite dès leur entrée à la retraite ou du moins après quelques années seulement. C’est en tout cas les hypothèses que l’on peut faire.

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