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Sexisme chez les jeunes : pourquoi perdure-t-il chez les hommes de 25-34 ans ?

Si personne ne pouvait raisonnablement penser que le sexisme disparaîtrait avec l’émergence du mouvement de libération de la parole des femmes #MeToo, les résultats du deuxième baromètre annuel sur le sexisme, publiés le 23 janvier par le Haut Conseil à l’égalité, ont de quoi surprendre. Pas tant parce qu’ils confirment que « la société française reste très sexiste », mais parce que les jeunes sont particulièrement concernés. Sur certaines questions, les 25-34 ans sont davantage imprégnés par les stéréotypes sexistes que leurs aînés.

Ainsi, parmi les hommes de moins de 35 ans, 20 % considèrent que « pour être respecté en tant qu’homme dans la société, il faut vanter ses exploits sexuels auprès de ses amis », contre 8 % en moyenne. Et 23 % estiment « qu’il faut être violent pour se faire respecter » (11 % en moyenne). Par ailleurs, seuls 48 % des hommes entre 15 et 34 ans trouvent que « l’image des femmes véhiculées par les contenus pornographiques est problématique », contre 79 % des hommes de 65 ans et plus.

« Cette génération adhère davantage aux clichés “masculinistes” qu’elle perçoit comme une manière de se valoriser, alors que les hommes plus âgés sont, eux, plus conservateurs sur le rôle de la femme et de l’homme », analyse Maïder Beffa, directrice associée de l’institut Viavoice qui a mené l’étude. « Le phénomène transcende les classes sociales, ajoute-t-elle. En revanche, on note que l’expression du sexisme est un peu plus conservatrice chez les jeunes politisés à droite ou qui revendiquent une appartenance religieuse. »

Une génération à l’épreuve de la réalité

Quelle qu’en soit l’expression, comment expliquer la persistance des comportements sexistes chez les jeunes dans un contexte de libération de la parole des femmes sans précédent ? « Il ne faut pas oublier que cette génération, notamment les 30-35 ans, est la dernière à ne pas avoir été sensibilisée à l’école au harcèlement, au consentement et aux inégalités de genre, des sujets entrés dans le débat public depuis #MeToo, rappelle Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop et auteur de La Fracture (Les Arènes, 2021) sur la jeunesse française. On voit d’ailleurs dans le baromètre que les 15-25 ans, qui ont baigné dans ce genre de campagne, sont globalement moins sexistes. »

C’est aussi une génération qui est mise à l’épreuve de la réalité, note de son côté le sociologue Arthur Vuattoux, coauteur d’un ouvrage sur Les Jeunes, la Sexualité et Internet (Les Pérégrines, 2020). « 25-30 ans, c’est l’âge auquel ils entrent dans la vie active et où ils se trouvent confrontés au sexisme sur les lieux de travail, souligne-t-il. On peut avoir des principes, mais si on est embauché dans une entreprise où il n’est pas valorisé de prendre un congé paternité, par exemple, certains peuvent finir par intégrer ces comportements. »

Un décalage que l’on retrouve également dans la vie de couple, selon le spécialiste. « Au début de la relation, on peut revendiquer l’égalité et puis réaliser qu’on est bien content de ne pas avoir à s’occuper des tâches ménagères. Le sexisme est un privilège masculin dont certains tirent profit. »

Les hommes entre 25 et 34 ans, comme d’ailleurs la grande majorité des personnes interrogées, reconnaissent l’existence d’inégalités entre les femmes et les hommes, mais « peinent à se sentir concernés et n’engagent jamais leur responsabilité personnelle », relèvent les auteurs de l’étude. Pour Magali Mazuy, chercheuse à l’Institut national d’études démographiques (Ined), « ils sont assez sensibles à certaines questions autour du genre, comme le partage des tâches, et aux violences sexistes qu’ils dénoncent plus facilement que leurs aînés, mais ils ont été socialisés selon des normes de virilité et de violence et ne mettent pas nécessairement en œuvre dans la vie quotidienne des outils pour être des alliés des femmes », analyse-t-elle.

Réseaux sociaux, pornographie, téléréalité, jeux vidéo

Les 25-34 ans sont, en outre, des victimes collatérales de « l’effondrement des médias traditionnels, des sites Internet et des discussions en famille remplacés par les réseaux sociaux et communautaires, qui peinent souvent à donner des clés de compréhension », observe Frédéric Dabi. Pis, ces nouveaux médias investis pas les influenceurs de tout poil « véhiculent un esthétisme viril beaucoup plus accessible qu’avant, pointe Maïder Beffa. Aujourd’hui, on peut suivre la vie d’une personne sur Internet quasiment au quotidien. »

Parmi les autres contenus susceptibles d’influencer les comportements sexistes, il y a les programmes de téléréalité, certains jeux vidéo et, bien sûr, la pornographie, accessible en un clic à tout âge. « Ces images font partie du quotidien de la jeunesse et sont un carburant de la diffusion des stéréotypes sexistes », résume le directeur de l’Ifop. Même les femmes entre 25 et 34 ans sont un peu moins choquées par la pornographie que leurs aînées, selon le baromètre.

Arthur Vuattoux ne s’en étonne pas : « C’est la première génération où elles sont confrontées à une pornographie très accessible et cette banalisation peut expliquer une perception moins négative, avance-t-il. Par ailleurs, une minorité de jeunes femmes peut aussi y adhérer et rechercher des images moins violentes, y compris dans une perspective féministe. »

Si une partie des militantes est favorable à l’interdiction de la pornographie, d’autres, plus proches des mouvements queer et LGBT, considèrent qu’elle « pourrait êtreun outil pour véhiculer une image moins dégradante des femmes et des normes sexuelles plus égalitaires qui valorisent le plaisir féminin », rappelle, de son côté, Magali Mazuy, spécialiste des violences conjugales et de la famille.

Un effet de balancier ?

Ce rapport à la pornographie n’empêche pas les jeunes femmes de cet âge d’être plus militantes que leurs aînées. « Elles adhèrent davantage aux mouvements féministes et #MeToo parce qu’elles sont elles-mêmes victimes de sexisme », souligne Maïder Beffa.

Faut-il alors voir dans ce clivage entre hommes et femmes d’une même génération un effet de balancier ? « Oui, le sexisme des hommes encourage le militantisme des femmes et, à l’inverse, les avancées du féminisme peuvent entraîner un réflexe défensif chez certains hommes qui se sentent fragilisés par la promotion de l’égalité professionnelle, par exemple, ou dans la sphère intime, observe Arthur Vuattoux. Le baromètre du Haut Conseil à l’égalité est d’ailleurs très clair là-dessus. »

Quatre hommes sur dix considèrent, en effet, qu’on « s’acharne sur les hommes », et six sur dix que « les porte-parole du féminisme en font trop ». Le sociologue met toutefois en garde contre les interprétations trop rapides : « Ce genre de sondage, qui n’a pas suivi une cohorte sur plusieurs années, permet d’alimenter la réflexion mais n’est pas un portrait de la société. »

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Les recommandations du Haut Conseil à l’égalité

Réguler les contenus numériques pour lutter contre les stéréotypes, représentations
dégradantes et traitements inégaux ou violents des femmes, en particulier les contenus pornographiques.

Rendre obligatoires les formations contre le sexisme par les employeurs.

Rendre obligatoire un système d’évaluation et une publication annuelle sur la part de représentation des femmes dans les manuels scolaires.

Interdire la publicité pour les jouets genrés.

Augmenter les moyens financiers et humains de la justice dans les juridictions chargées de traiter les violences intrafamiliales.

Instaurer une obligation de résultat pour l’application de la loi sur l’éducation à la sexualité et à la vie affective dans un délai de trois ans, et prévoir une sanction financière en cas de non-respect.