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Uniforme : en Martinique, un outil pour préserver «l’ordre scolaire» qui «ne fait pas partie du débat»

Il aura suffi d’une phrase pour raviver un débat en forme de serpent de mer scolaire. «Je suis pour le port de l’uniforme simple et pas tristoune», a déclaré mercredi Brigitte Macron dans un entretien accordé au Parisien-Aujourd’hui en France. La prise de position de l’épouse du Président a suscité de nombreuses et vives réactions, la gauche l’accusant de faire le jeu du Rassemblement national, qui défendait le jour même une proposition de loi visant à rendre l’uniforme obligatoire à l’école. Mais à 7 000 kilomètres de la métropole, en Martinique, la polémique ne semble pas avoir atteint le 97e département français.

Si le port de la tenue réglementaire a été banni des écoles publiques après mai 1968, la pratique a d’abord survécu dans les collèges de Martinique, restée fidèle à un modèle éducatif répandu dans les Caraïbes depuis plus d’un siècle. «Cela s’inscrivait dans une dynamique globale d’équité et d’accès facilité à la scolarité avec le prêt de livres, la mise en place de transport scolaire, d’aides financières dans une ancienne colonie marquée par les inégalités», expose la sociologue martiniquaise Maëva Duverger.

Les écoles maternelles et primaires puis les lycées de l’île l’ont ensuite progressivement rétabli au tournant des années 2000. Le dispositif n’est pas du ressort du rectorat, il incombe à «chaque établissement, voté par la communauté éducative, parents inclus» de le rendre obligatoire ou non. «La mesure a plutôt été bien accueillie voire encouragée sauf au niveau du secondaire car le passage du collège au lycée, avec la fin de l’uniforme, représentait une étape importante pour l’adolescent», se remémore Maëva Duverger. Néanmoins, la sociologue estime que «l’uniforme ne fait pas partie du débat en Martinique, peut-être parce qu’on vit encore dans une société où le sens du collectif, de l’appartenance est vraiment très fort».

Le sociologue et maître de conférences à l’université des Antilles Michel Tondellier, auteur d’une étude sur le sujet, émet une hypothèse sur la généralisation du phénomène : «Il y a une vingtaine d’années, de nombreuses agressions ont eu lieu dans les établissements scolaires. L’uniforme a pu être pensé comme une réponse sécuritaire à l’intrusion et au racket.» Sécurité et équité sont ainsi des arguments régulièrement mis en avant par les acteurs sociaux de l’éducation et les parents d’élèves pour souligner l’utilité de la tenue.

Dans les faits, le chercheur balaie ce qu’il considère comme des «idées faiblement étayées». «Vouloir gommer des différences, c’est mal connaître les compétences des élèves pour catégoriser socialement leurs camarades. Et il n’a pas été prouvé que l’uniforme réduise les violences», insiste-t-il. Un tiers des 345 établissements publics de l’île avait décidé de l’imposer en 2014, selon les dernières données en date. Les spécialistes s’accordent à dire que leur nombre est aujourd’hui plus important, preuve que l’argumentaire fonctionne malgré tout.

Selon l’étude menée par le chercheur, l’institution scolaire valorise des «masculinités et féminités neutres». «La menace propre à troubler l’ordre scolaire en Martinique relèverait des jeunes corps érotisés et de la violence», peut-on lire dans celle-ci. D’après Michel Tondellier, l’uniforme entreprend donc de gommer la «sexualisation des corps», «l’esthétique de la fille facile» en essayant de garder l’étudiante dans l’enfance. Côté masculin, c’est l’expression du «bad boy», «l’univers du rappeur» qu’on chercherait à éluder.

«Jusqu’où donne-t-on le droit à l’institution de définir ce qu’on peut mettre ?»

«Je ne remets pas en doute la bonne volonté de l’institution mais elle projette sur des enfants et adolescents, des pratiques d’adulte, observe le chercheur. On constate une confusion entre ce que l’enfant affiche comme caractéristiques et ce qu’il est vraiment.» Le sociologue y voit la marque d’un paysage scolaire «conservateur», affecté par «le poids de certaines formations religieuses» catholiques comme protestantes, hérité de la période coloniale.

D’autant que chaque établissement suit sa propre politique et peut décider d’aller plus loin que la simple tenue réglementaire. Coiffure, pilosité faciale, port de bijoux peuvent également être épinglés. Si Maëva Duverger trouve que le dispositif comporte certains avantages, notamment financier et de gain de temps pour s’habiller le matin, elle tient à distinguer uniforme et «uniformisation».

«Jusqu’où donne-t-on le droit à l’institution de définir ce qu’on peut mettre ou ne pas mettre, ce qui est bien ou de ce qui mal ? interroge-t-elle. Il y a une différence entre organiser un fonctionnement et effectuer un contrôle total.» La sociologue pointe le rôle du débat démocratique pour éviter les dérives. Un débat, dont les principaux intéressés, enfants comme adolescents, sont pour le moment exclus.