France
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A Penly, Bruno Le Maire lance «le combat culturel pour le nucléaire»

Un ministre d’Etat en col roulé et un patron fraîchement nommé, au chevet de deux réacteurs à l’arrêt, pour rassurer les Français inquiets du risque de coupures électriques cet hiver, regonfler le moral des troupes d’EDF et annoncer un futur de l’atome radieux. C’est la scène paradoxale qu’ont offert ce vendredi Bruno Le Maire et Luc Rémont ce vendredi à une foule de salariés en bleu, d’officiels et de journalistes casqués de blanc, depuis un pupitre barré de bleu-blanc-rouge installé au pied d’une énorme turbine de la centrale nucléaire de Penly (Seine-Maritime). Après une visite matinale glaciale de la centrale normande qui abrite deux réacteurs de 1 300 MW et a été choisie pour construire les deux premiers des six nouveaux EPR annoncés par Emmanuel Macron en début d’année, le ministre de l’Economie et le nouveau PDG d’EDF, dont c’était la première sortie publique, ont donc pris la parole pour délivrer le même message : en substance, tout va bien se passer cet hiver et, comme l’a martelé Bruno Le Maire, «il n’y a pas de grande nation industrielle sans énergie nucléaire».

«Les équipes d’EDF sont totalement mobilisées pour redémarrer les réacteurs à l’arrêt. Nous sommes en train de dépasser notre problème technique et abordons l’hiver avec confiance», a ainsi assuré Luc Rémont en annonçant la remise en service de trois nouveaux réacteurs dans la nuit de jeudi et vendredi : Dampierre 3, Cattenom 4 et Bugey 3. «Arrêtons de dire que cet hiver sera une catastrophe, ce n’est pas vrai ! La conjugaison des efforts de sobriété des Français, avec une consommation électrique en baisse de 10%, et du redémarrage des réacteurs qui s’accélère fera que nous pouvons passer l’hiver sans coupures. Je ne dis pas qu’il n’y aura pas de coupures s’il y a des aléas, mais on peut y arriver», a renchéri Bruno Le Maire. Désormais, 40 réacteurs sur les 56 d’EDF produisent de l’électricité, pour une puissance de 40 GW.

«Plus il y aura de mégawatts, mieux EDF se portera»

Mais selon les prévisions de RTE, il faudra atteindre au moins 45 GW en janvier pour éviter un déséquilibre entre la production et la consommation, qui entraînerait des coupures d’électricité tournantes dans tout le pays. Seize réacteurs restent donc à remettre en route, six en maintenance programmée et dix sujets au problème de «corrosion sous contrainte» découvert sur leur circuit de refroidissement. Les deux réacteurs de Penly font partie de cette dernière catégorie maudite et ne redémarreront que le 29 janvier pour Penly 2 et le 13 février pour Penly 1. Alors pourquoi venir ici à Penly, symbole d’un parc nucléaire à moitié à l’arrêt pendant des mois ? Pour enjamber les difficultés du moment et projeter la France en 2035, quand le premier des deux EPR de Penly entrera en service, concrétisant la relance du nucléaire français. Evidemment.

Dans un discours au ton guerrier où il a été question de «mobilisation générale», de «grande nation» et de «combat culturel pour le nucléaire», le ministre de l’Economie a fixé un cap quasi présidentiel au pays et assigné à EDF des objectifs conquérants dans la lignée du fameux discours de Belfort du chef de l’Etat. EDF au bord du gouffre avec une dette de 60 milliards d’euros ? «Halte au défaitisme !», a tonné Bruno Le Maire. Pour redresser les finances, «il faut un EDF qui produise plus d’électricité nucléaire et rétablir au plus vite la production nucléaire». Tombée à 280 TWh cette année, elle doit vite remonter à 430 TWh avec tous les réacteurs en service, «car 35% de production en moins c’est 65 milliards d’euros perdus». «Plus il y aura de MW, mieux EDF se portera», a balayé Le Maire en rappelant que l’Etat, qui va devenir actionnaire à 100% de l’électricien, sera là au besoin mais a déjà investi «15,6 milliards depuis 2015» pour aider EDF.

A cet égard, le ministre de l’Economie a tenu à rassurer le député communiste du cru, Sébastien Jumel, et les syndicats venus tracter sur «l’intégrité d’EDF» : «Le projet Hercule est abandonné. Que les choses soient claires, nous n’y reviendrons pas.» Exit la scission du groupe en plusieurs entités pour satisfaire la Commission européenne. Mais Bruno Le Maire veut des résultats : «Je compte sur vous pour achever Fla 3, le respect des délais est essentiel.» L’EPR de Flamanville, qui a pris douze ans de retard et a vu ses coûts multipliés par cinq à 20 milliards, devra être impérativement livré fin 2023. Et doit réussir à s’exporter partout dans le monde «comme le Rafale». Le ministre attend aussi et surtout d’EDF les fameux six nouveaux réacteurs EPR2 pour un premier réacteur opérationnel en 2035, «et si c’est 2034, c’est mieux». Et il veut aussi un premier prototype de petit réacteur «pour 2030» : ces «SMR» sont censés alimenter un jour en électricité décarbonée usines et grandes métropoles à la manière des centrales à gaz ou à charbon actuelles.

«La visite de Le Maire à Penly est une provocation»

Alors que le débat public indispensable à la construction des deux premiers EPR ne fait que commencer à Penly, la centrale normande choisie pour son emprise de 200 hectares au pied d’une falaise au bord de la Manche se prépare déjà : «Nous serons au rendez-vous de 2035», a proclamé Gabriel Oblin, le directeur du programme EPR2, en promettant «7 500 ouvriers à pieds d’œuvre». Les travaux ne commenceront qu’en 2024 et le premier béton est attendu pour 2027. «Ça nous laisse huit à neuf ans», a compté, pensif, Luc Rémont. Pour l’heure, seule la construction d’un haut mur de béton séparant l’enceinte des deux réacteurs actuels du terrain où seront édifiés les deux EPR est en cours. Mais les associations antinucléaires dénoncent déjà «un débat public escamoté, un processus démocratique bafoué» : «tout est biaisé depuis l’annonce des six EPR par Macron à Belfort sans concertation préalable et maintenant la loi d’accélération des projets nucléaire clos le débat avant qu’il ait commencé», constate Pauline Boyer de Greenpeace. «La visite de Le Maire à Penly est une provocation, il fait comme si le feu vert était déjà acquis», renchérit Charlotte Mijeon de la Fédération nature environnement (FNE).

Mais le ministre de l’Economie n’a visiblement que faire de la contradiction de ceux qui pointent les «risques du nucléaire et sa production continue de déchets radioactifs dangereux». Pour lui, «le choix du nucléaire c’est le choix du climat, d’une énergie zéro CO2» et «toutes les grandes nations y reviendront». D’ailleurs, le gouvernement a «de grandes ambitions pour EDF», qui doit «devenir un leader mondial de la production et de la distribution d’énergie décarbonée», tout à la fois «un champion du nucléaire, des barrages hydrauliques et des énergies renouvelables». Energies renouvelables dont il aura été très peu question dans ce discours aux accents quasi-élyséens. Si ce n’est pour dire : «Ce n’est pas en produisant moins de nucléaire que l’on produira plus de renouvelables». 2035 ? Bruno Le Maire s’y voit déjà avec six EPR, et aussi plein de petits réacteurs «SMR» partout.