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Sylvie Germain : « Pour lire ou écrire, il faut qu’il y ait le silence »

« Keskili » (10/10). La romancière Sylvie Germain livre ses conseils de lecture et se confie sur son rapport à la littérature.

« Il y a quelque chose de fascinant dans le livre et dans le pouvoir des mots. Je reste devant cela dans un rapport très enfantin. J’écris toujours sur ce que je ne comprends pas. » Cette observation, Sylvie Germain la formule en 1984, l’année qui suit la parution de son premier roman, Le Livre des nuits (Gallimard). Son talent est salué par plusieurs prix, dont celui de la ville du Mans. Puis il y a Prague, l’enseignement au lycée français et Jours de colère, sacré prix Fémina en 1989. Au fil de son œuvre, composée de près d’une quarantaine de titres, Sylvie Germain continue sa plongée dans l’intime. Celui qui, mis à distance, peut autant réjouir qu’effrayer. L’obscurité et la lumière, comme elle, celle diffusée par intermittence, dans son dernier livre, La Puissance des ombres, qui a reçu le prix Cabourg.

Après une saison 1 enregistrée en 2021, elle est l’invitée de la saison 2 du podcast « Keskili » du « Monde des livres » réalisé en partenariat avec le Salon du livre du Mans « Faites lire ! ». Au micro de la journaliste Judith Chétrit, Sylvie Germain se confie sur son goût de la lecture et de la littérature.

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Puisque vous aimez jouer avec elles, nous allons évoquer ensemble les ombres passées et présentes des lectures qui vous accompagnent. Avez-vous un premier souvenir de lecture ?

Mes premiers souvenirs, ce sont ceux des contes de Grimm et d’Andersen. Je passe par-dessus les petits livres d’histoires pour enfants, les livres reliés qui mettaient en scène une petite fille un peu aventurière : ça ne m’emballait pas du tout. Mais les contes, ça fait travailler l’imaginaire, d’autant plus qu’ils sont souvent illustrés. Et, pour moi, c’était très important, très marquant, le rapport entre l’image et le texte. Ensuite, on découvre peu à peu ce qu’on appelle vraiment la littérature, comme avec Maurice Genevoix. Je devais avoir 12 ou 13 ans, je ne lisais pas beaucoup, mais quelque chose m’est resté : le fait que la beauté d’une langue, des mots, puisse presque provoquer des images mentales. C’est là qu’a commencé mon amour des mots. Ensuite, il y a eu les grands textes, et d’abord Dostoïevski.

Quel est le personnage littéraire dans lequel vous vous êtes le plus projetée ?

Aucun, mais je me suis projetée dans des ambiances, dans des ensembles. Dans une atmosphère et une problématique.

Vous avez un endroit préféré pour lire ?

Que ce soit pour lire ou pour écrire, la chose principale, c’est le silence. Pouvoir se concentrer. Donc un endroit calme où on n’est pas dérangé.

Les mots vous font-ils advenir des sons, une musicalité, lorsque vous écrivez ou lorsque vous lisez ?

Ah oui, dans les deux cas, bien sûr ! Et c’est pour ça que je suis très sensible à certains auteurs, par exemple Jean Giono. Il y a une somptuosité de la langue chez lui comme chez Genevoix. Ce sont des écrivains dont l’écriture est très charnelle, très imagée. Mais il y a aussi un rythme et un style. Le plaisir, c’est aussi d’être parfois étonné par l’usage des mots, la structure des phrases, la manière de couper à un moment alors qu’on s’attend à ce que ça continue. C’est ça qui est intéressant : qu’on soit surpris, pas seulement par l’histoire, mais aussi par le rythme.

Une description de personnage qui vous a particulièrement marquée dans des livres ?

Là, c’est difficile parce que quand on parle des livres qu’on a aimés et qu’en plus on est déjà bien avancé en âge, il y en a tellement… Ça forme une sorte de foule et on a l’impression qu’ils vont un peu se pousser les uns les autres pour arriver sur le devant de la scène. Je pense à L’Idiot, de Dostoïevski. Même si je ne voudrais pas du tout m’identifier à l’idiot ! Dans les films aussi, il y a des personnages qui reviennent, qui repassent dans l’imagination, et ils sont trop nombreux.

Avec quel écrivain ou quelle écrivaine aimeriez-vous passer une soirée pour discuter de lecture, notamment ?

Ça, c’est encore autre chose ! Là, c’est un choix à faire aussi selon la qualité de la personne. Spontanément, je ne pense pas à une romancière, mais à la journaliste russophone Svetlana Alexievitch, pour qu’elle parle de sa démarche. Je trouve remarquables les livres qu’elle a écrits et qui sont d’une actualité absolument tragique en ce moment. Parmi mes contemporains, je pense aussi à l’autrice russe Lioudmila Oulitskaïa. Bon, ce sont des choix un peu orienté à l’Est ! Sinon, dans le passé, on peut toujours rêver, se dire qu’on aurait aimé rencontrer tel ou tel écrivain, comme un de mes poètes préférés Rainer Maria Rilke. Mais je ne sais pas si j’aurais eu envie de le rencontrer… Ce que vous donnent certains auteurs par leurs écrits est déjà si grand, est-ce qu’il y aurait grand-chose à ajouter ? Est-ce qu’on ne risquerait pas d’être déçus de voir la personne ? Je pense à Bernanos, à Dostoïevski, à Tchekhov. Ils sont nombreux à se présenter à mon esprit.

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Y a-t-il un chef-d’œuvre que vous portez aux nues, mais qui est plutôt méconnu ?

Je n’aime pas l’expression porter aux nues parce qu’elle est excessive. On peut énormément apprécier, sans porter aux nues. Il y a quand même peu de choses qu’on porte aux nues : elles sont rares, c’est comme les vrais chefs-d’œuvre. Mais il y a des livres magnifiques, de finesse, de pleine qualité, qui ne sont pas totalement inconnus mais qui n’ont pas peut-être la reconnaissance qu’ils mériteraient. La Mort du petit-bourgeois, de Franz Werfel, par exemple. Le titre n’est pas très heureux pour ce très court roman qui est vraiment très beau, très fort, extrêmement dépouillé. J’ai envie de le conseiller à tous les pères.

Que raconte-t-il ?

C’est un tout petit bourgeois dans la Vienne du XIXe siècle, un peu crève-misère. Il a une femme, une affreuse belle-sœur qui pèse sur leur vie, et surtout il a un fils handicapé mental, que tous les médecins ont condamné. Il y a le souci de ce père, la manière dont il va lutter pour pouvoir dépasser d’un jour au moins la date qui va permettre que soit honoré le contrat d’assurance qui doit couvrir son fils. C’est écrit avec une grande économie de moyens. Un très, très beau texte.

Avec une grande tension tout au long du récit ?

Oui, c’est vraiment très fort. Il y a aussi Ethan Frome, d’Edith Wharton, qui n’est pas son plus connu, et La Nuit sous le pont de pierre, de Leo Perutz. Des nouvelles remarquables. Et encore un que je conseille : Les Etrangers, de Sandor Marai.

Avez-vous tendance à relire les livres que vous aimez ?

Certains, oui. C’est comme quand on revoit un film qu’on a beaucoup aimé. Parfois on peut être déçu. Parfois, au contraire, on retrouve une saveur. C’est ça qui est magnifique. A chaque fois que je relis un texte de Giono, je suis totalement admirative de la somptuosité de la langue. Et puis je connais aussi cette expérience, parfois, avec des textes qui ne sont pas de fiction et qui m’avaient éblouie quand j’avais une vingtaine d’années, et c’est normal parce que c’était la découverte. Je pense à Maurice Blanchot [critique littéraire], à certains de ses textes que j’ai relus beaucoup plus tard, et alors j’ai été un peu déçue. Et puis à nouveau, en les relisant plus tard, j’y ai retrouvé de l’intérêt. C’est très fluctuant. Les textes, les livres, c’est comme les gens parce que c’est vivant.

Y a-t-il un livre que vous voudriez avoir lu avant de mourir ?

La Divine Comédie, je ne l’ai toujours pas lue ! Il y en a beaucoup d’autres, mais je cite exprès un monument de la littérature.

Qu’est-ce qui vous retient de vous lancer ?

De la négligence, de la paresse. Et puis d’être sans arrêt sollicitée par des urgences, de choses à lire parce qu’on est dans des jurys littéraires, parce qu’on nous a demandé un texte, que ce soit une préface, une postface, que ce soit pour dans le cadre de rencontres, de colloques… Là, ça demande du travail d’aller chercher un certain nombre de livres, de faire des lectures, donc le temps passe très vite.

Y a-t-il un livre récent que vous avez envie de lire ?

Je vais plutôt mentionner un livre que j’ai lu récemment, qui n’est pas un roman. C’est un livre de Matthieu Gounelle, aux éditions Gallimard, qui s’appelle Un ciel de pierre. Voyage en Atacama. Cet homme travaille au Muséum d’histoire naturelle, il est spécialiste des météorites. A partir de descriptions et d’évocations des séjours qu’il fait dans ce terrible désert d’Atacama, il réussit à relier énormément de choses dans une temporalité immense qui nous dépasse complètement. Il évoque des tribus disparues, éliminées par les colons, et également les restes des petits fragments d’os qu’on peut trouver épars, des morts provoquées sous la dictature de Pinochet. C’est un ensemble et c’est vraiment un très beau texte.

Vous avez cité Jean Giono au début de cet échange. Est-ce l’écrivain que vous conseillez plus que tout autre ?

Oui, il faut lire Giono parce que c’est une manière d’écrire qui n’est plus tellement pratiquée actuellement et parce qu’aimer lire, c’est aussi aimer la langue. Mais j’ai envie de dire aussi : lisez les sketchs de Raymond Devos. On ne parle plus assez de Raymond Devos. C’est un humour qui me fait tordre de rire, et, en même temps, il y a une passion des mots chez lui. Un petit peu comme le génie du dictionnaire Robert, Alain Rey. On a envie de dire aux gens : si vous voulez aimer la langue, en l’occurrence la langue française, allez voir pas seulement les grands classiques, mais les chroniques d’Alain Rey et les sketchs de Raymond Devos. Et puis, je pense encore aux Métamorphoses, d’Ovide, parce que là aussi, c’est une folie d’imaginaire, magnifique.

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Y a-t-il un livre dont vous aimeriez écrire la suite ?

Juste une très brève nouvelle de Kafka qui s’appelle Le Cavalier au seau à charbon. Comme toujours chez Kafka, il y a quelque chose qui est à la fois complètement irréaliste et tellement profond, tellement réel. A la fois risible et tragique. C’est Kafka. Il disait que quand il lisait ses textes à Max Brod et à ses amis, ils étaient pliés de rire. Presque tous les textes de Kafka font cet effet-là.

« Keskili » est un podcast du Monde, réalisé en partenariat avec le Salon du livre du Mans « Faites Lire !  » et animé par la journaliste Judith Chétrit. Suivi éditorial : Joséfa Lopez. Captation et réalisation : Eyeshot. Identité graphique : Mélina Zerbib, Yves Rospert. Partenariat : Sonia Jouneau, Victoire Bounine.

Judith Chetrit, Joséfa Lopez et Caroline Andrieu

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