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Sécheresse : Comment le réchauffement climatique bouscule le cahier des charges des signes de qualité et d’origine ?

Une écorce « fournie en huiles essentielles », un épiderme « du jaune clair au foncé, lumineux » et « un jus limpide à reflets jaunes ». C’est de cette manière qu’on reconnaît un citron de Menton, cette commune à la frontière italienne, dans les Alpes-Maritimes, qui a obtenu, en octobre 2015, l’Indication géographique protégée (IGP). Mais pour être classé, le cahier des charges induit qu’il fasse entre 53 et 90 mm.

« On a une grosse partie de la production qui est entre 45 et 53 cette année, s’exclame Stéphane Constantin, président de l’association pour la promotion du citron de Menton. Cette deuxième année consécutive de sécheresse se répercute sur le développement des arbres et donc, sur les fruits. »

Depuis l’obtention de l’IGP, environ 10 % des citrons des arbres étaient « déclassés ». « Cette saison, on estime qu’on sera entre 30 et 40 %, poursuit le directeur de l’association. Ils ont pourtant le même potentiel gustativement. » Ce qui les différencie, c’est le prix. Avec la mention, ils sont entre 8 et 11 euros le kilo.

Faire deux catégories de citron de Menton

Pour éviter une trop grosse perte pour les producteurs, dont une soixantaine serait concernée, l’association est en discussion avec l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) pour « modifier le cahier des charges ». « On aimerait distinguer deux catégories : le fruit de bouche, qui respecte tous les critères d’aujourd’hui, et le fruit de transformation pour utiliser les plus petits calibres », affirme Stéphane Constantin.

C’est ce qu’ont obtenu les producteurs du piment d’Espelette, dans le Pays basque, également touchés par la sécheresse. « Normalement, le piment ne doit pas être irrigué mais la situation était telle que si rien n’était fait, tout était perdu, informe Carole Ly, directrice par intérim de l’INAO. Pour les produits qui n’avaient pas assez grossi, la variation permettait à ce qu’ils soient AOC AOP uniquement pour l’industrie, mais pas en vente en frais. »

Mais à la différence de la demande pour les citrons de Menton, cette modification du cahier des charges n’est que temporaire et « valable jusqu’à la prochaine campagne », précise la directrice de l’institut. « Il est possible de faire ces requêtes exceptionnelles pour des raisons climatiques ou sanitaires, poursuit-elle. Une commission enquête ensuite pour savoir si cette révision n’affecte pas la qualité du produit. »

Plus de 30 fromages AOP sur 51 ont fait des demandes de modifications

Concernant « le végétal », moins de dix groupements de producteurs ont soulevé des problèmes et des changements pour cette année. Les plus grosses demandes concernent les fromages AOP. Sur 51 fromages classés, une trentaine a demandé une révision.

« Le Massif Central mais aussi le Jura ont fortement été touchés par la sécheresse avec des pâturages jaunis », constate Carole Ly. Et pour produire sous signe de qualité et d’origine, les producteurs doivent respecter des critères parfois stricts, comme le fait de nourrir les vaches dans la zone géographique indiquée. Ainsi, certains ont dû transformer leur production de AOP Salers en AOP Cantal fermier car ils ne pouvaient pas nourrir leurs animaux avec 75 % d’herbe, comme l’appellation l’exige.

« Ces critères ont été rendus compliqués à tenir cette année avec les conditions climatiques, précise la directrice de l’INAO. Sur ces points cités, une modification temporaire jusqu’au printemps a été accordée. » Le Saint-Nectaire a bénéficié d’une dérogation pour conserver son appellation qui a permis d’abaisser le nombre de jours où les vaches sont nourries à l’herbe de 150 jours à 90 et ainsi conserver l’appellation.

Des expérimentations pour les signes de qualité de demain

L’institut qui décerne ces gages de qualité et d’origine aux produits affirme être conscient des bouleversements liés au réchauffement climatique et y travailler de près avec les acteurs concernés. « Les plus avancées sont les viticulteurs qui expérimentent des nouvelles façons de cultiver la vigne de demain, face à la sécheresse, pour savoir quel cépage utiliser, comment travailler le sol pour retenir l’eau », détaille la directrice par intérim.

Cette filière explore donc actuellement sept grandes thématiques liées au dérèglement climatique pour « faire émerger une façon de produire sans toucher au savoir-faire et à la qualité », et notamment « par la voie de l’innovation ». « Pour introduire ces expérimentations sans perdre le bénéfice du signe, l’INAO avec un suivi scientifique et un comité de professionnels en commission spéciale, a autorisé la vente le vin malgré tout », indique Carole Ly. Elle conclut : « On travaille sur la durée pour nous adapter à terme ces nouveaux enjeux et être plus résilients par rapport aux chocs climatiques ou sanitaires tout en gardant les fondamentaux et ce maintien de la qualité des produits. »