France
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Viennent de publier : Sigolène Vinson, Colette Andris, Philippe Grosos...

Romans

Jérôme Lefilliâtre, les Falaises de Flamanville

Seuil, 333 pp., 20,50 €.

A l’heure où l’on reparle du programme nucléaire français, auquel Emmanuel Macron souhaite donner un nouveau départ, ce roman éclaire un pan passionnant de l’histoire industrielle française : ces mois de 1974 et 1975 durant lesquels les habitants de Flamanville se sont déchirés à l’annonce de la possible construction d’une centrale sur leur côte, à l’emplacement d’une falaise vouée à être détruite. Arguments environnementaux contre revitalisation économique, ce débat reste d’actualité et il est raconté ici via des personnages hauts en couleur : le maire, homme simple et pragmatique qui voit surtout les avantages de l’affaire pour la région ; la châtelaine solitaire et désargentée qui envisage d’abord les désastres écologiques, les jeunes profs écolos, les agriculteurs, les pêcheurs, un SDF que chacun croit fou et jusqu’à René Dumont qui fait une apparition pour contester le projet. Tous ont l’exemple de l’usine de La Hague, non loin, qui a déjà divisé la population locale car bâtie sur un site exceptionnel. «Les amoureux de la nature parlaient d’un lieu farouche et magnifique ; d’autres, plus terre à terre disaient qu’il était fruste et désolé», écrit Jérôme Lefilliâtre, grand reporter à Libération. A.S.

Sigolène Vinson, la Palourde

Le Tripode, 170 pp., 19 €.

Une centrale hydraulique menace l’écosystème d’une lagune en y déversant de l’eau douce. Les palourdes se meurent et tout sombre avec elles, nature comme humains, dans un entre-deux mortifère et fantastique aux allures de conte : les mouettes parlent, un paon devient un chien, une vieille dame prédit l’avenir… Engourdie par la lourdeur moite de la canicule qui s’est abattue sur le village de pêcheurs où elle vit, la narratrice cherche à savoir si «tout a commencé par la mort des palourdes» ; en remontant la piste, elle tombera sur sa dernière histoire d’amour, avec la mort faite homme. Dans ce roman à l’humour piquant, où la bascule entre l’oubli et le souvenir, le rêve et la réalité ne tient qu’à un fil, Sigolène Vinson écrit la nécessité de croire pour survivre. C. G-P

Anne Sénès, Chambre double

Le Bruit du Monde, 224 pp., 20€.

Paris, aujourd’hui : Stan ne compose plus rien depuis des semaines. Auparavant, son piano vibrait à Londres sous le regard amoureux de Liv, la mère de sa fille. Obnubilé par ses souvenirs, il se soucie peu de sa nouvelle épouse. Elle part en vacances sans lui. Tant mieux, il en profitera également. Ces quelques jours en solitaire, il les passe avec Laïvely, l’intelligence artificielle qui trône dans le salon. Mais elle est bien plus : elle soupire, sifflote et parle. De quoi intriguer le narrateur qui croit apercevoir en cette enceinte connectée «le reflet de l’âme imparfaite de ma compagne ? Ou imaginais-je des choses qui n’existaient pas pour peupler la solitude intérieure dans laquelle m’avait laissé le décès de mon amante ?» D’une époque et d’un lieu à l’autre, le constat est le même : les relations se fissurent et «menacent de devenir les failles qui nous ­engloutiront». C. G-D

Colette Andris, la Femme qui boit

Préfaces de Nathalie Kuperman et Léonie Pernet, Gallimard «l’Imaginaire», 168 pp., 9 €.

Colette Andris (1900-1936), devenue danseuse nue (notamment aux Folies-Bergère) après avoir obtenu une licence de lettres, publia ce roman en 1929, son premier (deux autres suivront), dont le titre est un programme : Guita est une «femme qui boit». A l’adolescence, alors qu’il est «évident qu’elle est grise», Jacques la couvre de baisers, la touche, avant qu’elle comprenne «qu’elle n’avait jamais voulu cela». «On est bête à seize ans, n’est-ce pas ? Guita, peu après, se crut obligée d’épouser Jacques. D’ailleurs, lui l’aimait. C’était toujours ça, un heureux sur deux !...» A 22 ans, elle est veuve et traîne dans les cafés, à Montmartre et ailleurs, eux «dont l’hospitalité banale réchauffe le cœur de ceux qui n’ont pas su créer le bonheur sous leur toit». Un jour, elle y rencontre Jeanne, une femme d’une cinquantaine d’années, alcoolique comme elle : «Ecoutez-moi, mon petit, je vous connais assez pour vous avoir vue bien souvent, trop souvent. Arrêtez-vous.» Guita, «sylphide éméchée», grisette tragique, ne s’arrêtera pas. A la question «la mort ?» elle répond : «M’en fous.» T.St.

Récits

Mathieu Persan, Il ne doit plus jamais rien m’arriver

L’Iconoclaste, 256 pp., 20 €.

Mathieu Persan raconte l’histoire du cancer et de la mort de sa mère. Du lourd donc, mais si l’on ouvre d’abord le livre avec circonspection, il est vrai que l’on commence assez vite à sourire, d’abord un peu, puis presque en permanence. Voilà, c’est à peu près ce que ça donne parce que l’auteur ne nous épargne aucun détail. Il aurait pu aussi nous glisser le dossier de la patiente entre les pages. Alors forcément, lorsque les faits se substituent à ce point à la description de la douleur, ça fait un choc mais c’est justement de ce choc que naît le rire. Un rire qui ne cesse ­dirait-on d’agiter les prota­gonistes, à commencer par cette mère aussi pragmatique qu’irrationnelle, qui en sacrifiant sa vie à ceux qu’elle aime leur a offert l’infini et qui lui doivent donc justement bien ça : un rire immense, torrentiel, pétri de larmes et de bonheurs. N.A.

Françoise-Marie Santucci, A la recherche des odeurs perdues

Grasset, 224 pp., 20,90 €.

Ne plus sentir le laurier rose des sentiers escarpés ou l’immortelle du maquis corse, donner à tous les vins la même note, à chaque parfum un fond d’oignon… Perdre l’odorat avant le Covid, comme c’est le cas de Françoise-Marie Santucci, journaliste (longtemps à Libération) et autrice, était gage de solitude et d’incompréhension générale. Atteinte d’anosmie suite à un accident de voiture, elle a décidé d’enquêter sur ce mal alors méconnu pour mieux l’amadouer et chasser la mélancolie. Elle s’est dès lors intéressée à l’origine des odeurs, à leur cheminement dans le corps, a cherché les mots pour les décrire et les remèdes pour enfin retrouver ce «goût» des bonnes et des mauvaises choses. Amatrice de parfums et de vins, Françoise-Marie Santucci a presque tout tenté pour retrouver les plaisirs olfactifs et ne plus ressentir ce manque cruel. M.Ott.

Philosophie

Philippe Grosos, la Philosophie au risque de la préhistoire

Préface de Jean Guilaine, Cerf, 208 pp., 18 €.

Professeur de philosophie à l’université de Poitiers, Philippe Grosos est désormais considéré, en raison d’ouvrages tels que Des profondeurs de nos cavernes, comme un spécialiste de la préhistoire et de l’art paléolithique – «objets» qu’il regarde d’un œil quelque peu différent de celui des préhistoriens attitrés. Son nouvel essai vient l’attester : c’est la philosophie qui est observée, mais à travers le filtre de la préhistoire et des enseignements que l’on peut tirer entre autres de la paléo-archéologie. La question de départ est une sorte d’œuf de Colomb, qui fait dire, oui, c’est vrai, pourquoi n’y a-t-on pas pensé avant : quand on fait naître la philosophie en Grèce, au Ve siècle avant ­notre ère, la fait-on naître de «rien» ? Fait-on comme s’il n’y avait rien eu aupa­ravant, comme si l’écriture, la poterie, l’agriculture, n’avaient pas déjà été inventées, comme si les peintures rupestres du Néolithique, montrant des «scènes de chasse, de cueillette ou de récolte», n’avaient pas déjà mis l’homme «au centre des représentations, et donc des préoccupations», comme si n’étaient pas déjà apparues «les inégalités sociales, les rapports d’exploitation, la société de classe» – bref, comme si n’étaient pas déjà présents tous les problèmes (le rôle de l’Etat, la justice, les iné­galités, la vérité…) pour ­lesquels la philosophie qui naîtra en Grèce essaiera de trouver des solutions ? De là la nécessité, propose Philippe Grosos, d’une «archéologie de la philosophie» – où archéologie n’aurait ni le sens que lui donne Husserl, ni celui que lui donne Michel Foucault. R.M.

Photographie

Guillaume Blot, Rades

Préfaces de Pierre Adrian et Philibert Humm, Hoëbeke, 176 pp., 28 €.

Vous aimez les cacahuètes de comptoir ? Ce livre est fait pour vous ! Photographe, Guillaume Blot est de ceux qui observent un moment et laissent traîner l’oreille avant de dégainer le boîtier. L’un de ses terrains de prédi­lection, ce sont les troquets du coin, qu’il immortalise depuis 2019. La moustache hors du temps d’un taulier (comme celle de Fabrice au Café de la Place de Brieulles-sur-Bar, ça ne s’invente pas !), ou la souplesse naturelle de Georges (habitué du Maeva à Saint-Mammès), sont autant de fragments d’estaminets – il en reste 40 000 aujourd’hui en France – que Guillaume Blot récolte au fil du hasard ou des recommandations. Une balade, de zinc en terrasse plastique, avec un œil bienveillant, avide de détails de déco kitch et de dégaines qui tapent dans l’œil. Bar des Sports, Café du coin et autres Bistrot des familles nous servent leurs cafés serrés ou ballons de rosé tout en couleur locale. Un ­livre qui ne servira pas de sous-bock. N.D.