France
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Retraites. La France reste un modèle envié

Les cortèges des villes de l’Hexagone ne sont pas remplis que de Français. Ces dernières semaines, on a vu des délégations de syndicats allemands, luxembourgeois, italiens ou espagnols participer aux défilés à Strasbourg, Grenoble, Perpignan… À Lille, les drapeaux rouges des syndicalistes belges étaient de sortie le 31 janvier. Parmi ceux venus d’outre-Quiévrain, Najar Lahouari, président des métallos FGTB du Brabant. « En Belgique, on n’a pas réussi à faire plier le gouvernement. Une réforme est passée qui rehausse de 65 à 66 ans en 2025 et 67 ans en 2030 l’âge légal de départ en retraite. Quand on a vu l’engouement, lors de la mobilisation du 19 janvier, on s’est dit qu’on devait aller à celle du 31 », nous confie le dirigeant syndical de la région de Bruxelles.

Avec son départ en retraite à 62 ans, l’exception française est une invitation à la lutte. Délégué syndical de la Fiom-CGIL dans une usine de Chiaravalle, en Italie, Davide Fiordelmondo explique ainsi qu’ « ici, les ouvriers observent que ce n’est pas la première fois qu’il y a de grandes mobilisations sur les retraites en France. En Italie, les réformes se sont faites dans la concertation avec les syndicats et on a perdu nos droits. Sur certains thèmes, il faut de la conflictualité ». Pour lui, toute réforme des retraites, en Italie comme en France, a une constante : « Elle touche avant tout ceux qui ont les emplois les plus pénibles. »

En Allemagne, des « petits boulots », pour les plus de 70 ans

Raison de plus pour qu’en France, on puisse continuer à partir à 62 ans. Car l’espérance de vie en bonne santé dans l’Union européenne (UE) n’est que de 64 ans, en moyenne. En Belgique, elle n’est que de 63,8  ans. « Ici, où l’âge légal de départ en retraite est de 65 ans, on voit combien la situation est intenable, relate Najar Lahouari . Des énergéticiens doivent monter à des dizaines de mètres du sol. Certains craquent, se mettent en arrêt. Dans la sidérurgie, à la chaîne automobile, il faut bouger. Ce n’est pas toujours possible d’adapter les postes. À la fin, les gens se mettent en arrêt et c’est toujours la collectivité qui paie. »

Notre infographie montre que, si toutes les réformes des retraites étaient menées à bien, il ne resterait plus que cinq pays où les anciens salariés pourraient espérer vivre avec leur pension quelques mois en bonne santé. Seuls les Grecs peuvent prétendre à cette situation pendant trois ans et huit mois, grâce à un âge légal qui restera à 62 ans. Si la réforme Borne est votée, il ne restera aux Français que sept mois en bonne santé. Loin d’être un modèle à copier, le report de l’âge de départ s’est traduit ailleurs par un appauvrissement des retraités. En Allemagne, le relèvement progressif de 65 à 67 ans, adopté en 2012 par le second gouvernement d’Angela Merkel (CDU/FDP), s’applique désormais aux personnes nées en 1964, âgées aujourd’hui de 59 ans. Cette mesure d’allongement s’inscrit dans la suite logique d’une réforme lancée en 2001 par le gouvernement de l’ex-chancelier Gerhard Schröder (SPD/Verts), qui a fragilisé l’édifice de la retraite par répartition. Au nom de la démographie et de la compétitivité des firmes, un plafonnement des cotisations et une baisse du montant des pensions avaient été décidés. Ces mesures avaient été assorties de la possibilité de souscrire une retraite dite Riester par capitalisation largement subventionnée par l’État.

Résultat ? L’irruption de la misère chez les seniors est devenue une question de société. Le taux de remplacement (le montant de la pension comparé au dernier salaire net) s’est effondré de 70 % en 2000 à seulement 48 % aujourd’hui. Soit pour un ouvrier qualifié qui touchait 2 000 euros net, une pension inférieure à… 1 000 euros. Des centaines de milliers de seniors sont aspirés sous le seuil de pauvreté, contraints à des « petits boulots », alors qu’ils ont plus de 70 ans. Ce constat conduit le président du syndicat VerDi des services, Frank Werneke, à dénoncer cette logique de paupérisation des plus âgés et à exprimer toute sa solidarité « au mouvement des syndicats français ». Il relève qu’une autre approche constitue « un enjeu de ­société pour l’Europe et, en particulier, pour l’Allemagne ». En Suède aussi, l’âge pivot pour une retraite pleine a été rehaussé à 65 ans, mais une partie des salariés s’arrêtent avant. Résultat : une baisse de pouvoir d’achat qui touche, selon une étude de l’Autorité des pensions, 92 % des femmes et 72 % des hommes.

La Commission a recommandé à 15 des 27 États de l’UE de changer leur système de pension

Si la mobilisation des Français trouve un écho au-delà des frontières, c’est qu’elle pose la bonne question : où trouver l’argent ? Dans l’Hexagone, les syndicats et la gauche ont recensé les revenus financiers, les aides et exonérations de cotisations pour les entreprises. « On nous dit que les retraites sont impayables, que l’espérance de vie a augmenté grâce à la médecine. Nous répondons que c’est une question d’argent. Il n’y en a jamais eu autant qu’aujourd’hui », confirme le syndicaliste belge Najar Lahouari, qui pointe notamment « l’évasion fiscale ». « D’ailleurs, il y a des gens de chez vous qui viennent chez nous, souligne-t-il. En Belgique, payer des pensions dignes à partir de 65 ans coûterait 7 milliards d’euros. Or, la fraude fiscale, c’est 30 milliards d’euros par an. » Partout, faire contribuer les revenus du capital et les patrimoines des plus riches est un enjeu pour éviter la paupérisation. Dans l’UE, 16,5 % des plus de 65 ans sont menacés de pauvreté, contre 10,9 % en France. Durcir les conditions pour ouvrir droit à la pension risque de voir les Français rejoindre la moyenne européenne.

« C’est un combat européen. L’UE devient de plus en plus ­libérale. Depuis une quinzaine d’années, elle veut reprendre les conquis sociaux », prévient Najar Lahouari. Chez les dirigeants européens, l’heure est à l’obsession pour l’équilibre des comptes publics. Depuis 2019, la Commission a recommandé à 15 des 27 États de l’UE de changer leur système de pension. Dans le cadre du semestre européen et du plan de relance, Bercy s’est engagé auprès de Bruxelles à procéder à une réforme. Un coup d’arrêt à celle-ci, à Paris, montrerait qu’il est possible de refuser le diktat des 3 % de déficit inscrit dans les traités européens, mais aussi qu’il est possible de prendre l’argent là où il est.