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« Un passage vers le Nord », d’Anuk Arudpragasam : cendres du deuil au Sri Lanka

Les funérailles d’une seule femme valent pour tous ceux qui n’en ont pas eu. Anuk Arudpragasam livre un étonnant roman de l’après-guerre civile.

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« Un passage vers le Nord » (A Passage North), d’Anuk Arudpragasam, traduit de l’anglais (Sri Lanka) par Dominique Vitalyos, Le Bruit du monde, 320 p., 22 €, numérique 17 €.

Ils sont loin de la guerre. Et pourtant, les ravages qu’elle cause en eux sont réels. Sans doute tous les civils de toutes les diasporas font-ils un jour l’expérience de ce traumatisme. Mais Krishan, le jeune héros d’Anuk Arudpragasam, échoue à le surmonter. Même lorsque les atrocités ont cessé, il se sent privé des siens, injustement à l’abri. Coupé et coupable.

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Ce double sentiment forme le point de départ d’Un passage vers le Nord, le deuxième roman de l’auteur sri-lankais de langue anglaise et d’origine tamoule. Né à Colombo, en 1988, et ayant étudié aux Etats-Unis, Anuk Arudpragasam s’est fait connaître en France avec Un bref mariage (Gallimard, 2016), premier récit impressionnant de maîtrise et d’intensité, où il mettait déjà en scène un jeune garçon pris dans les remous de la guerre civile sri-lankaise – qui fit rage entre 1983 et 2009, opposant la majorité cinghalaise à la minorité tamoule, et se soldant par environ 200 000 morts.

Quand s’ouvre Un passage vers le Nord, les hostilités sont terminées. C’est sur ­Internet que Krishan, qui vient du sud de l’île et a étudié à Delhi, a fait « l’expérience du génocide sans y être » – « génocide » étant le terme employé par les Tamouls pour qualifier les menées des Cinghalais à leur encontre. Sa « honte » n’est plus tenable. Il est rentré à Colombo, où il tente de l’apaiser en travaillant pour une ONG locale – sans grande illusion sur le résultat de son action. C’est alors qu’il reçoit un coup de téléphone l’informant de la mort inattendue de Rani, la femme qui s’occupait de tout dans la maison familiale, notamment d’Appamma, sa grand-mère. Rani s’était rendue dans sa province, au nord-est du Sri Lanka, c’est-à-dire sur les lieux des combats, pour honorer la mémoire de ses deux fils ­disparus. Sans hésiter, Krishan décide de quitter Colombo pour aller assister à sa crémation. C’est ce voyage qui forme la colonne vertébrale du roman. Trois cents kilomètres sur trois cents pages, au fil desquels, loin de toute féerie exotique, la grande et la petite histoire cinghalaise – sort des Tamouls, mort de Rani – se superposent. Et, à l’issue de ce périple, Krishan aura comme exorcisé la violence, si douloureusement virtuelle et abstraite, qui l’empêchait de vivre.

Le temps comme la géographie jouent un rôle-clé

Un passage vers le Nord est paradoxalement le roman d’une libération, d’un allègement par le deuil. Où les funérailles d’une seule femme valent pour tous ceux qui n’en ont jamais eu. Et où le temps comme la géographie jouent un rôle-clé pour « déterrer l’horreur enfouie », accepter d’y « croire complètement ». « Les champs de crémation étaient toujours situés un peu à l’écart des agglomérations à cause de l’impureté attribuée aux rites funéraires, écrit Arudpragasam. Krishan le savait, mais il se demandait à présent si cette distance n’avait pas aussi à voir avec le processus de deuil, si elle n’entendait pas donner aux membres de la famille qui portaient la jarre et le corps un sens plus aigu de la matérialité de leur perte. »

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