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Sécheresse : réutiliser les eaux usées, une technique "d'avenir" à appliquer "au cas par cas"

Le gouvernement français a listé, mercredi, une série de mesures pour faire face aux sécheresses, rendues de plus en plus fréquentes en raison du dérèglement climatique. Parmi les pistes avancées : démocratiser la réutilisation des eaux usées pour l’arrosage ou l’irrigation. Une technique encore à la traîne dans l'Hexagone malgré une nouvelle impulsion ces derniers mois. 

Avec neuf mois de sécheresse, 25 % de pluie en moins que la normale et une année record de chaleur, 2022 a été perçue comme un signal d'alarme pour le gouvernement français. Alors qu'en plein mois d'août, 700 communes étaient touchées par des problèmes d'approvisionnement en eau, certains cours d'eau et nappes phréatiques peinaient encore en décembre à retrouver des niveaux proches de la normale

"Les niveaux des nappes du mois de décembre sont peu satisfaisants. Les pluies infiltrées durant l'automne sont très insuffisantes pour compenser les déficits accumulés durant l'année 2022 et améliorer durablement l'état des nappes", alertait le Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM) début janvier, estimant la situation "préoccupante". Pour l'organisme, le constat est clair : seule une météo pluvieuse et froide jusqu'au début du printemps pourrait désormais permettre de reconstituer des stocks d'eau suffisants avant l'été. Sinon, le scénario de l'année 2022 pourrait bien se répéter en 2023.

Pour faire face, et alors que cette situation risque de toute façon de se répéter en raison du dérèglement climatique, le gouvernement veut désormais anticiper. Le 25 janvier, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, a ainsi dévoilé dans le journal Le Parisien les contours d'un "plan national eau" destiné à revoir totalement la stratégie de gestion de l'eau dans l'Hexagone. "Il y aura un avant et un après 'été 2022'", y affirme le ministre. 

Parmi les axes envisagés : des mesures de sobriété pour diminuer les prélèvements dans les nappes phréatiques, une lutte contre les fuites mais aussi une meilleure réutilisation des eaux usées, une pratique qui consiste à réutiliser directement l'eau en sortie de station d'épuration sans passer par un retour dans le milieu naturel.

Pour Julie Mendret, chercheuse à l'Institut des membranes de l'Université de Montpellier, qui travaille sur la réutilisation des eaux usées, cette pratique doit en effet être généralisée pour une meilleure gestion de l'eau, mais doit rester employée "au cas par cas". 

France 24 : Où en est la France sur la réutilisation des eaux usées ? 

Julie Mendret : "La France est en retard par rapport à d'autres pays avec moins de 1 % des eaux usées réutilisées. Chez nos voisins espagnols, ce chiffre s'élève à 15 %. C'est 8 % en Italie. Et en Israël, pays pionnier en la matière, c'est plus de 80 %. 

Mais la situation évolue depuis quelques mois. Si la France utilise majoritairement cette technique pour l'irrigation agricole et l'arrosage des espaces verts, notamment des golfs [selon le panorama dressé en 2017 par le Cerema, 60 % des cas étaient destinés à l'irrigation et 26 % aux golfs, NDLR] depuis mars 2022, un décret permet aussi d'explorer des usages urbains comme le nettoyage des voiries ou la lutte contre les incendies.

La France accueille aussi un projet pilote en Europe, le projet Jourdain, situé en Vendée. Son ambition est de rendre de l'eau potable indirectement, à partir des eaux usées : au lieu d'être rejetée dans la mer, une partie de l'eau provenant de la station d'épuration des Sables-d'Olonne sera récupérée et traitée avant d'être réinjectée dans une retenue d'eau. Ce plan d'eau servira ensuite de ressource pour la station de potabilisation à proximité. 

La sécheresse de l'année 2022 a renforcé le constat qu'il faut aujourd'hui réfléchir à de nouveaux modes de gestion de nos ressources en eau. Et la réutilisation des eaux usées apparaît aujourd'hui comme une solution d'avenir. 

>> À lire aussi : eaux usées, de mer, pluie… à la recherche de nouvelles sources contre la sécheresse

Comment fonctionne la réutilisation des eaux usées ?  

Pour comprendre, il faut d'abord rappeler comment fonctionne ce qu'on appelle le "petit cycle de l'eau". Habituellement, les eaux douces sont pompées dans nos nappes phréatiques, traitées dans ce qu'on appelle des stations de potabilisation, puis utilisées. Usées, elles sont collectées par les stations d'épuration, traitées à nouveau et rejetées dans un milieu naturel – généralement dans la mer ou les rivières.

Lorsqu'on décide de réutiliser les eaux usées, on leur offre un nouvel emploi plutôt que de les rejeter. Selon l'usage, elles recevront, ou non, un traitement supplémentaire pour s'assurer qu'elles sont de bonne qualité. Cela sera le cas, par exemple, si on veut les utiliser pour arroser des cultures maraîchères, avec des fruits ou légumes que l'on peut être amenés à consommer crus. À l'inverse, on pourra éventuellement s'en passer si l'eau est utilisée dans un endroit qui ne reçoit pas de public. 

Le rejet des eaux usées permet cependant dans certains cas d'assurer un débit suffisant des cours d'eau... Faut-il généraliser cette pratique dans tout l'Hexagone ? 

Non, il est indispensable d'agir au cas par cas car la réutilisation des eaux usées n'est pas pertinente partout. C'est une pratique particulièrement cohérente dans les zones littorales car cela offre à l'eau douce un nouvel usage au lieu d'être rejetée dans de l'eau de mer, salée. Par ailleurs, plus on accentue la pression sur les nappes phréatiques de ces zones, plus on risque d'entraîner des intrusions salines [l'intrusion d'eau salée sous l'eau douce], diminuant encore l'accès à l'eau douce.

Recycler l'eau douce peut aussi être très pertinent quand cela évite de la rejeter dans des milieux sensibles. C'est le cas à Noirmoutier, en Vendée, par exemple. Les agriculteurs utilisent déjà cette pratique avant tout car cela permet de préserver les bassins de conchyliculture situés à proximité. 

En revanche, dans les zones continentales, c'est plus complexe. Dans certains cours d'eau, une partie du débit vient du rejet des eaux usées des stations d'épuration. Si on baisse la quantité d'eau, notamment dans un contexte de sécheresse, cela peut avoir des conséquences sur le niveau du cours d'eau et donc sur les écosystèmes. Dans ces cas, la réutilisation des eaux usées n'est certainement pas la solution à privilégier. 

Enfin, d'un point de vue plus pratique, il est important de bien déterminer quel usage on veut faire de l'eau réutilisée. Il faut que le lieu qui va en bénéficier soit proche de la station d'épuration car transporter de l'eau engendre des coûts prohibitifs.

Quels sont les freins qui perdurent pour généraliser cette pratique 

L'acceptabilité sociale reste un enjeu majeur. Beaucoup d'idées fausses continuent de circuler sur la réutilisation des eaux usées, majoritairement par manque de connaissances. Il est primordial que les acteurs continuent de communiquer à ce sujet pour se débarrasser des idées fausses et fassent de la pédagogie. Surtout que, comme nous l'avons évoqué, l'eau à la sortie des stations est de bonne qualité et il n'y a jamais eu de cas de contamination quelconque avec de l'eau usée traitée réutilisée.

La règlementation peut aussi être un frein car elle reste assez lourde et nécessite des procédures souvent très longues. Pour les porteurs de projets, cela peut être assez décourageant. Mais malgré tout, avoir ce cadre réglementaire clair est nécessaire : c'est la garantie que la pratique est encadrée et sûre – notamment pour notre santé. 

Enfin, contrairement à d'autres pays, les agriculteurs français ont encore accès à des ressources conventionnelles moins chères que l'eau réutilisée, en allant puiser dans des forages ou des eaux de rivières. Il y a donc une logique économique qui les incite à ne pas privilégier cette technique. Il est aussi important que nous avancions sur cette question pour que la réutilisation des eaux devienne plus incitative.

En résumé, la réutilisation des eaux usées peut-elle être une sorte de solution miracle dans ce plan anti-sécheresse ?

Il faut à tout prix éviter de créer un "effet rebond". Car en généralisant le recyclage des eaux usées, nous pourrions donner une fausse impression d'une nouvelle abondance de la ressource en eau. Évidemment, ce n'est pas le cas. Il est vraiment nécessaire d'allier la démocratisation de ces nouveaux usages de l'eau usée traitée et des mesures de sobriété. La principale solution pour alléger la pression sur nos nappes phréatiques reste de moins puiser dedans.