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À Nanterre, avocats et magistrats contre-attaquent

D’ordinaire, ils s’affrontent dans les salles d’audience. Ce mardi 29 novembre, ils étaient côte à côte à la tribune. Afin de tenter de sauver leur tribunal du « naufrage », avocats et magistrats de Nanterre ont décidé de faire cause commune, en lançant une procédure inédite pour faire reconnaître la pénurie de personnels qu’inflige la Chancellerie à leur juridiction. Une pénurie qui sévit depuis plus de dix ans, mais qui vient d’aboutir à un drame traumatisant pour toute une institution : la mort, le 18 octobre dernier, en pleine audience, d’une juge de 44 ans, Marie Truchet, devenue le symbole de professionnels surmenés et à bout de souffle.

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Pour « forcer la Chancellerie à sortir de son pesant silence et à s’expliquer », les robes noires et rouges ont choisi, sans surprise, l’arme du droit. Le Barreau des Hauts-de-Seine et l’association des magistrats du Tribunal judiciaire de Nanterre viennent ainsi de former, devant le Conseil d’État, un « recours pour excès de pouvoir » à l’encontre du ministère de la Justice. Ils visent un texte en particulier : la Circulaire de localisation des emplois, souvent évoquée via son acronyme de CLE, qui définit le nombre maximum de magistrats auquel peut prétendre chaque juridiction de France. À Nanterre, ce nombre a été fixé pour 2023 à 109 magistrats du siège, contre 108 en 2019, et 37 magistrats du parquet, contre 36. Une hausse minimaliste, prise sans aucun critère objectif, et de fait « pas du tout à la hauteur » des besoins réels du tribunal (évalués a minima à 50 postes supplémentaires de magistrats), ni de la dégradation des conditions de travail des personnels de justice, ont clamé mardi l’ensemble de ces professionnels.

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«On nous demande de faire du Tati, pas du Dior »

« Quand je suis revenue à Nanterre, il y a cinq ans, on m’a dit clairement : «Vous n’êtes pas ici pour faire du Dior, mais du Tati». Au mieux, les plus persévérants d’entre nous - comme c’était le cas de Marie Truchet - arrivent à faire du Monoprix… » image la magistrate Dominique Marcilhacy, vice-présidente du tribunal et déléguée de l’Union syndicale des magistrats (USM), à l’origine de cette initiative. En clair, la juridiction est totalement submergée - et ses agents avec - par un contentieux qui n’a plus aucun rapport avec ses moyens humains. Les conséquences ? Des audiences qui s’éternisent jusqu’au milieu de la nuit, des magistrats qui rédigent leurs décisions pendant leurs congés ou leurs week-ends, et des délais qui s’éternisent malgré tout, pour le plus grand malheur des justiciables…

« On n’y arrive pas, la situation est catastrophique, poursuit la collègue de Marie Truchet, qui officie au pôle correctionnel. Dans mes audiences consacrées aux violences conjugales, je renvoie systématiquement 30 % des affaires, faute de temps pour les traiter. Et ces renvois sont à plus d’un an… Je vous laisse imaginer les conséquences pour les gens. Rien que dans notre pôle correctionnel, nous avons aussi 55 dossiers dont l’instruction est terminée, pour des faits graves comme des incestes, qui attendent un procès, mais pour lequel on est incapable de fixer une date d’audience. »

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La spécificité du tribunal de Nanterre n’est pas prise en compte

Afin de constituer leur dossier, avocats et magistrats ont sondé tous les étages du Palais de Justice et un constat s’impose : la bérézina concerne tous les services. Ainsi, la 7e chambre, qui se consacre aux litiges liés à la construction, croule littéralement sous les dossiers : « entre 1 600 et 1900, pour seulement trois magistrats, sans aucun juriste assistant pour les aider, précise Mariannig Imbert, également fondatrice de l’association des juges locaux. Or, ce sont des dossiers volumineux, techniques, complexes, avec des enjeux financiers considérables, qui touchent au Grand Paris Express, aux JO 2024 ou encore aux tours de la Défense. Chaque affaire demande un temps énorme, et cela peut prendre six ou sept ans pour rendre une décision. Quel sens cela a-t-il ? »

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C’est cette spécificité du tribunal de Nanterre que tous aimeraient voir prise en compte. « Les Hauts-de-Seine, c’est 4 % du PIB français, le centre d’affaires de La Défense (1er en Europe et 4e dans le monde), plus de 159 000 entreprises, dont douze du CAC 40, et de nombreux sièges sociaux, dont les décisions impactent parfois des salariés dans toute la France, voire le monde », explique l’avocate Isabelle Clanet-Dit-Lamanit, future bâtonnière. D’où un contentieux colossal en matière de droit pénal du travail (entrave à la liberté syndicale, accidents du travail, travail dissimulé…), de conflits collectifs liés au travail, ou encore de prud’hommes. « Aujourd’hui, un salarié qui veut porter son licenciement devant les prud’hommes ne verra pas son affaire jugée avant l’été 2026… Et si les conseillers prud’homaux sont en désaccord, il faut rajouter encore deux ans d’attente », se désole l’avocate Sophie Caubel, une habituée du pôle social du tribunal. Pour les affaires familiales, c’est à peine mieux, d’autant que les patrimoines concernés sont parfois aussi très volumineux. Une fois tous les documents transmis, impossible d’espérer obtenir une audience pour un divorce en moins d’un an. Et en cas de désaccord sur une pension alimentaire ou sur la garde des enfants, les délais sont encore plus « déraisonnables » : il vous faudra patienter entre 15 et 18 mois… « Cela exacerbe les tensions au sein des couples et peut être à l’origine de problèmes supplémentaires, comme des violences ou du harcèlement », pointe Dominique Marcilhacy.

Le garde des Sceaux présente son « plan d’action » ce mercredi

Devant l’urgence de la situation, avocats et magistrats ne se sont pas contentés du recours pour excès de pouvoir, qui peut prendre plusieurs mois, voire années, avant d’être tranché par le Conseil d’État. Le 15 novembre dernier, ils ont aussi formé un « référé suspension » contre la circulaire CLE, afin de la faire annuler. Cette voie permet normalement d’obtenir une décision « en quelques semaines ». Pour faire pression sur le garde des Sceaux, qui doit présenter ce mercredi son « plan d’action » issu des États généraux de la Justice, les professionnels en ont aussi appelé, mardi, aux élus. « Ils peuvent compter sur nous, a d’ores et déjà répondu la députée PCF-Nupes Elsa Faucillon, présente à la conférence de presse, avec son collègue Aurélien Saintoul (LFI-Nupes). Nous allons auditionner le ministre la semaine prochaine et on portera le fer, aussi, lors des discussions sur la future loi justice. Gérald Darmanin a obtenu 15 milliards d’euros pour la police, pas M. Dupont Moretti. Quand on entend les mots forts des personnels de justice, on ne peut que regretter cet arbitrage. »

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