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Réforme des retraites : Mettre la jeunesse dans la rue, un double enjeu politique à gauche

Viendront, viendront pas ? La venue des jeunes - qu’ils viennent des lycées, des campus ou des entreprises - dans les cortèges contre la réforme des retraites est un enjeu majeur, vu par plusieurs comme une potentielle « bascule » dans le mouvement. Un enjeu d’influence au sein de la jeunesse, aussi. Ils étaient clairement plus nombreux dans la rue le 31 janvier que le 19, participant ainsi au record du plus grand nombre de manifestants en France depuis plus de trente ans - 1,27 million, d’après la police. Il y a pourtant encore de la marge, croient les organisations étudiantes qui, de la Fage à L’Alternative en passant par l’Unef, appellent à s’opposer à la réforme des retraites.

Les syndicats assurent ne pas lésiner pour faire venir du monde : « On incite à aller dans les AG, on appelle au blocage dès le début de la semaine », décrit Imane Ouelhadj, présidente de l’Unef, troisième syndicat du pays, classé à gauche. « On fait des tractages, du porte à porte dans les cités U… », explique Eléonore Schmidt, porte-parole de L’Alternative, deuxième syndicat du pays, lui très à gauche. Pour l’instant, l’affluence aux assemblées générales n’est pas celle de la précédente réforme, en 2019-2020, mais elle progresse, assurent les syndicalistes interrogés. En tout cas, les étudiants et étudiantes se sentent concernées : « Hier, j’étais en tractage à Tolbiac, et les gens voient très bien de quoi on parle, on n'a même plus besoin d'expliquer en quoi cela touche les jeunes », dit Eléonore Schmidt.

Bataille d’influence

Cette mobilisation de la jeunesse dans les grands mouvements sociaux est auréolée d’une légende plus ou moins fantasmée : elle ferait plier les gouvernements. « C’est un des éléments qui peut faire basculer le mouvement, croit le député LFI de 22 ans Louis Boyard. Imaginez si, en plus de la mobilisation du 31 janvier, la jeunesse s’y mettait vraiment... Le projet serait retiré ! » Même si c’est moins le cas ces dernières années, le tableau de chasse des jeunes est effectivement bien garni : sans remonter à Mai 1968, le projet de loi Devaquet sur la sélection à l’université (1986), le « Smic jeune » (1994), le Contrat première embauche (2006)… Toutes ces réformes sont tombées au champ d’honneur d'une jeunesse en colère.

Réussir à la mobiliser est donc un élément clef du conflit social actuel. Et l’objet d’une bataille d’influence. En privé, plusieurs députés de la France insoumise s’attribuent la  présence de ce public dans les cortèges. Car c’est LFI qui est à l’origine de la marche des jeunes contre la réforme des retraites du 21 janvier. La manifestation était officiellement à l’appel des « organisations de jeunesse », plusieurs syndicats ou section jeune de partis politiques de gauche. Mais c’est bien l’influence de LFI qui « a donné une portée plus importante à la marche, reconnaît Éléonore Schmidt, de L’Alternative. LFI a une force logistique plus importante que les autres. »

Front pas tout à fait uni

D’après la préfecture de police, cette manifestation du 21 janvier n’a réuni que 15.000 personnes entre Bastille et Nation, à Paris. Pas franchement un succès. Mais c’était dix fois plus d’après les organisateurs. Dont Louis Boyard, lyrique : « C’était incroyable, la plus belle manif de ma vie ! Il y avait des visages très jeunes, qui faisaient leur première manif. » Sous-entendu : on leur a mis le pied à l’étrier. L’influence de LFI là-dedans ? « Les organisations de jeunesse nous on dit ''on a besoin de sortir, on veut une date'', nous, on les a entendues ! C’était normal qu’on les soutienne », explique Louis Boyard, aussi responsable de « l’espace » intervention dans la jeunesse de la coordination de LFI.

Si Louis Boyard nie toute intention de ce genre, en privé, chez les insoumis, on admet volontiers que l’initiative avait pour but de « faire bouger les organisations réformistes », professionnelles mais aussi étudiantes. D’ailleurs, ni l’Unef, ni la Fage (premier syndicat du pays, apartisant mais plus au centre gauche), n’ont signé l’appel à manifester du 21 janvier. « Ce n'était pas vraiment le bon calendrier pour les étudiants, qui étaient en pleins partiels, ne n'était pas très efficace pour une grosse mobilisation », tacle gentiment la présidente de l’Unef, Imane Ouelhadj. « S’il y a d’autres initiatives, tant mieux, mais pour nous ce n’est pas aux partis de le faire, c’est aux syndicats », plaide de son côté le porte-parole de la Fage, Félix Sosso, aligné sur l’intersyndicale professionnelle.

Doublé sur sa gauche

Les deux ne se sentent pas le moins du monde concernés par une éventuelle pression de LFI, et renvoient à L’Alternative, syndicat qui, lui, a signé l’appel à manifester du 21 janvier. « Eux sont plus touchés, ils sont beaucoup plus proches des insoumis », glisse Felix Sosso. « Je connais cette réputation, souris Eléonore Schmidt, c’est une attaque qu’on nous fait souvent, c’est rigolo. » Elle jure que L’Alternative n’est pas plus proche des insoumis que des écolos ou des socialistes, mais assume « une différence d’approche ». « L’Unef a toujours eu des liens forts avec les partis de gauche [surtout le Parti socialiste], ils pouvaient influencer un réseau d’élus, mais ça s’est dégradé, ils n’ont plus la même force », tacle la porte-parole de L’Alternative, qui assure avoir « pris le relais ». Par exemple via des amendements au budget rédigés avec les arguments du syndicat… « Auprès de LFI, mais pas seulement », insiste-t-elle.

« Il y a une époque où, quand le président de l’Unef claquait des doigts, toutes les facs du pays étaient bloquées, mais c’est terminé  », explique un député LFI anonyme, qui y voit un levier de mobilisation considérable. Un levier dans la bataille à gauche, aussi : l’Unef a longtemps été la pouponnière des cadres socialistes. Or, comme le PS, l’Unef a perdu de sa superbe. Battu pour la première fois (par la Fage) aux élections étudiantes de 2017, le syndicat s’est aussi – de justesse – fait pour la première fois doubler sur sa gauche par L’Alternative et ses alliés en 2021. En ce début 2023, la France insoumise ne fait pas seulement feu de tout bois contre la réforme des retraites, elle fait aussi un placement sur l’avenir.