France
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

Réforme des retraites. Ils légifèrent, elles s’usent au travail

«Marre de simuler une retraite, je veux en jouir » ; « Premières de corvée, retraites amputées » ; « Cette réforme nuit gravement à la santé des femmes. » Ce mardi 31 janvier, dans le défilé parisien contre le projet de loi sur les retraites, personne n’était dupe : les femmes sont les premières victimes du texte. Et ce n’est pas la tribune dans le JDD de l’ex-secrétaire d’État à l’Égalité qui étouffera les doutes. Pour Marlène Schiappa, la réforme « apporte des réponses utiles » aux femmes précaires et fait « bouger toutes les lignes ». Comme un air de déjà-vu…

En 2019, le premier ministre Édouard Philippe annonçait un projet dont les femmes sortiraient « grandes gagnantes ». La rue s’était soulevée, le mouvement des Rosies était né : un collectif issu d’Attac, relayé par des syndicalistes et des citoyennes, qui détricotait joyeusement l’argumentaire trompeur du gouvernement. « Cette année, nous avons repris les Rosies, remarque Lou Chesné, l’une des cofondatrices du collectif. Au départ, nous voulions dégenrer le mouvement, nous focaliser sur les plus précaires, hommes ou femmes. Mais le gouvernement n’a pas pu s’empêcher de reprendre les femmes comme caution ! »

Les plus utiles mais les plus précaires

Toujours vêtues de bleus de travail, comme Rosie la riveteuse, icône américaine de la Seconde Guerre mondiale devenue symbole féministe, les militantes sont désormais grimées comme des zombies, à l’image de l’avenir que leur promet la contre-réforme. Les paroles de leurs chansons ont aussi été retouchées : « Hé meuf, t’es au courant, tu vas te faire avoir, tes périodes à mi-temps, ce sera pour ta poire, si tu veux des enfants, tu partiras plus tard, car le gouvernement ne raconte que des bobards. » Plus qu’un élément de langage utile au gouvernement, « les femmes » qui travaillent, notamment aux emplois essentiels, sont sorties de leur invisibilité lors du confinement. On applaudissait les infirmières, les caissières… Mais a-t-on compris que ces métiers les plus féminisés, les plus précaires, les plus utiles à la société, donnaient rarement droit à une retraite complète ; que ces professionnelles finissaient usées, cassées, avant même de pouvoir accéder à une quelconque pension ? Mal reconnu, le travail spécifique des femmes use vite et bien trop tôt.

En juin 2022, l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) publiait une « photographie statistique de la sinistralité au travail selon le sexe », de 2001 à 2019. Premier constat : une explosion des accidents chez les femmes, soit une augmentation record de 41,6 %, masquée par la baisse globale des accidents du travail depuis vingt ans. Les secteurs les plus dangereux identifiés sont aussi les plus dévalorisés et mal rémunérés : santé, action sociale, nettoyage, travail temporaire et services, commerce et industrie de l’alimentation. Tous métiers confondus, ce sont les femmes qui sont arrêtées le plus longtemps. Et si les accidents de travail mortels concernent à 90 % des hommes, ceux-ci augmentent depuis 2013 de plus de 35 %, pour les femmes comme pour les hommes. Mais, en 2019, la gravité des accidents était plus élevée chez les femmes.

Un outil permet d’affiner les résultats, en raison d’un moindre taux d’emploi des femmes et de postes à temps partiel plus nombreux : le taux de fréquence, qui indique le nombre d’accidents du travail par rapport au nombre d’heures travaillées. De 2005 à 2018, les taux de fréquence différenciés se sont rapprochés : celui des hommes diminue et celui des femmes augmente. En 2018, pour un million d’heures rémunérées, les hommes ont subi 24 accidents du travail et les femmes 18. En 2016, le taux de fréquence des femmes était même supérieur à celui des hommes chez les ouvriers, professions intermédiaires et cadres. Enfin, si hommes et femmes souffrent autant de maladies professionnelles, le taux de progression de ces dernières est deux fois plus rapide chez les femmes.

Charge émotionnelle, gestes répétitifs...

Les risques auxquels sont exposées les femmes sont « sous-évalués » car « insuffisamment identifiés et reconnus », alerte l’Anact. Or, l’actuel texte de réforme ne compte pas les réduire, notamment dans les secteurs à prédominance féminine, où se concentre fortement l’emploi de celles-ci, notamment les métiers du soin et du lien. Les critères de pénibilité en vigueur n’y changeront rien. « Le port de charges lourdes et les postures pénibles ont été retirés des critères de pénibilité en 2017 et concernaient directement les aides-soignantes et les aides à domicile, analyse l’économiste Rachel Silvera. Il n’y a aucune reconnaissance des gestes répétitifs comme celui des caissières. La charge émotionnelle des infirmières face à la souffrance d’autrui, des personnes en fin de vie, des usagers en colère n’est jamais prise en compte. (...) Les critères de pénibilité renvoient au modèle fordiste de l’industrie lourde. »

Globalement, les femmes touchent un salaire inférieur de 22 % à celui des hommes. Majoritaires dans les métiers essentiels, elles subissent de petits salaires, cotisent un minimum, pour obtenir en fin de carrière des pensions ridicules. Par ailleurs, sans reconnaissance de leur pénibilité, ces métiers d’utilité sociale ne pourront être effectués toute la vie professionnelle. Parmi les retraitées, 37 % ne sont plus en emploi l’année de leur départ en retraite, pour cause de chômage, maladie, invalidité… Allonger l’âge de la retraite ne fera qu’amplifier cette période sans travail, vécue pour beaucoup dans des conditions déjà précaires. Sans parler des carrières hachées et des temps partiels subis provoqués par l’absence de solutions de garde d’enfants, la nécessité de s’occuper d’un parent dépendant, la répartition inégalitaire des tâches domestiques, la discrimination sexiste au travail, les violences… Et l’espérance de vie en bonne santé qui diminue. Une solution toute simple permettrait de gagner quelques milliards et d’apporter la justice sociale plutôt que cette réforme régressive : s’attaquer aux inégalités salariales et à l’équivalence des taux d’emploi des hommes et des femmes. Trop juste ?