France
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

Retraites : « La réforme questionne le rapport au travail »

Votre livre « Réformer les retraites » propose une analyse historique et comparative des réformes des retraites. Celle-ci s’inscrit-elle dans une tendance générale ?

Ce qui se dégage clairement en Europe, c’est que l’État renonce progressivement à garantir le maintien du niveau de vie des retraités par rapport à ce qu’ils avaient pendant leur période active. En revanche, il lutte contre la pauvreté en garantissant des minima de pension, le minimum vieillesse en France. Un autre pilier de nos systèmes est l’idée de contributivité : quand vous cotisez, vous touchez une pension qui se rapproche de votre revenu d’avant. Enfin, une dernière tendance historique est de favoriser, par des exonérations fiscales, l’épargne placée dans des fonds de pension pour ceux qui le souhaitent et le peuvent. Cela a commencé en Angleterre, puis en Suède et en Allemagne. La France y est venue après avec les plans d’épargne retraite.

Tout sur la réforme des retraites

Le projet va-t-il creuser davantage les inégalités, comme l’en accusent ses détracteurs ?

La première inégalité est celle entre générations puisque tout le monde ne va pas bénéficier de la même promesse du système de retraite. Deuxième inégalité qui pénalise beaucoup les femmes : celle entre les carrières complètes et incomplètes. La troisième inégalité est entre les plus riches, ou ceux qui ont la chance de travailler dans une entreprise qui cofinance une retraite par capitalisation, et les autres. Mais les réformes précédentes (entre 1993 et 2013) avaient déjà en elles cette idée qu’on ne garantira plus le maintien du niveau de vie des retraités par rapport à leur période active.

La question que l’on n’arrive pas à se poser est : pourquoi les Français ne veulent pas travailler plus longtemps ?

Quelle est la singularité du projet actuel ?

L’objectif est de faire des économies très vite et la meilleure façon d’en faire est de ne pas verser les retraites qu’il était prévu de verser. C’est la méthode la plus rapide : allonger la durée de cotisation prend plus de temps, augmenter les cotisations sociales est un tabou de notre politique économique.

Mais si cette réforme soulève autant de protestations, c’est parce qu’elle crée une tension très forte sur le rapport au travail. Elle ne touche quasiment pas au niveau des retraites, mais s’attaque au moment où on prend sa retraite. La question que l’on n’arrive pas à se poser est : pourquoi les Français ne veulent pas travailler plus longtemps ? La réponse facile est de dire que ce sont des fainéants ! Mais il faut regarder cela de façon beaucoup plus fine : on constate d’abord que le taux d’emploi des 55-65 ans est de 56 %. Cela fait 44 % qui ne sont, selon la terminologie de l’UE, ni en emploi ni en retraite” avec, pour perspective dramatique, un allongement de ce que les chercheurs appellent le “sas de précarité” jusqu’à la retraite : ils ne vont pas retrouver d’emploi, leur droit au chômage va s’arrêter, leurs revenus vont baisser et leurs droits à la retraite vont diminuer. De l’autre côté, ceux qui sont encore en emploi vivent une dégradation de leurs conditions de travail sous l’effet d’une hyperproductivité. On garde moins de salariés et on pressurise ceux qui restent. Résultat : personne n’est content.

« Réformer les retraites » de Bruno Palier, aux Presses de Sciences Po, 14 €.