France
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Retraite et Russie : la politique en col roulé et en doudoune bleue

Il y aura donc bien une réforme des retraites en France, le scénario en a été entériné en ce mois de septembre dans le cadre d'une magistrale opération de com' qui ne trompe désormais plus personne. Etape 1, lors d'une rencontre avec la « presse présidentielle », le PR (président de la République) organise des fuites laissant entendre sa volonté de passer en force, dès cet automne, via un amendement au « PLFSS » (projet de loi de financement de la Sécurité sociale) dans le cadre d'une mesure d'âge repoussant de 4 mois par an l'âge légal pour atteindre 65 ans en 2031.

Etape 2, sans surprise, les syndicats dénoncent un coup de force et bombent le torse, la CFDT s'offusque, les oppositions tonnent, de LFI au RN, la « majorité » se fracture, entre les centristes mous (François Bayrou boude le congrès de Renaissance, où on lui refuse de prendre la parole) et les va-t-en-guerre soudain discrets (Edouard Philippe pro-réforme devient Philippe le Taiseux), tandis que le Medef temporise.

Le patronat a bien compris qu'il sera dans tous les cas le dindon de la farce, comme dans la pièce de théâtre de Feydeau, puisqu'il lui faudra la « payer » au prix fort par des mesures de pénibilité et une forte pression pour garder plus longtemps au travail les seniors, ce qui n'arrange guère les fédérations les plus exposés, comme le BTP et la métallurgie. En 2000, lors de la réduction du temps de travail, le président de ce que l'on appelait encore le CNPF, le baron Ernest-Antoine Seillière, héritier des Wendel, avait trouvé une belle formule avec son acolyte Denis Kessler : « tout le monde ne chausse pas du 35 (heures) ». Avec la réforme des retraites d'Emmanuel Macron, le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, pourrait faire sienne par analogie cette image : tout le monde ne porte pas du 65 (ans) pour partir à la retraite. Et l'on retrouve, sur cette réforme comme sur la course aux subventions pour atténuer l'impact de la flambée de la facture énergétique, la  vieille fracture entre l'industrie et les services. Cela promet pour la campagne électorale pour la succession à la tête du Medef l'an prochain.

Etape 3 et épilogue (provisoire ?) de la saga, Macron réunit mercredi soir pour un dîner à l'Elysée les ténors de sa majorité en compagnie de sa Première ministre, Elisabeth Borne, affolée à l'idée de servir de fusible à la précipitation présidentielle, en compagnie des ministres concernés, notamment Bruno Le Maire et Gabriel Attal. Eux savent que les finances publiques de la France, dans un piteux état et affaiblies par la hausse des taux, ne s'en sortiront pas si la réforme des retraites ne s'applique pas dès 2023. Macron joue son va-tout, pour piéger la droite. La réforme des retraites se fera donc début 2023, après un semblant de « concertation » destiné à permettre d'acheter une fois de plus la neutralité de la CFDT, en échange d'un scalp sur la pénibilité et de quelques fioritures, comme le raconte Fanny Guinochet. Les apparences sont sauves, puisque la réforme des retraites ne sera adoptée que dans le cadre d'un projet de loi spécifique, au printemps, pour une application dès l'an prochain. A défaut, le PR le fait savoir, si une motion de censure fait tomber le gouvernement, il n'hésitera pas à user du feu constitutionnel, la dissolution. Chiche, lui a répondu Marine Le Pen... Le risque en vaut-il la chandelle ? Quand on voit le résultat des élections récentes en Suède et en Italie, où l'extrême droite l'a emporté, il y a de quoi se le demander. La Tribune ouvre le débat en vous proposant un retour sur 80 ans d'histoire mouvementée des retraites en France.

Pendant ce temps, à l'est de l'Europe, un drame bien plus grave se déroule, avec l'annexion ce vendredi par Vladimir Poutine de 15% de l'Ukraine, suite aux « référendums » arrangés dans les provinces autonomes du Donbass. Le président russe, qui use et abuse de la menace nucléaire pour imposer sa volonté transformant pour toujours le concept même de dissuasion tel qu'il fonctionnait depuis le début de la bombe, a prononcé un discours glaçant affirmant que « l'Occident est en train de s'effondrer ». Placés devant le fait accompli, l'Europe semble impuissante, alors que des sabotages sur les gazoducs Nord Stream 1 et 2 annoncent le pire pour l'hiver. Sur le gaz russe, la France paie ses erreurs du passé, analyse Marc Endeweld qui dénonce l'imprévoyance énergétique dans laquelle nous avons trop longtemps vécu.

 Bruxelles continue de prendre des mesures d'urgence pour atténuer la note, mais finalement, il faut sans doute se résoudre à « la politique du col roulé » à laquelle nous invite le ministre de l'Economie, des finances et de la Souveraineté : passer l'hiver en pull à moins de 19°, c'est moins dangereux et moins cher que de se faire construire un bunker anti-atomique, comme le propose la société Oppidum aux millionnaires. La Suisse, en raffole...

 A défaut de guerre nucléaire, l'atome n'en reste pas moins notre planche de salut. Alors que l'EPR finlandais semble enfin se mettre en route, pour assurer 40% des besoins d'électricité du pays, voisin de la Russie, la France espère pouvoir rallumer progressivement ses vieilles centrales en maintenance, en attendant l'allumage toujours incertain de l'EPR de Flamanville qui aurait dû commencer en même temps que la fermeture de la centrale de Fessenheim, concédé à l'Allemagne pour faire plaisir à Angela Merkel. En 2022, paradoxe des paradoxes, c'est notre voisin d'outre-Rhin qui décide de garder encore en marche ses deux dernières centrales nucléaires pour vendre à la France de l'électricité en échange d'un peu de nos réserves de gaz... Sans commentaires.

Dans ce grand bazar de l'énergie, la mission du nouveau PDG d'EDF semble désespérée. Luc Rémont, choisi par Emmanuel Macron pour remplacer Jean-Bernard Lévy, va connaître son baptême du feu dans un contexte très tendu pour l'énergéticien. Sans même parler de la fin des régimes spéciaux de retraite qui promet de mettre une bonne ambiance sociale dans le secteur public dans les mois à venir, l'ancien dirigeant de Schneider Electric, passé par les cabinets de Mer, de Sarkozy et de Breton n'aura pas à regretter sa formation d'ingénieur de l'armement : pour remettre en marche EDF, il va lui falloir endosser sa tenue de combat. Souhaitons-lui bonne chance : de son succès dépend en bonne partie notre chauffage cet hiver... Et la reprise de la décarbonation de l'économie française, qui connaît un coup d'arrêt sur la route du respect des engagements pris lors de l'accord de Paris en 2015. La crise énergétique actuelle n'est pas une bonne nouvelle pour la planète, même si elle exerce une pression accrue sur les acteurs de la transition que nous sommes tous devenus. Sur la route de la sobriété qui vient, écoutez ce week-end en replay les débats du Transition Forum organisé par La Tribune ce jeudi et ce vendredi à Nice, au cours desquels experts du climat, de l'énergie et du monde économique ont échangé sur les transformations urgentes de nos modes de vie, de consommation et de production.

 Philippe Mabille, directeur de la rédaction

 Twitter @phmabille