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Un ticket pour le Met

Il est bien modeste, ce petit ticket en carton orangé… Le 19 novembre 1927, le peintre Edward Hopper (1882-1967) l’a présenté à l’entrée du Metropolitan Opera. Il occupait la place 52 d’une Grand Tier Box et, en cette matinée d’automne new-yorkais, Aida de Verdi était au programme. Comment le sait-on ? Le peintre conservait la trace de ses nombreuses sorties et notait sur chaque ticket le nom du spectacle correspondant.

Peintre du silence

De toutes les couleurs, ces humbles témoignages composent une frise étonnamment émouvante, longuement déroulée dans l’une des vitrines de la formidable exposition que le Whitney Museum consacre jusqu’au 5 mars aux liens entre Hopper et sa ville de New York.

Magnifiquement accrochée, riche d’une multitude de pièces provenant de maintes collections, américaines notamment, elle attire un public émerveillé. À l’instar du silence qui se dégage des œuvres – et qu’avait si bien analysé Emmanuel Pernoud dans son Hopper. Peindre l’attente, aux Éd. Citadelles & Mazenod –, les visiteurs contemplent calmement les vues extérieures et les ambiances intimes des toiles, des aquarelles et des dessins.

Un ticket pour le Met

Edward Hopper, New York Movie, 1939. Oil on canvas, The Museum of Modern Art; given anonymously. / 2022 Heirs of Josephine N. Hopper/Licensed by Artists Rights Society (ARS), New York. Image courtesy Art Resource

Çà et là, seuls quelques légers chuchotements pour évoquer un lieu disparu, une lumière familière caressant un pan de toiture, un cadrage étrange si caractéristique. Et, flottant sur les lèvres, des sourires reconnaissants un peu tristes, comme devaient l’être l’artiste et son épouse, fervents défenseurs du patrimoine architectural d’une cité dévorée par la modernité, jusqu’à en oublier son passé pourtant si peu ancien…

Temps suspendu, temps fugace

Le Met où Hopper applaudit Aida n’est plus le même aujourd’hui. Au bâtiment historique dessiné par J. Cleaveland Cady et inauguré en 1883, succéda en 1966 l’actuel vaisseau amiral du complexe culturel situé au Lincoln Center. C’est depuis la gigantesque salle de 4 000 places, éclairée de spectaculaires lustres Swarovski, que sont régulièrement retransmises plusieurs représentations lyriques de la saison, en « live », dans les cinémas du monde entier.

Samedi 10 décembre, The Hours de Kevin Puts est à l’affiche, inspiré du roman de Michael Cunningham – qui avait déjà donné lieu au film multiprimé de Stephen Daldry en 2002. Comme son nom l’indique, l’ouvrage déploie une variation sur le temps qui passe, celui qui reste et celui qui est définitivement révolu, à travers le regard de trois femmes d’époques différentes.

Au Met, usant d’espaces cinématographiques mouvants en osmose avec la partition aisée et fluide, la mise en scène de Phelim McDermott rend-elle hommage, même implicitement, à Edward Hopper ? Peut-être. Elle évoque, en tout cas, ces ambiances suspendues, ces interstices où l’infime se dilate et, soudain, revêt une importance, une valeur, un précieux insoupçonné.

Petits riens

L’exposition du Whitney Museum nous offre tant de toiles qui disent tant en montrant si peu. Venu du Musée d’art moderne de San Francisco, L’Entracte (1963) surprend une ouvreuse blonde de noir vêtue, assise au premier rang d’une salle vide. Les bras le long du corps expriment une lassitude douce, un relâchement bienvenu. Quant au geste du pied gauche qui fait légèrement glisser l’escarpin, histoire de libérer un instant la peau de son élégant carcan de cuir, il diffuse et répand une émotion intense. Celle, si mystérieuse, en peinture comme en musique, des petits riens qui changent tout.