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« Trans, uniques en leur genre » sur M6 : De l'importance d'écouter les personnes concernées par la transidentité

Le documentaire Trans, uniques en leur genre est diffusé ce jeudi, à 21h10 sur M6, alors que le climat est à la transphobie décomplexée. En août, une simple affiche du Planning familial sur son accompagnement des hommes trans enceints a provoqué une avalanche de propos insultants et discriminatoires. Une frange minoritaire de féministes s’échine par ailleurs à exclure les femmes trans de ses luttes. A un autre niveau, le monteur avec lequel Delphine Cinier, la réalisatrice du documentaire, a l’habitude de travailler depuis huit ans a refusé de collaborer avec elle cette fois-ci. « Il m’a dit : "Ça ne m’intéresse pas, je ne veux pas les connaître [les personnes trans], ça me met mal à l’aise, je n’ai pas envie" », raconte-t-elle. Elle n’a pas pu le faire changer d’avis.

« Les gens oublient que nous sommes des êtres humains, déplore Aëla, femme trans trentenaire dont le parcours a été suivi par les caméras de la sixième chaîne. On nous réduit presque à un état de mobilier ou d’animaux qu’on aurait le droit d’attaquer comme si on était des créatures venant d’un monde parallèle. Certains n’ont pas encore le déclic de se dire "Je n’ai pas le droit de faire du mal à cette personne, même si je ne comprends pas qui elle est et ce par quoi elle passe." C’est là-dessus qu’il faut qu’on apporte une éducation et des réponses. »

« Il faut communiquer, c'est un sujet humain »

C’est ainsi pour faire œuvre de pédagogie qu’Aëla a accepté de témoigner dans le documentaire. Même chose pour Zach, homme trans de 20 ans. « Avant de découvrir ce qu’était la transidentité, j’étais mal sans savoir pourquoi. C’est grâce à la plus grande visibilité accordée à ce sujet que j’ai su que ça existait. Ne pas en parler serait nier la réalité. »

Emma, 60 ans, troisième protagoniste de Trans, uniques en leur genre, lui fait écho : « On nous a même parfois reproché de trop communiquer parce que, soi-disant, ça lasse le public. Alors, qu’est-ce qu’on fait ? On continue à se cacher ? Moi, je crois qu’il faut communiquer, c’est un sujet humain. »

Delphine Cinier reconnaît qu’elle ignorait tout de la transidentité avant de commencer le documentaire. « Je pouvais commettre beaucoup d’erreurs en parlant des personnes transgenres », admet la réalisatrice. C’est Karine Le Marchand, qui, avec sa casquette de productrice floquée Potiche Prod, lui a proposé ce projet en 2019, afin de suivre les trois témoins sur plusieurs années. « Je décide toujours d’aborder des thèmes que je ne connais pas, affirme l’animatrice de L’amour est dans le pré. J’arrive avec mon ignorance et mes idées reçues. J’ai besoin d’entrer dans la vie des gens et de comprendre qui ils sont vraiment pour ne pas en faire des caricatures d’eux-mêmes. »

Karine Le Marchand et ses gros sabots

Mais comme le dit (presque) l’adage, l’enfer est pavé de bonnes notes d’intention. A l’écran, on retrouve le style Karine Le Marchand : rôle de bonne copine à l’oreille attentive et gros sabots. Elle avance avoir montré une copie de travail du documentaire à Zach, Aëla et Emma. « Après l’avoir fait, on n’a rien changé, parce qu’on n’a pas édulcoré le propos ou modifié la réalité. Que les témoins me disent s’être reconnus est le plus beau compliment qu’on puisse me faire. »

En tant que spectateur, on peut cependant ressentir un certain malaise face à une tendance au misérabilisme ou devant les reconstitutions inutiles de certaines scènes, dont une d’agression physique, illustrant les témoignages. Le fait que les prénoms que portaient Emma et Aëla avant leur transition soient prononcés à plusieurs reprises interpellera sans doute celle et ceux qui savent à quel point l’utilisation des deadnames représente une violence pour les personnes concernées.

D’ailleurs, Zach a explicitement refusé que son prénom d’avant soit employé. « Je ne veux pas que les gens s’imaginent ma personne avec un prénom féminin. On n’a pas envie de se remémorer le mal-être dans lequel on était dans le passé », explique-t-il face caméra. Il a cependant accepté de confier des photos d’enfance, « pour témoigner une dernière fois, avant de tourner la page ». Emma, elle, a donné son consentement pour que son identité d’avant sa transition soit explicitement évoquée. « J’ai fait ma transition tardivement, je n’allais pas rejeter 60 ans de ma vie. J’ai eu une vie d’homme », précise-t-elle.

Panique morale

Mais c’est surtout le débat animé par Karine Le Marchand à 22h55, après la diffusion du documentaire, qui risque de faire des vagues. Intitulé Enfant transgenre : que faire ?, il conviera, autour de la table, Zach, témoin de Trans, uniques en leur genre, le psychiatre Serge Hefez, Solange qui, selon le communiqué de presse, est « maman d’une fille transgenre et refuse d’accompagner son enfant avant qu’il n’entame une analyse psy de plusieurs années » et Blandine, présentée comme « résolument féministe » et « opposée à la notion même du choix du genre ». On retrouve cette dernière parmi les signataires d’une tribune considérant « que les personnes trans ne devraient pas être incluses dans les espaces réservés aux femmes, ni être au centre de l’agenda féministe ».

« Le dispositif mis en place par M6 met face-à-face (...) un jeune homme transgenre et deux militantes encourageant la discrimination transphobe (punie par la loi), l'une étant présentée comme une simple mère inquiète, gage de crédibilité, alors qu'on ne laisse pas la parole à son enfant », s'indigne l'association Fransgenre dans un communiqué signé par de nombreuses organisations et collecitfs féministes et/ou luttant contre les LGBTphobies.

Le sujet de la transidentité des mineurs, très en vogue ces derniers mois dans les médias, relève d’une panique morale mêlant propos alarmistes et entreprise de désinformation, comme le rappelait Slate l’an passé. « Je comprends la prudence, c’est normal, mais il ne faut pas oublier que la loi ne permet pas de faire n’importe quoi », souligne Emma.

« On a toujours été là »

Et d’ajouter que les féministes excluant les personnes trans de leurs luttes, appelées Terf selon l'acronyme de l'expression anglophone « trans-exclusionary radical feminist », sont « un petit nombre, qui tend à grossir et fait beaucoup de bruit ». .

« Elles se battent contre le vent, réagit Aëla. Beaucoup pensent que la transidentité est un nouveau concept à la mode. Ce n’est pas le cas. Quand on gratte un peu l’histoire de l’humanité, le spectre de genre est beaucoup plus large, dans les civilisations précoloniales, en Malaisie et en Amérique du Nord, par exemple. On a toujours été là. On le sera toujours. Faire en sorte qu’on n’existe pas, c’est balayer une partie de l’humanité. Je ne sais pas analyser la peur qu’on éveille en elles. En étant juste nous-mêmes, on réveille énormément de choses inconscientes chez les gens. » Raison de plus pour écouter les personnes trans, directement concernées par le sujet, plutôt que celles qui parlent à leur place et sans savoir.