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À Nantes, une Folle Journée en mode nocturne

Au-delà du plaisant paradoxe de son intitulé – une « Journée » placée sous l’aile de la nuit – le thème du long week-end qui s’ouvre ce 1er février se révèle d’une immense et stimulante richesse. « La nuit est peut-être le moment privilégié des musiciens », confirme d’emblée Rodolphe Bruneau-Boulmier, musicologue, compositeur (1), qui donnera plusieurs conférences parallèlement aux concerts nantais.

« Alors que les peintres ont besoin de la lumière, les compositeurs se sentent chez eux au cœur de la pénombre. » Elle qui suspend le temps, échappe au cadran de l’horloge, protège les hardiesses et les divagations, « lave l’esprit », selon l’expression de Delacroix. Que l’on veille ou que l’on rêve, à l’écoute de ce « fantôme vagissant, on ne sait d’où venu », invoqué par Baudelaire dans La Voix,« qui caresse l’oreille et cependant l’effraie ».

Des formes nocturnes

Ce compagnonnage entre la musique et la nuit a donné lieu à des formes codifiées, tels le Nocturne, la Sérénade, la Berceuse. « Elles évoluent dans leur style et leurs intentions au fil du temps », souligne le musicologue Patrick Barbier, lui aussi conférencier invité par La Folle Journée. « Au XVIIIe siècle, ce sont de plaisants divertissements à la lueur des flambeaux, telle la fameuse Petite Musique de nuit de Mozart. L’expression des sentiments romantiques les colore ensuite d’une tonalité plus introspective, mélancolique, comme Chopin ou avant lui l’Irlandais John Field nous le montrent dans leurs Nocturnes pour piano. »

Plus tard, ceux inspirés à Claude Debussy par des toiles de Whistler seront « marqués par les sensations visuelles, les images de la nuit », poursuit Patrick Barbier. Avec le metteur en scène Pierre Lebrun, le musicologue a d’ailleurs consacré un spectacle destiné aux lycéens des Pays de la Loire, pour explorer ce thème inépuisable.

Les quelque 270 concerts de La Folle Journée vont aborder des territoires ombreux certes mais avant tout infiniment contrastés. Fin connaisseur du répertoire espagnol, Rodolphe Bruneau-Boulmier se plaît à en préciser les contours : « La dimension mystique attachée à la nuit y est essentielle, héritée notamment de Thérèse d’Avila et Jean de La Croix. Les partitions nocturnes de Federico Mompou (1893-1987) et Maurice Ohana (1913-1992) en sont tout imprégnées, dans une filiation avec la musique de Cristobal de Morales (1500-1553), ce grand compositeur de la nuit mystique. »

Différents visages de la nuit

Au cœur des ténèbres, que de sensations douces ou angoissées, caressantes ou terrifiantes ! Sous la plume géniale d’Hector Berlioz, voici les grincements hallucinés, le cliquetis des ossements et les plaintes des âmes damnées de la Nuit de Sabbat qui conclut sa Symphonie fantastique, et voilà, à l’opposé, les parfums entêtants, les brises délicieuses et les tendres confidences sous le ciel étoilé de Roméo et Juliette.

Royaume de l’amour et de la peur, de la féerie (celle du Songe d’une nuit d’été shakespearien revisité notamment par Mendelssohn et Britten) et du cauchemar, la nuit semble en prise directe avec le sens caché du monde, dans son entièreté comme dans le détail de chacune de nos psychés. Et si les compositeurs classiques s’en délectent, n’oublions pas que le jazz en quête de la « note bleue » – déjà entendue par George Sand sous les doigts de Chopin – ou le rock, partagé entre une imagerie diabolique et une fascination pour les effets planants, participent de la même complicité avec les puissances obscures.

« La nuit a partie liée avec la modernité, plaide Rodolphe Bruneau-Boulmier. Dans ses Nuits dans les jardins d’Espagne, Manuel de Falla (1876-1946) invente des couleurs orchestrales inédites : un piano imite la guitare, les harmonies françaises se superposent à un mode typiquement andalou, à l’instar du flamenco qui mêle les cultures arabe et européenne. » L’auditeur est alors invité à une écoute active, à un audacieux dépassement de ses sensations ordinaires, « comme doit l’être toute contemplation qui fait de nous des partenaires et non des “consommateurs” de l’œuvre », se réjouit le musicologue.