France
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Théâtre : « LWA », les héritiers fantômes des colonies

D’emblée le ton est donné. Des jeunes en sweats et baskets, micros en main, arpentent la scène à grandes enjambées, s’interpellent, haranguent le public qui prend place, alors que défilent sur un écran géant des images d’émeutes. Couvrant le brouhaha des mots, une Marseillaise retentit tandis que s’écrit en lettres capitales le mot « Liberté ».

Pour leur nouvelle création, Camille Bernon et Simon Bourgade ont convoqué six jeunes comédiens incandescents, tous issus de l’immigration, pour raconter combien l’héritage colonial a joué et joue encore un rôle prépondérant dans l’essor des différentes formes de racisme qui gangrène la société française contemporaine.

Avec LWA, le tandem de la compagnie Mauvais Sang compose une tragédie intense mêlant temps anciens et modernes dans un triptyque où se fracassent sur les murs des cités d’aujourd’hui les trois mots de la République française. Liberté, égalité et fraternité ici associées à trois moments marquants de l’histoire de France : 1791, 1957 et 2005.

L’embrasement des banlieues

Le mot liberté est relié à l’esclavage avec l’histoire de François Makandal, un « nègre marron » condamné à mort à Saint-Domingue en 1 758 pour rébellion. La mémoire de cette figure messianique portera la révolte de ses frères quelques années plus tard, en 1791, au cours de laquelle de nombreux colons blancs furent assassinés.

Assis dos au public, capuche remontée sur la tête, le visage filmé en gros plan, l’un des acteurs se fait le héraut de ces insurgés, retraçant la déportation des Noirs d’Afrique, le travail harassant dans les plantations, les humiliations, la mort au bout du chemin…

Changement d’époque et de décor pour le mot égalité, qui renvoie à la bataille d’Alger en 1957. Le psychiatre et écrivain anticolonialiste Frantz Fanon reçoit dans son cabinet des jeunes Algériens torturés par l’armée française, mais aussi leurs bourreaux. En blouse blanche, tirant fébrilement sur sa cigarette, il interroge inlassablement ces êtres au bord du gouffre, telle cette jeune fille qui tortille ses mains ensanglantées, ce policier au visage hagard qui voit voler des papillons autour de lui…

Le mot fraternité résonne, quant à lui, de la mort de deux adolescents à Clichy-sous-Bois le 27 octobre 2005, Zyed Benna et Bouna Traoré, électrocutés dans un transformateur en fuyant la police.

Entourés d’une montagne de cartons enfermant des centaines de cahiers de doléances, les membres du collectif ACLEFEU, créé après les émeutes qui ont suivi le drame, veulent réconcilier les citoyens entre eux. Sur le devant de la scène, prenant à témoin le public, le ministre de l’intérieur fait porter aux parents la responsabilité des errements de leurs enfants…

Un spectacle cathartique

Le parti pris de Simon Bourgade et Camille Bernon est sans équivoque, frontal. Les trois événements s’enchaînent sans transition, les comédiens passant d’une époque à l’autre dans des mouvements d’ensemble habilement chorégraphiés, vêtus de leurs mêmes habits, le poing levé, criant leur révolte et leur désespoir à travers les âges.

Si les deux auteurs ont écrit leur propre partition sur ces pans de l’histoire française, ils l’ont émaillé d’extraits d’œuvres de Victor Hugo, Albert Camus ou encore Aimé Césaire… Et la force de ce spectacle cathartique tient sans doute au formidable engagement des comédiens – Salomé Ayache, Naïs El Fassi, Ahmed Hammadi Chassin, Bénédicte Mbemba, Souleymane Sylla et Jackee Toto – qui honorent, à voix haute, la mémoire des fantômes des colonies.