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Stages de fin d’études : la transparence salariale réduit-elle les inégalités femmes-hommes ?

Le 15 décembre dernier, un accord a été trouvé entre Parlement européen et gouvernements des pays de l'Union européenne (UE) sur une directive visant à une plus grande transparence des salaires. Ce texte se donne notamment pour objectif de réduire les inégalités salariales entre femmes et hommes. Pour cela, la directive incite les entreprises à mieux communiquer sur les salaires, notamment à l'embauche, et à instaurer des critères de rémunération transparents.

Cette transparence apparaît en effet comme un levier efficace. C'est notamment ce que nous avons observé dans le cadre d'une recherche sur un échantillon de 1678 conventions de stage de M2 d'étudiants en M2 d'une grande école de commerce. En effet, pour un stage donné, les entreprises définissent généralement en amont des niveaux précis de rémunération en fonction du diplôme et de l'année d'étude (M1, M2 par exemple) et elles informent les candidats aux stages du niveau de rémunération du stage fixé. Cette transparence, qui limite en outre la négociation au niveau de l'embauche, fait qu'à secteur, métier, et taille d'entreprise égale, le genre n'a pas d'influence sur la rémunération.

Autrement dit, à secteur, métier, taille d'entreprise égale, les femmes stagiaires sont payées autant que les hommes stagiaires, ce qui n'est pas le cas dans les populations plus expérimentées, dans lesquelles, selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), « toutes choses égales par ailleurs », les femmes sont moins payées que les hommes.

Décrochage dès le premier emploi

Ceci laisse supposer qu'il n'y a pas de discrimination directe entre femmes et hommes en ce qui concerne la rémunération du stage, au contraire de ce qui existe et se renforce tout au long de la vie professionnelle. Ce décrochage dès le premier contrat à durée indéterminée (CDI) est d'ailleurs suggéré par les données de la Conférence des grandes écoles (CGE). Au premier emploi, les hommes gagnent 7,9 % de plus que les femmes (39 487 euros annuels pour eux, 36 931 annuels pour elles). Les hommes sont ainsi mieux rémunérés que les femmes dans 8 secteurs sur les 11 étudiés par la CGE, qui plus est dans des secteurs à plus gros effectifs.

Côté stage de fin d'études, nous avons trouvé que sur les 13 secteurs sur lesquels nous avons travaillé (lesquels ne recoupent pas exactement ceux de la CGE), les hommes sont rémunérés davantage que les femmes dans 5 secteurs (les femmes étant donc mieux rémunérées que les hommes dans 8 secteurs). Dans tous ces secteurs, un écart femmes-hommes existe forcément (il est très improbable de trouver des moyennes identiques pour les femmes et pour les hommes dans chacun d'entre eux) mais nous avons trouvé que cet écart n'est pas significatif au plan statistique. L'écart global entre femmes et hommes existe certes, il est, lui, significatif au plan statistique, mais il est moindre qu'au premier emploi (au cours de leur stage de fin d'études, les hommes sont payés 4,4 % de plus que les femmes au global... ce qui est bien sûr un sujet en soi).

Les fourchettes en cause

Cette différence entre les 7,9 % (écart femmes/hommes au premier contrat de travail) et 4,4 % (écart femmes/hommes au stage de fin d'études) amène à poser la question : comment l'interpréter ?

Nous avançons l'explication suivante : pour un premier emploi, les entreprises n'affichent pas toujours la rémunération proposée dans l'annonce de recrutement, voire ne définissent pas de niveau de rémunération du tout, pouvant ainsi tirer parti du fait que le candidat avait dans son emploi précédent une rémunération basse. Quand elles communiquent, les entreprises vont tout au plus communiquer sur des fourchettes de rémunération parfois très larges, plutôt que sur des niveaux de rémunération exacts.

Par exemple, pour ses consultants débutants en CDI, cette entreprise de consulting offrait une fourchette très large de rémunération de 28 000 euros à 41 000 euros. Derrière ces montants (qui ne sont pas forcément affichés sur l'offre d'emploi), il y a trois groupes d'établissements visés avec chacun sa fourchette : établissements relevant du groupe C, du groupe B, du groupe A. En l'occurrence, l'entreprise avait défini une fourchette de salaire d'embauche de 28 000 à 30 000 euros par an pour les diplômés des établissements du groupe C (les écoles et universités les moins cotées), de 34 000 à 36 000 euros par an pour les diplômés du groupe B (les écoles et universités de milieu de tableau), et de 38 000 à 41 000 pour les diplômés du groupe A (les établissements les mieux cotés). Ces fourchettes ne sont pas communiquées aux candidats.

Une telle plage de variation n'existe pas pour les stages, beaucoup plus normés en termes de rémunération, en tous cas dans les grandes entreprises. Par exemple, telle entreprise proposera tel stage, assorti une rémunération de 1150 euros mensuels (et non une fourchette), pour un étudiant de M1 appartenant à une école du groupe B.

Limiter les espaces de négociation

Nous avons également constaté que les comportements de tentative de négociation de rémunération, côté étudiant, lors de l'élaboration de la lettre de mission du stage, sont très peu répandus, alors qu'il est beaucoup plus courant qu'ils ou elles négocient leur premier salaire à l'embauche en CDI.

Notre étude suggère par conséquent que limiter les espaces de négociation, communiquer sur les salaires proposés à l'embauche, et avoir des critères et barèmes de rémunération transparents, comme le propose la directive en voie d'adoption, constituent des vecteurs pertinents pour réduire les inégalités salariales.

Restera à voir si ces prédictions se vérifieront plus globalement, c'est-à-dire au-delà de la population des étudiants, sachant que les États membres auront probablement entre deux et trois ans pour transposer la directive en voie d'adoption, et qu'il faudra ensuite plusieurs années pour en évaluer les effets.

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Par Alain Klarsfeld, Professeur de gestion des ressources humaines, TBS Education et Nadine Galy, Professeur associé, Département Information, Opérations et Sciences de la Décision, TBS Education.

 La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.