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Réforme des retraites : les réserves des économistes

Depuis plusieurs jours, le gouvernement tente de faire de la « pédagogie » autour de sa réforme des retraites pour convaincre les Français de la nécessité de la faire maintenant, d'équilibrer les comptes du système et de sauver le régime par répartition. Les persuader aussi que cette réforme, dont le point central est le recul de l'âge légal de 62 à 64 ans dans le secteur privé, est « juste » comme l'affirme Elisabeth Borne.

Réforme des retraites : étape par étape, comment va se passer le calendrier parlementaire

Reste que la partie est délicate. Chez les économistes, le consensus n'est pas de mise. Beaucoup soulignent les écueils de ce projet : son timing, son efficacité, son équité. Des réticences que l'on retrouve même chez des proches d'Emmanuel Macron, qui ont contribué à son projet présidentiel. Revue de détails.

Le timing

Fallait-il faire la réforme maintenant ? Telle est la question que pose le directeur adjoint du département analyse et prévision de l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), un organisme indépendant de prévisions économiques. Mathieu Plane ne cache pas le risque qu'il y a à faire passer « une réforme des retraites aujourd'hui alors que l'économie a été malmenée ces dernières années par des épisodes de Covid, que l'inflation est forte, qu'il y a des tensions géopolitiques, une incertitude très forte quant à l'avenir ».

Mêmes réserves du côté du président de la prestigieuse Ecole d'Economie de Paris Daniel Cohen. « Oui, il y a besoin d'une réforme pour lutter contre le déficit, mais est-ce que c'est cette réforme ? Une autre réforme était ou est encore souhaitable », nuance-t-il.

Et l'auteur de « Homo numéricus - La civilisation qui vient » (Albin Michel) de pointer un rapport au travail qui évolue à cause de la fatigue liée au Covid et d'une colère sourde. Quant à l'« équité », Daniel Cohen souligne que les retraités s'en sortent mieux, estimant même à la rentrée dernière sur Radio Classique que « la France âgée a pris les commandes de la vie politique ». A l'écouter, le gouvernement aurait dû réfléchir à un autre modèle de réforme.

Le fond du projet

Mais, c'est sûrement la position de Jean Pisani-Ferry qui a le plus surpris. Dans le Monde, cet économiste reconnu, un temps chargé du programme économique d'Emmanuel Macron, a évoqué il y a une semaine les faibles marges de manœuvres financières du gouvernement.

La réforme des retraites « va coûter beaucoup plus cher qu'elle ne rapporte », François Hommeril (CFE-CGC)

« La France est aujourd'hui confrontée à un durcissement marqué de son équation budgétaire », écrit-il. Mais il regrette aussi « le repli des ambitions de l'exécutif. Hier, il voulait changer les règles du jeu, et construire un système universel. Aujourd'hui, il se borne à des mesures d'équilibre à un horizon de moins de dix ans ».

Et cet économiste de pointer, non sans critique : « Au regard de l'équité, comme de l'efficacité, la réforme aurait donc dû donner la priorité à l'augmentation de la durée de cotisation ». Autrement dit, même si reculer l'âge fait entrer plus rapidement de l'argent dans les caisses, le gouvernement aurait, d'après lui, pu s'en tenir à une accélération de la durée de cotisation. Soit la position défendue par des syndicats comme la CFDT.

L'équité

Pour Nathalie Chusseau, économiste à l'université de Lille, et membre du Cercle des économistes, une réforme était nécessaire  « mais il est évident que celle-ci n'est pas juste... Elle va pénaliser les femmes, en neutralisant, en amoindrissant les avantages familiaux pour la naissance des enfants. Elle risque donc à long terme de les inciter à sortir du travail. Car certaines vont faire des arbitrages entre maternité, congés parentaux, et marché du travail... et dans ce cas, l'objectif même de la réforme aura échoué ».

A l'inverse Gilbert Cette, spécialiste du marché du travail et professeur à Neoma Business School connu pour ses positions proches de la Macronie, cette réforme est nécessaire mais prend un tournant trop social, assortie de trop nombreuses compensations, de plus de dispositions que dans tous les autres pays qui ont décalé l'âge. Gilbert Cette juge nécessaire « de mettre en place une clause de revoyure dans quelques années pour analyser les évolutions liées à la réforme ».

Philippe Aghion, très proche également d'Emmanuel Macron, est lui aussi favorable à une clause revoyure à la fin du quinquennat. Ce qui correspondra selon le rythme de la réforme, à un décalage de l'âge à 63 ans.

Une réforme trop sociale ?

Il est vrai que ces derniers jours le débat monte peu à peu sur le volet social ajouté à la réforme pour la faire adopter. Ne vont-elles pas coûter trop cher au regard de ce que la réforme doit rapporter ? Au risque d'amoindrir la portée du projet. Sur les 17 milliards d'euros d'économies que doit rapporter le passage de 62 à 64 ans d'ici 2030, un quart est déjà prévu pour des mesures sociales.

« Si c'est plus, on sera perdants », assure un conseiller du gouvernement... « car en plus du coût politique, cette réforme aurait alors un coût économique non négligeable ». De quoi faire réfléchir les députés alors que le projet de loi est débattu actuellement en commission des Affaires sociales.