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Vider les prisons tout en diminuant la criminalité : la méthode néerlandaise

Une prison aux Pays-Bas

© MARCO DE SWART / ANP / AFP

Innovation et prise de risques

Un phénomène très instructif, du point de vue criminologique, a eu lieu aux Pays-Bas ces dernières années.

Pierre-Marie Sève est délégué général de l'Institut pour la Justice. 

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Si les mafias liées au trafic de drogue ont beaucoup fait parler d’elles ces derniers mois, on a moins parlé de la diminution réelle et constatée de la délinquance générale aux Pays-Bas ces dernières années.

En effet, au début des années 2000, les Pays-Bas faisaient face à deux phénomènes : une forte insécurité et, d’autre part, des coupes budgétaires importantes.

Malgré les limites des statistiques de la délinquance, il reste vrai que statistiquement, la délinquance y était, à l’époque, même plus élevée qu’en France.

Pour régler ce problème, il a fallu innover et prendre des risques. Les gouvernements successifs néerlandais ont alors élaboré une nouvelle politique pénale basée sur un principe de base de la criminologie : « La certitude d'une peine, même modérée, fera toujours plus d'impression que la peur d'une autre, même plus terrible, mais qui serait souvent inappliquée. »

Ce principe, issu de la pensée du père de la criminologie moderne, le juriste et philosophe italien Cesare Beccaria, estime donc que dans l’esprit du délinquant, la certitude de la peine est plus importante que sa sévérité (qui peut aussi avoir de l’intérêt criminologique).

C’est la base de la dissuasion judiciaire.

Ce principe a été remis à la mode en 2004 par un juge fédéral d’Hawaï aux Etats-Unis. L’exemple est très parlant. Ce juge, Steve Alm, voyait régulièrement des toxicomanes à la dérive qui se complaisaient plus ou moins dans une vie de petite délinquance. Les agents de probation en charge de leurs dossiers avaient une tendance à fermer les yeux de nombreuses fois avant la goutte de trop, qui intervenait à un moment très imprévisible.

Ce juge a inversé les choses. Il a établi une règle claire : les toxicomanes seraient testés pour leur consommation de drogue régulièrement et aléatoirement. Au moindre test positif, les toxicomanes seraient envoyés en prison pour quelques jours, sans aucune négociation possible.

Les résultats ont été excellents. La moitié des toxicomanes ne furent plus jamais testés positifs et ont pu sortir de la drogue et la moitié a cessé de consommer après un passage en prison.

Fort de son succès, ce programme a d’ailleurs été dupliqué dans plusieurs Etats américains. Il a même fait des vagues jusque de l’autre coté de l’Atlantique puisque les Pays-Bas ont décidé de mettre en place cette méthode.

Ainsi, aujourd’hui, on incarcère beaucoup plus souvent aux Pays-Bas qu’en France, de l’ordre de 250 entrées pour 100 000 habitants contre 130 en France. Mais les incarcérations sont beaucoup moins longues. On incarcère environ pour 2,9 mois aux Pays-Bas, pour 9 mois en France.

Les résultats sur la criminalité ne se sont pas fait attendre. Non seulement, la population de détenus a lentement décru d’environ la moitié de ce qu’elle était en 2003, ce qui a permis de fermer près de 25 prisons, mais la criminalité générale a baissé. Les cambriolages ont ainsi baissé de 21% entre 200_ et 2015. Les agressions ont baissé de 30%, les agressions sexuelles ont baissé de 28%.

Et pourtant, en France, on fait exactement l’inverse : les courtes peines ont très mauvaise presse. L’argument utilisé est qu’elles désocialiseraient inutilement les condamnés ! Le rapport Raimbourg sur l’encellulement individuel établissait ainsi que les peines de moins de 6 mois constituent 31% des peines aux Pays-Bas, alors qu’elles ne représentent que 18% des peines en France.

Et dans cette lignée idéologique, la réforme Belloubet de la Justice de 2019 a purement et simplement interdit les courtes peines ! Bref, nous sommes à mille lieux des Pays-Bas en matière de pragmatisme pénal.

Ce principe de certitude de la peine est un élément parmi plusieurs dans une justice équilibrée et efficace. Il ne faut pas oublier non plus que la délinquance reste élevée aux Pays-Bas, qui souffrent notamment d’une forte urbanisation, ce qui est un élément criminogène. Mais néanmoins, les résultats spectaculaires obtenus à chaque fois que ce programme a été mis en place sont un plaident clairement pour que la France, à la situation sécuritaire délétère, s’en inspire. Amsterdam n’est qu’à 3 heures de Thalys…

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