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Réforme des retraites : « A ce rythme, on partira à 75 ans »... En Italie, l’impasse face au vieillissement

De notre envoyé spécial à Turin,

En Italie, la tradition veut qu’on ne s’éternise pas au café. On le boit debout, au comptoir, petit plaisir précieux car fugace. Pourtant, au moment d’aborder la retraite dans le pays, Mattia, Pietro et Giovianni s’assoient et commandent macchiato et lungo. Il est de ces sujets qui ne peuvent se résumer en un espresso. Le début de la vingtaine, des gueules aussi belles que fières et bavardes, des rires forts et l’assurance des jeunes années, le trio fait clairement partie de l’élite de la ville. L'un est en études de droit, un autre en étude d’économie, et le dernier est conseiller d’arrondissement. En d’autres temps, le monde serait à leurs pieds et on leur confierait volontiers l’avenir du pays. Mais voilà, même eux, pourtant nés sous une bonne étoile, ne voient pas comment l’Italie pourrait éviter le mur vers lequel elle fonce.

Depuis 2011, la réforme Fornero a fixé l’âge de départ à la retraite à 67 ans. Un chiffre indexé à l’espérance de vie, ce qui devrait encore l’augmenter pour passer à 69 ans et 9 mois d’ici à 2050. Un pronostic trop optimiste pour Pietro. « Il n’y aura plus de pensions pour notre génération, on va devoir partir à la retraite à 75 ans ». Giovanni, lui, a décidé de profiter de son statut priviligié et compte bien constituer sa propre épargne pour affronter les vieux jours. Sur le sujet, Mattia détourne le regard ou fixe son macchiato sans répondre. Il préfère ne pas y penser et profiter des promesses d'aujourd'hui. Un dans le déni, un pessimiste et un bien décidé à composer sans : voilà ce qu’inspire la problématique des retraites.

Le péril vieux

A Turin peut-être plus que nulle part ailleurs en Italie, on croit pourtant fortement en la fameuse « valeur travail », si chère à notre débat politique français. La ville reste le berceau de Fiat plus que de la Renaissance, un bassin industriel majeur au long passé ouvrier. Et, aujourd’hui encore, on vibre plus face aux chiffres en bourse de Kappa, Ferrero et Iveco que devant le plafond de la Chapelle Sixtine ou des fesses marbrées du David de Michel-Ange. Mais culture de la sueur ou non, le problème reste insoluble. Le pays présente « une fragilité démographique structurelle », selon l’Istat, l’Insee transalpin, dans son dernier rapport annuel. Les personnes de 65 ans et plus représentent 23,2 % de la population - 3 points de plus qu'en France -, et selon le scénario moyen, 35 % en 2050. Parmi les personnes actives, c’est-à-dire âgées de plus de 24 ans, les 65 ans et plus pèsent pour 37 %, un chiffre qui pourrait grimper à 74 % d’ici à trente ans.

Pietro, Mattia et Giovanni ont peur d'être la génération sacrifiée du système de retraite italien
Pietro, Mattia et Giovanni ont peur d'être la génération sacrifiée du système de retraite italien - 20Minutes/JLD

« On va devoir payer pour quatre retraités lorsqu’on sera actif », soupire Pietro. Mais plus que de cotiser pour les peaux ridées, il y a la colère de payer les pots cassés. Comme si l’Italie avait connu des décennies de fêtes déraisonnées et que la jeunesse actuelle arrivait pile au moment de l’inévitable gueule de bois. Il y a encore trente ans, le système permettait aux fonctionnaires de partir après avoir travaillé entre vingt et vingt-cinq ans. Et même seulement quinze ans, six mois et un jour d’ancienneté pour les femmes avec enfants. Le résultat : 400.000 « babys retraités », comme on les appelle au pays, dont 91.000 ont pris leur retraite avant 39 ans. Ces personnes auront reçu à la retraite un montant plus de trois fois supérieur à ce qu’ils ont versé en cotisation, selon l’INPS, l’institut des retraites.

Suicide démographique

S'ajoute le manque de politiques publiques efficaces. Le pays bat chaque année son record du plus faible nombre de naissances. En 2021, le nombre de bambini est passé sous les 400.000, 31 % de moins qu’en 2008, et presque deux fois moins que le nombre de décès (399.431 naissances contre 746.000 morts). Et pour cause, « les conditions sont très dures pour les femmes avec enfants, du coup elles n’ont font plus, et le système italien s’effondre », critique Giovanni. Il a fallu attendre mars 2022 pour voir apparaître la première réelle allocation familiale dans le pays. Trop peu, et surtout trop tard. Le trio le sait : il n’y aura pas de relève suffisante pour soutenir le système.

Nous voilà donc avec un scénario incongru pour un Français : de l’autre côté des Alpes, la gauche reproche à la droite de vouloir baisser l’âge de départ. Entre 2019 et 2021, Matteo Salvini (La Lega) avait installé le quota 100. Comprendre : vous pouvez avoir un départ anticipé une fois que votre âge + votre nombre d’années de cotisation est égal à 100, avec un minimum de 62 ans. Donc 62 ans et 38 années de cotisation, 63 ans et 37 années à cotiser... Puis en 2022, place au quota 102, qui suit la même logique avec deux années de plus et un départ minimum à 64 ans. Et désormais, en 2023, c’est le quota 103, qui (re)permet de partir à 62 ans, mais après 41 années de cotisation. 

Vous ne suivez rien ? Les Italiens non plus, et peu se risquent à estimer leur âge de départ vu le nombre de changements. « On ne peut pas baisser l’âge de la retraite maintenant, plaide Pietro. Sinon, on creuse encore le déficit et c’est nous qui devrons payer. A chaque fois, les gouvernements font des mesures populistes qui ne font qu’empirer les choses pour les générations futures ». 

La réalité du terrain

Diego, 47 ans, a démarré avant ses quinze bougies comme ouvrier. Et espère bien pouvoir bénéficier d'un départ anticipé. « Mais d’ici là, tout peut encore changer et une nouvelle loi apparaître », répond l’ouvrier en se grattant la tête, habitué aux tribulations politiques de son pays. Trente-deux années à l’usine l’ont vacciné contre les discours moralisateurs de la jeunesse, et ses idéaux ont autant pris la poussière et la suie que son tablier : « On ne peut pas travailler indéfiniment », fut-ce pour sauver le pays. « En France, vous avez raison de ne pas vous laisser faire. Résistez et battez-vous ! ».

A l'usine, Diego compte bien sur les différents départs anticipés pour ne pas faire de vieux os au travail
A l'usine, Diego compte bien sur les différents départs anticipés pour ne pas faire de vieux os au travail - JLD/20 Minutes

Encore une grosse décennie à bosser pour Diego, mais aussi à peser le pour et le contre de chaque achat au supermarché. « Ma femme et moi, on travaille, mais le pouvoir d’achat et les salaires sont tellement bas en Italie… » Là encore, le manque d’aides étatiques pour les familles se fait cruellement sentir. Des galères pour finir le mois qui vont forcément se répercuter sur ses vieux jours : « Je ne peux pas épargner pour ma retraite alors que ma pension sera minable. » Difficile de prévoir combien il gagnera, « mais ce sera insuffisant », surtout avec son fils. Diego a décidé de quitter l’Italie une fois qu’il aura définitivement déposé la blouse, pour aller à Madagascar, chez sa belle-famille. « Pas pour l’exotisme ou la température, mais juste pour pouvoir vivre décemment vu les prix là-bas ». 

Des moyens et des grosses lacunes

L’Italie, un pays de vieux qui n’a plus de quoi les faire vivre ? Sur les 16 millions de retraités, près de 32 % perçoivent moins de 1.000 euros par mois. Pourtant, le pays se donne les moyens, puisque les retraites comptent pour 16 % du PIB, plus gros total de l’OCDE - dont la moyenne s’établit à seulement 7,7 %. « Le système des retraites ne va pas s’effondrer, tempère Alessandro Cavallero, économiste à la Banque d’Italie. Il devrait rapidement être à l’équilibre. La loi de 2011 n’avait pas pour but de sauver les retraites, mais les comptes publics. » Nous sommes alors en pleine crise des finances publiques, et la loi est passée avec l’argument d’éviter à l’Italie un sort à la grecque. Une peur qui rode toujours douze ans plus tard : « L’inflation et l’importance de baisser le déficit occupent beaucoup plus les esprits que l’âge de la retraite », d’où une certaine impopularité pour le quota 100. 

Alessandro Cavallero sourit. Contrairement à beaucoup d’Italiens, il a la certitude de la date de son départ. « C’est inscrit chaque jour sur mon ordinateur qui fait les comptes pour moi. » Le 1er août 2046, alors qu’il aura près de 70 ans. Une date certaine qui le rassure. Même si : « C’est difficile d’imaginer mon état, où en sera la Banque d'Italie ou comment se déroulera le travail dans vingt-trois ans. Ce sont de grandes inconnues ». Alors pour se rassurer, il laisse le temps agir. Que sera sera, pour parler dans une autre langue latine.

Alessandro devrait partir à la retraite quelques mois avant ses 70 ans
Alessandro devrait partir à la retraite quelques mois avant ses 70 ans - JLD/20 Minutes

Une insouciance qui rend amère Elena, 43 ans et serveuse :  « Encore un privilège d’homme. » Pour elle, peu d’incertitude sur son avenir : une retraite pourrie, la faute a des années de coupure ou de temps partiel pour gérer les marmots. Dans un pays où l’inégalité envers les femmes est loin d’être un cliché, les pensions perçues par ces dernières représentent 60 % de celles reçues par les hommes, selon l’INPS. « Mais entre la mentalité du pays, le vieillissement de la population, le chômage des jeunes, l’âge de départ sans cesse reculé, pensez bien que le souci de la retraite des femmes n’est pas la priorité. » En Italie, les retraites sont un tel nid de problèmes qu’on ne sait plus par lequel commencer.