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Sainte-Soline : « La Ligue des droits de l’homme a constaté “un usage immodéré et indiscriminé de la force avec un objectif clair : empêcher l’accès à la bassine, quel qu’en soit le coût humain ”»

Samedi 25 mars, lors de la manifestation contre la mégabassine de Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres.

Tchat en cours

Samedi, forces de l’ordre et militants radicaux se sont affrontés lors d’une manifestation contre un projet de retenue d’eau contesté. Nos journalistes Rémi Barroux et Frédéric Zabalza étaient sur place. Ils répondent à vos questions.

Julien Le Guet, porte-parole de Bassines non merci, co-organisateur des manifestations à Sainte-Soline, a été placé en garde à vue et laissé libre sous contrôle judiciaire, notamment pour sa participation à la mobilisation des 29 et 30 octobre 2022. Mais non pas en tant qu’organisateur. Le parquet de Niort n’a pas encore indiqué les suites judiciaires qui seraient données à la manifestation interdite du 25 mars.

Frédéric Zabalza (La Rochelle, correspondant)

Difficile de répondre avec certitude à cette question. Mais il semble plus que probable que l’exaspération, voire la colère exprimée dans la rue depuis plusieurs semaines sur la question de la réforme des retraites et le passage par le 49.3 pour la valider, a fortement radicalisé la contestation sociale. Doublée d’un sentiment d’urgence climatique, face à laquelle le gouvernement est accusé, par les écologistes et les associations environnementales, de ne pas faire assez. La réponse à ces impatiences, à ces exigences étant vécue comme autoritaire, voire policière, cela ne peut que radicaliser cette « colère populaire générale » que vous évoquez. Lors du conflit des « gilets jaunes », il y avait déjà cette équation délicate entre l’expression d’une colère sociale, d’un fort sentiment d’injustice, et une réponse gouvernementale fondée sur un rappel à l’ordre et la mise en accusation d’une « minorité violente et radicale ».

Rémi Barroux

C’est effectivement le cas du « lac » de Caussade (20 hectares), en Lot-et-Garonne, construit sur un terrain de la chambre d’agriculture malgré l’interdiction de la préfecture. Elle est aujourd’hui en fonctionnement.

Frédéric Zabalza (La Rochelle, correspondant)

La consigne était claire pour les forces de l’ordre : empêcher toute intrusion sur la bassine, qui avait déjà été « visitée » lors de manifestations précédentes. Elles ont, pour ce faire, usé massivement de grenades lacrymogènes et de désencerclement, ainsi que de tirs de LBD (lanceurs de balles de défense). La Ligue des droits de l’homme, qui avait expédié sur place ses « observateurs des libertés publiques et des pratiques policières », a expliqué à l’issue de la manifestation avoir « constaté un usage immodéré et indiscriminé de la force (…) avec un objectif clair : empêcher l’accès à la bassine, quel qu’en soit le coût humain ».

La question peut se poser : quel est le coût le plus élevé, entre le rebâchage d’une bassine, le remplacement de pompes, etc., certes opérés dans le cadre d’une manifestation illégale, et celui d’un maintien de l’ordre, mobilisant des milliers de personnels et des moyens matériels importants, avec le risque de drames humains – un manifestant reste entre la vie et la mort, à ce jour, avec deux cents manifestants blessés et une quarantaine de gendarmes aussi ? Pour le gouvernement, la réponse semble évidente : il argue de la nécessité de faire appliquer la loi, la manifestation étant en effet interdite.

Rémi Barroux

Voilà ce que nous savons pour l’heure :

Le pronostic vital de cet homme de 30 ans, dans le coma après un traumatisme crânien, restait engagé dimanche, selon le parquet de Niort. Une enquête spécifique a été ouverte sur les circonstances dans lesquelles trois manifestants ont été grièvement blessés. D’autres enquêtes ont été ouvertes, notamment pour « organisation de manifestation interdite » et « violences sur militaires ».

Clémence Apetogbor

Le comptage de 6 000 manifestants par les autorités s’est fait dans la matinée de samedi. Les organisateurs ont annoncé, eux, 25 000 en début d’après-midi puis ont estimé à 30 000 le nombre de participants. La séparation en trois cortèges, chacun de plusieurs milliers de manifestants, n’a pas rendu facile le décompte. Mais on peut assurer qu’ils étaient plutôt proches de 15 000, voire 20 000, au vu des files de plusieurs kilomètres de personnes marchant dans les champs. Au vu aussi des centaines de voitures, probablement plus, qui ont tenté de se garer près du camp de base à Vaussais. Pour le nombre de blessés, très (trop) nombreux, il est évident que la très grande majorité d’entre eux ne se sont pas signalés aux autorités. Beaucoup ont été pris en charge par les « médics », infirmiers et médecins présents avec du matériel, dans la manifestation. A 15 heures, samedi, l’annonce a été faite aux manifestants qu’ « ils n’avaient plus de matériel pour soigner les blessés ». Preuve de l’intensité des heurts.

Rémi Barroux

La Vendée a été l’un des premiers départements à construire des réserves de substitution, encouragées par les pouvoirs publics, notamment après la sécheresse de 1976. Souvent citées en exemple par les irrigants et les élus des Deux-Sèvres et de la Charente-Maritime, elles font aujourd’hui l’objet de critiques, en particulier de la part d’associations de défense de l’environnement, qui les accusent de « vider » le Marais poitevin.

Frédéric Zabalza (La Rochelle, correspondant)

Entre 6 et 7 % d’agriculteurs en France sont considérés comme des irrigants. Dans le cas des seize réserves de substitution, projet que porte la Coop de l’eau 79 avec le soutien financier de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne (soit 70 % d’argent public), plus de deux cents exploitations sont associées. Il s’agirait de les remplir en pompant l’eau dans les nappes phréatiques et les cours d’eau. Les antibassines, parmi lesquels la Confédération paysanne, estiment que cela porterait un grave préjudice au milieu naturel ainsi qu’à d’autres activités humaines (conchyliculture sur le littoral charentais-maritime, tourisme dans le Marais poitevin).

Frédéric Zabalza (La Rochelle, correspondant)

De nombreux barrages de gendarmes ont tenté ce filtrage, arrêtant certains véhicules, et saisissant, parfois, des matériels jugés à risque. Des arrêtés préfectoraux avaient été pris pour réglementer la vente de carburant, d’artifices, de produits chimiques ou explosifs… dans une quinzaine de communes limitrophes. Mais la configuration des lieux, à moins de déployer deux ou trois fois plus de forces de l’ordre, empêchait ce filtrage dans tous les chemins et champs voisins de la bassine. Ce qui est possible en ville, bloquer des rues, des sorties de métro, et fouiller les manifestants, est impossible à faire, d’autant que des gendarmes en petit nombre, dispersés, seraient des cibles faciles pour les éléments les plus offensifs.

Rémi Barroux

Voici ce qu’a écrit notre collègue du Monde, Martine Valo, il y a cinq jours :

« La retenue d’eau de Sainte-Soline “est un bon projet [qui] a passé toutes les étapes des processus d’autorisation. Dans le respect des règles de l’Etat de droit, il a pu faire l’objet de recours par les opposants, qui ont perdu devant la justice”. » Voilà ce que déclarait la première ministre, Elisabeth Borne, au Sénat, le 2 novembre 2022, après un week-end de manifestations agité dans le Poitou. Or, l’affirmation n’est pas exacte : la cour administrative d’appel de Bordeaux doit encore se prononcer sur le sort de Sainte-Soline, ainsi que sur celui des quinze autres “mégabassines” prévues par la Société coopérative anonyme de l’eau des Deux-Sèvres, la Coop 79. »

Ce jugement en appel devrait être rendu dans les tout prochains jours. Au total, sur les quatre-vingt-treize retenues de substitution prévues – dont certaines sont déjà réalisées –, elles ont toutes fait l’objet de recours. Pour huit d’entre eux, ils ont été perdus en deuxième instance, les autres étant toujours en cours d’instruction.

Lire aussi : Contre les mégabassines dans le Sud-Ouest, des recours en justice systématiques

Rémi Barroux

L’arithmétique ne va pas nous aider à répondre à cette question. Le front sur lequel ont avancé les manifestants faisait plusieurs centaines de mètres, sur plusieurs côtés de la bassine. Ils étaient donc plusieurs centaines à proximité des forces de l’ordre. Mais, ils n’avançaient pas en ligne, certains refluant à cause de la densité trop forte de gaz, qui rendait leur respiration difficile. Lorsque le nuage se dispersait, ils avançaient de nouveau sur un point quand d’autres, un peu plus loin, reculaient. Donc pas d’offensive généralisée, mais des mouvements sporadiques. Les gendarmes, eux, devaient tenir une ligne, matérialisée aussi par des grilles et des véhicules, à certains endroits.

Rémi Barroux

Dans l’arrêté d’interdiction pris par la préfecture des Deux-Sèvres, un des arguments avancés est que, je cite, « les organisations à l’origine de cet appel à manifester sont connues pour leurs incitations à la désobéissance civile ainsi que pour leurs actions radicales et violentes ». Ces organisations sont la Confédération paysanne, Bassines non merci et Les Soulèvements de la Terre. Par ailleurs, la préfecture s’appuie sur l’expérience des dernières manifestations qui ont donné lieu à des actions de démontage et de sabotage des pompes, ou de débâchage des bassines.

Rémi Barroux

Trois cortèges ont convergé, en fin de matinée, après plusieurs kilomètres de marche vers la bassine. Celle-ci était « défendue » par un dispositif important de gendarmes qui avaient aligné leurs véhicules autour. Quand les manifestants se sont approchés, des tirs nourris de grenades lacrymogènes et de désencerclement ont tenté de les dissuader d’avancer. C’est à ce moment qu’un groupe plus offensif est allé au contact sur un des points du dispositif des forces de l’ordre. Le reste des manifestants continuant à vouloir s’approcher sur d’autres points.

Rémi Barroux

Posez-nous vos questions

Rémi Barroux, journaliste au service Planète, et Frédéric Zabalza, journaliste correspondant à La Rochelle, répondront à vos questions sur la situation à partir de 14 heures.

Bonjour et bienvenue à toutes et tous dans ce direct consacré à la situation à Sainte-Soline

Le contexte

Tchat animé par Clémence Apetogbor

Image de couverture : Samedi 25 mars, lors de la manifestation contre la mégabassine de Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres. THIBAUD MORITZ / AFP

  • Une manifestation interdite contre un projet de vaste réservoir de rétention d’eau destiné à l’irrigation agricole, qui a réuni entre 6 000 et 30 000 personnes samedi 25 mars, a donné lieu à de violents affrontements à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres.
  • La première ministre, Elisabeth Borne, a dénoncé samedi, sur Twitter, un « déferlement de violence intolérable », mettant en cause « l’irresponsabilité des discours radicaux qui encouragent ces agissements ».
  • Selon un dernier décompte fourni par le parquet de Niort, les secours ont pris en charge sept manifestants blessés, dont trois traités en urgence absolue et hospitalisés ; 28 gendarmes ont été blessés, dont deux hospitalisés en urgence absolue. Un manifestant de 30 ans se trouvait dimanche dans le coma à la suite d’un traumatisme crânien, selon le parquet de Niort.
  • Les organisateurs évoquent, eux, un bilan beaucoup plus lourd, avec 200 manifestants blessés. Le bilan du parquet ne porte que sur les blessés officiellement secourus, ce qui peut expliquer l’écart entre les chiffres.
  • Une enquête spécifique a été ouverte sur les circonstances dans lesquelles trois manifestants ont été grièvement blessés. D’autres enquêtes ont été ouvertes, notamment pour « organisation de manifestation interdite » et « violences sur militaires ».
  • La bassine de Sainte-Soline fait partie d’un ensemble de 16 retenues, d’une capacité totale de six millions de mètres cubes, programmées par une coopérative de 450 agriculteurs avec le soutien de l’Etat. Le vaste réservoir en cours de construction est destiné à l’irrigation des terres agricoles en période de sécheresse.
  • Les détracteurs de ce type de projet les qualifient de « mégabassines » contribuant à assécher les nappes phréatiques au bénéfice d’une agriculture intensive, qu’ils jugent dépassée dans le contexte du changement climatique.
  • Nos journalistes Rémi Barroux, du service Planète, et Frédéric Zabalza, correspondant à La Rochelle, étaient sur place samedi. Ils répondent à vos questions à partir de 14 heures.

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