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RN : les succès historiques du Rassemblement National en 2022

Luc Rouban publie « La vraie victoire du RN » aux éditions Les Presses de Sciences Po.

© Bertrand GUAY / AFP

Bonnes feuilles

Luc Rouban publie « La vraie victoire du RN » aux éditions Les Presses de Sciences Po. Le vrai gagnant des élections de 2022 est le Rassemblement national. L'offre politique de Marine Le Pen, en associant l'autorité et la question sociale, semble répondre aux attentes d'une grande partie d'un électorat qui s'est droitisé et cherche toujours la sécurité, mais aussi la promotion économique ou l'équité dans le traitement des citoyens. Extrait 1/2.

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

Il est l'auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), "Quel avenir pour les maires ?" à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. 

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Les élections législatives ont vu se développer un curieux phénomène de « méthode Coué » au sein de la NUPES. L’argument développé par Jean-Luc Mélenchon, qui avait, il est vrai, raté de peu la qualification pour le second tour de l’élection présidentielle pour la seconde fois depuis 2017, consistait à dire que l’élection présidentielle n’avait pas beaucoup de signification politique, étant donné le fort taux d’abstention indiquant, selon lui, que les électeurs avaient refusé le choix forcé entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Les interventions médiatiques de représentants de LFI sont allées clairement dans le sens d’une possible reconquête du pouvoir par le « groupe populaire » lors des législatives. Dès le lendemain du second tour de l’élection présidentielle, Mathilde Panot, présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, déclara : « Oui, les choses peuvent se régler lors de ce troisième tour des législatives où nous pouvons encore avoir un Premier ministre qui serait Jean-Luc Mélenchon. » L’idée s’est donc diffusée qu’une majorité d’électeurs était de gauche et que l’opposition au macronisme allait se structurer autour de LFI ou de la NUPES, ce qui n’a pas été le cas. La thèse de la gauchisation de la société française a pu également se développer à partir de travaux universitaires qui mettent en avant la faiblesse du militantisme, dont le déclin est avéré, et l’incapacité des partis de gauche à convaincre les électeurs que leur demande d’égalité et de services publics ne pouvait être que de gauche. Mais 2022 n’est pas une réplique de 1981, et si Emmanuel Macron peut être rapproché de Valéry Giscard d’Estaing, Jean-Luc Mélenchon ne peut l’être de François Mitterrand. Les dynamiques électorales ont bien changé depuis l’époque où l’on pouvait résumer la situation née des législatives de 1978 en disant : « France de gauche, vote à droite . » On l’a vu, c’est une erreur de ne déceler dans le vote RN qu’un vote raciste et xénophobe, comme on le faisait du temps du FN, alors que le succès du parti, même relatif, de 2022 révèle précisément qu’il a été capable d’attirer des électeurs nouveaux fort mécontents de leur situation sociale. L’analyse montre au contraire que les idées de droite, et tout particulièrement en matière d’immigration ou de sécurité, ont gagné beaucoup de terrain en quelques années, ce qui n’est nullement contradictoire avec des représentations beaucoup plus tolérantes de l’homosexualité ou des nouvelles méthodes de procréation. C’est bien cette dynamique générale de droitisation qui porte le RN et qu’il faut comprendre.

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La question de la droitisation ou de la gauchisation des électeurs est toujours une affaire complexe à démêler car ce positionnement politique peut s’opérer de deux manières qui sont toutes deux nécessaires pour comprendre l’évolution de la vie politique. On peut, tout d’abord, partir de l’autopositionnement des enquêtés sur une échelle gauche-droite qui va de 0 à 10, mais la question demeure de savoir comment interpréter ce que veulent dire les enquêtés qui se positionnent à 5 ou entre 4 et 6 : expriment-ils une incertitude, un centrisme avéré ou une volonté de montrer qu’ils n’appartiennent à aucun univers idéologique particulier ? La seconde méthode est de leur demander s’ils se considèrent comme « très à gauche », « à gauche », etc. Dans ce cas, la réponse est sans doute plus précise mais elle n’indique pas ce que chacun met derrière les termes de « gauche » ou de « droite ». Il faut donc compléter cette première étude par des questions relatives à leurs univers de valeurs.

Si l’on examine l’autopositionnement explicite des enquêtés de 2009 à 2021, on voit se produire deux phénomènes. Le premier, c’est effectivement une dynamique de droitisation relative, la proportion de ceux se considérant comme « à droite » ou « très à droite » passant de 25 % à 29 %, alors que la proportion de ceux qui se considèrent comme « à gauche » ou « très à gauche » passe de 28 % à 22 %. Le second phénomène, à partir de 2016, c’est l’explosion de la part de ceux qui ne savent pas se positionner, se disent ni de gauche ni de droite ou, dans une moindre mesure, « et de gauche et de droite ». Entre 2015 et 2016, cette proportion passe ainsi de 29 % à 39 % pour rester ensuite à ce niveau, même si elle baisse en 2021 à 36 %. Au vu de ces résultats, la droitisation moyenne semble peu marquée mais on ne mesure ici qu’une droite explicite, qui s’affirme comme telle. Une autre lecture de ces chiffres pousse à penser que l’on se trouve face à une droitisation implicite qui s’exprime à la fois par une « dégauchisation » des électeurs – ils ne se positionnent plus à gauche – mais aussi par le choix d’un retrait idéologique. Se dire ni de droite ni de gauche est rarement le fait de militants, de sympathisants ou d’électeurs de gauche. Pour le dire autrement, la revendication d’être à gauche concerne un nombre de plus en plus réduit d’électeurs. Or, c’est bien dans cette affirmation que se situe l’acte politique du choix de gauche, qui n’est ni honteux ni caché comme a pu l’être pendant longtemps le vote pour le FN ou même celui pour la droite parlementaire. Afficher une appartenance à la gauche exprime historiquement une volonté de sortir du moule de la société bourgeoise et consensuelle, implique la recherche d’une rupture avec l’ordre établi et le capitalisme. Le simple fait de se positionner « ailleurs » n’est du reste pas du goût des militants de gauche authentiques qui, à l’instar de ceux de LFI, s’inscrivent au contraire dans une tradition forte de contestation, comme l’atteste en juillet 2022 l’épisode des cravates et des tenues que l’on est censé porter à l’Assemblée nationale. Le fait de rompre avec l’hexis corporelle du représentant politique ordinaire vient exprimer cette recherche de la différence qui se montre et se démontre.

Si on peut donc réfuter le terme de « droitisation », au sens où celle-ci entraînerait une adhésion complète à l’ensemble des conceptions de la droite en matière économique ou culturelle – pour autant que l’on puisse les identifier clairement aujourd’hui car les droites se sont diversifiées –, on peut néanmoins le retenir au sens où il se traduit par une mise à distance de la gauche. Et celle-ci n’est pas seulement le fait des professions les plus modestes, ouvriers ou employés, qui forment désormais l’électorat fidèle du RN, elle concerne tout autant, si ce n’est plus, les cadres et professions supérieures. Si l’on suit le détail de l’évolution, on voit que cette rupture intervient très clairement pendant le quinquennat de François Hollande, puisque la proportion de cadres se réclamant de la gauche en 2016 n’est plus que de 23 %, soit la même qu’en 2021, alors que la part des cadres se disant de droite passe, dans le même temps, de 28 % à 34 %.

La faiblesse de la gauche n’est pas seulement numérique. Elle est également née de la désertion d’une partie des élites qui avaient fait ses beaux jours dans les années 1980, sans doute moins celles du secteur privé que des fonctionnaires lesquels, aujourd’hui, du moins pour ceux qui se situent au sommet, s’investissent moins dans les activités intellectuelles et la politique que dans le pantouflage vers le secteur privé, qu’il s’agisse de finances ou de cabinets de conseil. On tient sans doute ici l’explication de la décomposition de la vie politique française qui a besoin d’élites pour offrir à tous des perspectives réalistes sans tomber dans l’utopie sans budget ni dans le budget sans idées.

À regarder de plus près ce que recouvre le fait pour les électeurs de penser qu’ils sont à gauche ou à droite, on voit que ceux de droite sont de plus en plus de droite en matière économique mais plus tolérants dans le domaine culturel, alors que ceux de gauche, y compris de la gauche radicale, partagent des valeurs de droite qu’ils auraient violemment rejetées il y a quinze ans, que ce soit dans le domaine économique ou dans le domaine culturel. Pour le démontrer, il suffit de comparer à dix ans de distance, entre 2012 et 2022, les réponses que donnent les enquêtés à des questions économiques ou culturelles précises, en rapportant ces réponses à leur positionnement politique. Sur le terrain économique, on a choisi de prendre en considération le niveau de confiance que les enquêtés placent dans les grandes entreprises privées ainsi que leurs réponses sur le point de savoir s’il faut, pour lutter contre la crise économique, que l’État fasse davantage confiance et donne plus de liberté aux entreprises ou, au contraire, les contrôle plus étroitement. Sur le terrain culturel, on a retenu pour l’analyse une question sur la nécessité ou non de rétablir la peine de mort ainsi que la position des enquêtés face à la proposition selon laquelle il y aurait trop d’immigrés en France.

Le tableau 3 confirme bien un phénomène général de droitisation sur le terrain économique comme sur le terrain pénal. En matière économique, on peut même être surpris du degré de confiance que les grandes entreprises privées obtiennent auprès des enquêtés « très à gauche » et « à gauche », alors même que leur politique de distribution de dividendes ou leur mépris pour l’environnement sont régulièrement dénoncés par les partis de gauche. En matière d’immigration, un enquêté sur deux de gauche considère en 2022 qu’il y a trop d’immigrés en France, et le rétablissement de la peine de mort a gagné du terrain partout, de la gauche radicale au centre, alors qu’il régresse sensiblement chez les enquêtés « très à droite ». Globalement, des différences séparent toujours bien la gauche de la droite mais les écarts se sont considérablement réduits. Paradoxalement, c’est surtout du côté de ceux qui se disent « très à droite » que l’on observe un mouvement de tolérance culturelle qui les rapproche sensiblement des enquêtés qui se disent seulement de droite, ce qui fournit ici encore un indice de rapprochement des droites.

On peut alors rétorquer, face à ces résultats, que les électeurs du RN peuvent très bien se considérer comme étant de gauche, voire très à gauche, et que la distribution des valeurs selon une grille de référence contestée par les enquêtés eux-mêmes, qui considèrent en majorité que la droite et la gauche ne veulent plus rien dire, n’a pas une grande signification. Il faut répondre à cet argument qui entretient la confusion. Si l’on se penche sur la proximité partisane, on voit tout d’abord qu’en 2022, les enquêtés proches du RN ne s’estiment que rarement à gauche puisque 2,5 % se situent à gauche ou très à gauche, 62 % à droite ou très à droite et 25 % ni à gauche ni à droite. Quant aux électeurs du RN, qui peuvent effectivement avoir diverses origines politiques, ils se caractérisent à 15 % au premier tour comme étant très à gauche ou à gauche, alors que 37 % se positionnent très à droite ou à droite et 35 % comme étant ni de gauche ni de droite. Rien ne permet donc de penser que le brouillage des cartes politiques est tel qu’aucune lecture n’est fiable. En tout été de cause, la politique du « ni-ni » comme celle du « et-et » n’est certainement pas de gauche.

Extrait du livre de Luc Rouban, « La vraie victoire du RN », publié aux éditions Les Presses de Sciences Po

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