Les drames se suivent et se ressemblent. Un jeune de 15 ans a mis fin à ses jours mardi à Poissy, dans les Yvelines. Les premiers éléments de l’enquête « attestent clairement que des faits de harcèlement avaient été déclarés au cours de l’année scolaire 2022-2023 ». Et face à ce type d’événement, que peuvent faire les camarades de l’élève ?
« Lorsque je demande à un adolescent qui a eu une crise suicidaire vers qui il peut se tourner si cela se reproduit, neuf fois sur dix, il cite un ami », souligne Jean-Philippe Raynaud, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et chef de service au CHU de Toulouse. Si la responsabilité ne doit pas reposer sur les camarades d’un adolescent en souffrance et que le suicide est toujours multifactoriel, ils peuvent toutefois aider. À l’occasion de la journée mondiale de prévention du suicide de ce dimanche, voici comment des adolescents peuvent accompagner un ami qui ne va pas bien.
Se faire confiance
Changement rapide de comportement et/ou d’humeur, isolement, difficulté à se projeter dans l’avenir sont autant de signaux qui peuvent mettre la puce à l’oreille. « Si un ami ne fait plus les activités qu’il aimait, sort moins, se fâche avec ses copains, voire ne veut plus leur parler, il faut s’interroger », explique Jean-Philippe Raynaud.
Pour Charles-Edouard Notredame, psychiatre de l’enfant et de l’adolescent au CHU de Lille et coordinateur national adjoint du 3114, « ce n’est pas nécessairement aux adolescents de savoir faire la différence entre un simple mal-être et une crise suicidaire chez leur copain, car c’est une sacrée responsabilité. » Selon lui, l’adolescent doit se faire confiance car il connaît ses amis et sait repérer quand l’un d’eux ne va pas bien. « Les adolescents connaissent souvent mieux les problèmes de leurs copains que les parents », confirme le chef de service au CHU de Toulouse.
Des informations que n’ont pas les adultes
De plus, ils auraient accès à des informations que ne détiennent pas forcément les adultes, comme des messages via les réseaux sociaux. « Si un jeune dit à son copain "on pourra faire ça cet été" et que l’autre lui répond, "on verra si je suis encore là à ce moment-là", par exemple, là, il faut s’inquiéter », illustre Jean-Philippe Raynaud. Les amis peuvent également être au courant d’un passage à l’acte passé inaperçu auprès des parents ou des autres adultes. Un geste qui doit être pris au sérieux car toute tentative de suicide augmente le risque suicidaire.
A noter que ces signaux ne sont pas toujours faciles à repérer. « Si on a un soupçon, une inquiétude, il vaut mieux en parler car cela peut changer la trajectoire. Mais parfois, malheureusement, le copain ne montre rien », tient à rappeler le pédopsychiatre.
Ne pas hésiter à en parler
Les deux professionnels encouragent l’adolescent qui repère des signaux à parler. « Il est difficile de dire "vous devez en parler". En revanche, il ne faut pas hésiter à le faire », résume Charles-Edouard Notredame. Contrairement aux idées reçues, évoquer des idées suicidaires ne fait jamais passer à l’acte, insiste le médecin. S’il s’en sent capable, l’adolescent peut donc aborder le sujet directement auprès de son ami en souffrance.
« Lorsque la personne en est au début de sa crise suicidaire, elle arrive encore à penser clairement et recevoir cette attention peut la toucher », estime Jean-Philippe Raynaud. L’idée étant également d’inciter la personne en souffrance à en parler à un adulte, voire à consulter un spécialiste.
Donner cette responsabilité à un adulte
Mais le collégien ou lycéen qui s’inquiète pour son ami est aussi encouragé à demander de l’aide. « Il ne faut surtout pas que l’adolescent à qui le copain s’est confié reste seul avec son inquiétude », insiste Jean-Philippe Raynaud. « L’essentiel, c’est qu’un adulte puisse être dans la boucle et se saisisse de sa responsabilité d’adulte et après, charge à lui d’en parler à la bonne personne », souligne le chef de service au CHU de Lille.
Les premiers concernés sont les parents, mais il est parfois difficile d’évoquer le problème directement avec eux. « Les enfants en souffrance ont souvent peur de faire de la peine à leurs parents ou de les inquiéter, mais il faut leur expliquer que c’est le rôle des parents et qu’ils souffriraient bien plus s’il arrivait quelque chose », rappelle Jean-Philippe Raynaud.
Etre aidé à son tour
Dans l’Education nationale, de nombreux professionnels peuvent aider, qu’ils soient professeurs, CPE, infirmières ou psychologues scolaires. « Il y a toujours des gens compétents qui sauront quoi faire », insiste Jean-Philippe Raynaud. Pour les enfants déscolarisés (mais pas que), il existe également une Maison des adolescents dans chaque département ou encore le 3114, le numéro national de prévention du suicide.
Mais parler de la souffrance de son ami est parfois trop difficile. « Il faut dire aux jeunes que s’ils n’y arrivent pas, ce n’est pas grave, temporise le professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Ce n’est pas de leur faute. »
De plus, accompagner un camarade en souffrance peut générer un profond mal-être. Les études le montrent : être exposée directement ou indirectement à un événement suicidaire augmente le risque d’avoir des idées suicidaires, voire de passer à l’acte. Pour rappel, plus de 300 jeunes de 15 à 24 ans mettent fin à leurs jours chaque année en France, selon l’Inserm.