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Ukraine : la solidarité passe-t-elle par les chars ?

«J’aime jouer aux échecs. Vous devez déplacer une pièce et les autres suivront.» C’est par cette image, plutôt légère dans le contexte actuel, que le président lituanien, Gitanas Nauséda, soutenu par ses homologues polonais, finlandais et britannique, a justifié la pression croissante exercée par les dirigeants européens les plus bellicistes sur le chancelier allemand, Olaf Scholz, pour l’amener à autoriser l’exportation de chars Leopard vers l’Ukraine. S’il finit par céder, tous les pays qui en possèdent pourront en livrer à Kiev.

Ainsi pousse-t-on toujours plus loin cette redoutable fuite en avant : le Leopard est devenu le nouvel emblème de la solidarité avec le peuple ukrainien. Exprimer ses réticences quant au franchissement de ce pallier supplémentaire dans l’horreur, sans compter le risque de basculement dans la guerre ouverte Otan-Russie, est vu, peu ou prou, comme un signe d’indifférence au martyre des Ukrainiens, voire une marque de complaisance envers Poutine.

Cette stratégie de l’escalade a été lancée le 26 avril dernier sur la base militaire américaine de Ramstein, en Allemagne, par le secrétaire américain à la Défense : «Ils (les Ukrainiens) peuvent gagner s’ils ont les bons équipements», avait lancé Lloyd Austin, à partir du constat que la Russie «a déjà perdu beaucoup de capacités militaires et beaucoup de troupes (…), et nous ne voudrions pas qu’elle puisse rapidement reconstituer ses capacités». Neuf mois ( !) et plusieurs dizaines de milliards de dollars d’aide militaire plus tard, où en sommes-nous ? Moscou, à coup sûr, a subi des pertes humaines et matérielles colossales, mais les Ukrainiens se sont-ils rapprochés pour autant d’un iota de la paix, malgré l’enfer quotidien qu’ils ont subi ? Quel nouveau seuil d’armement faudra-t-il franchir quand on constatera que les fameux chars n’ont pas arrêté l’agression russe ?

Est-ce manquer de solidarité avec le peuple ukrainien que de reconnaître, à l’instar d’un autre haut gradé américain, le chef d’état-major des armées en personne, que «la victoire n’est probablement pas réalisable par des moyens militaires» et qu’«il faut donc se tourner vers d’autres moyens» ? C’était il y a plus de deux mois ! (1) Ces «autres moyens» existent. Ils consistent, par exemple, à l’opposé du pari sur la «victoire» militaire, dans la tenue de discussions exploratoires avec des pays tels que la Chine, l’Inde – non sans influence sur le pouvoir russe et, à l’évidence, opposés à cette guerre – ou/et avec tout autre pays en mesure de peser positivement sur le Kremlin, afin de tenter l’impossible pour faire taire les armes et entamer les incontournables pourparlers entre Kiev et Moscou ?

Au point de férocité et de haine réciproque où en est arrivé ce conflit, aucun des deux belligérants ne prendra de sitôt l’initiative de cette issue pourtant indispensable. Raison de plus pour ne pas, de l’extérieur, jeter de l’huile sur le feu, mais pour, au contraire, consacrer désormais tous les efforts à la recherche de la moindre «fenêtre d’opportunité» susceptible de donner une chance à la paix.