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« À quelle heure dois-je m’arrêter de jeûner ? » : sur YouTube, la quête spirituelle des jeunes catholiques

Pendant le Carême, la question posée le plus souvent au frère Paul Adrien d’Hardemare, frère dominicain et youtubeur dont le compte avoisine les 100 000 abonnés, était : « À quelle heure est-ce que je dois m’arrêter de jeûner ? » En commentaire ou en message privé, on lui demande aussi régulièrement : « Ai-je le droit d’écouter de la musique ? », ou même : « Est-ce que j’ai le droit de prier quand j’ai mes règles ? » Autant de questions que le dominicain n’avait « jamais entendues » avant de commencer à réaliser des vidéos à contenu chrétien sur YouTube, activité devenue son « apostolat principal », en accord avec son provincial.

Difficile de cerner avec exactitude le profil des auteurs de ces questions si fréquentes sur les réseaux sociaux, notamment YouTube et TikTok – réseau au format vidéo plus court encore – tant ce public est jeune, voire très jeune, virtuel et, par définition, insaisissable et volatil. Ils se distinguent, en tout cas, de leurs « aînés », plus présents sur Twitter ou même Facebook, et dont les questionnements et les débats témoignent d’une fréquentation assidue de l’Église catholique et d’une meilleure maîtrise de sa théologie.

Les « influenceurs cathos » de YouTube et TikTok, comme le frère Paul Adrien d’Hardemare, ou le père Matthieu Jasseron – un million d’abonnés sur TikTok –, s’adressent donc à des « followers » le plus souvent néophytes, dont certains déclarent avoir découvert ou redécouvert la foi chrétienne grâce à leurs vidéos, au point de se dire aujourd’hui catholiques. N’ayant pas reçu d’éducation religieuse, ces nouveaux convertis expriment une quête de spiritualité par des questions inédites, demandent des repères moraux et des règles de conduite claires.

« La perte des connaissances religieuses »

« Les questions ne portent jamais sur la conscience, mais seulement sur la norme et le péché », regrette le frère Marc, dominicain chargé de répondre aux questions des internautes sur le réseau social Discord. Pour la sociologue spécialiste des religions en ligne Isabelle Jonveaux, c’est le signe d’un public qui n’a pas reçu d’éducation religieuse des parents.« C’est ce qu’on appelle l’exculturation, développe-t-elle. C’est-à-dire la perte des connaissances religieuses qui fondent notre culture. »

Malgré ce manque de culture religieuse, « il existe une soif de spiritualité plus large, et les jeunes générations vont sur Internet pour trouver des réponses à leurs questions », explique la chercheuse. Dans cette absence de repères, la norme aurait quelque chose de facile. « Contrairement à des injonctions comme “aimer son prochain”, les règles concrètes sont identifiables, on sait de quoi il s’agit. »

Arthur (1), 17 ans, a commencé à se poser des questions à la mort de sa grand-mère, puis dit s’être converti avec les vidéos du frère Paul Adrien, et assume avoir eu besoin « d’indications claires ». « Au début, c’était flou, j’avais peur de faire des bêtises », se souvient-il. « Je savais que dans le catholicisme, il y avait des règles et des coutumes que je ne pouvais pas deviner. »

Il a ainsi beaucoup apprécié la vidéo dans laquelle le dominicain donne une méthode de prière en s’aidant des cinq doigts de la main, et l’applique le soir dans son lit. « Tu as juste à suivre les indications, tu racontes ta journée à Dieu, et tu te sens super bien », décrit l’adolescent, qui a le sentiment que « les gens sont trop libres » et que « ça aide d’avoir un chemin à suivre, une direction ».

Le prisme de l’islam et du protestantisme évangélique

« Puis-je manger du sang d’animaux ? » a-t-on encore demandé au frère Marc, qui note que « cette question fait clairement référence à la viande halal ou casher ». De fait, le prisme de l’islam et du protestantisme évangélique transparaît souvent dans les questions très normatives des internautes. « Ce que l’on entend dans les médias à propos de l’islam va influencer la manière dont ces internautes interrogent la religion chrétienne », analyse Isabelle Jonveaux. Saïd, 50 ans, ancien jardinier de culture musulmane, vient d’entrer en catéchuménat après un cheminement spirituel. Tatoué, il s’est souvent demandé si « les tatouages, c’était un péché », confie-t-il.« J’ai fait le lien parce que dans l’islam, c’est interdit », se justifie-t-il.

Les nombreuses questions autour du jeûne expriment aussi « un besoin de retrouver une forme de pratique religieuse qui passe par le corps », analyse la chercheuse. Matthieu (1), 17 ans, en lycée professionnel en Belgique, dit s’être converti pendant le Carême en regardant des vidéos, et s’être mis à jeûner régulièrement. « Le jeûne est un bon moyen d’arrêter certains péchés », estime l’adolescent dont la mère est non-croyante et le beau-père musulman. Il s’est aussi acheté une bible, a arrêté de « boire trop d’alcool » et de « frapper son frère » depuis sa conversion.

Il assume être « radical » et raconte s’être disputé avec sa mère à propos du jeûne, celle-ci lui assurant « qu’aucun chrétien ne faisait ça ». Julien, 25 ans, de parents athées, a, pour sa part, eu l’idée de jeûner par des vidéos évangéliques, qu’il regarde parallèlement à des vidéos catholiques.

Mettre en valeur le côté permissif du christianisme

Sommé de répondre à ces demandes de normes strictes, le frère Paul Adrien estime qu’un « converti a besoin d’un cadre » : « Autrement, on le perd. » Dans ses vidéos, il tente donc de répondre en posant des limites, « sans enfermer » toutefois. « Le christianisme n’est pas une religion de la règle, c’est une religion de la foi, expose-t-il. Mais pour que cela soit compréhensible, il faut de la pédagogie, et cela passe par certaines règles. » Ensuite, il s’agit pour lui « d’élever », en expliquant le sens profond de celles-ci, pour « revenir au Christ ».

Craignant que les catholiques « assis dans une tradition » ne « regardent de haut » ces jeunes, il encourage à les écouter, d’autant que leurs questions permettent, dit-il, de mettre en valeur, pour une fois, le côté permissif du christianisme, « très modéré sur ces questions-là ». « Cela donne à l’Église l’occasion de pouvoir autoriser. Je peux leur dire : “Tu as le droit d’avoir ta vie, on te fait confiance” », conclut-il.

Une réponse qui ressemble à celle du père Matthieu, qui a choisi de raconter son apostolat numérique à succès dans un livre paru le 21 septembre (2). Même si la méthode peut différer – dans ses courtes vidéos, il choisit de répondre en invitant tout de suite à la réflexion et à la nuance – lui aussi invite ses « followers » à aller plus loin. « Qu’importe l’époque, la tradition chrétienne, et surtout catholique, a toujours été d’expliquer, d’interroger les textes, de ne pas se contenter de les recevoir tels quels », écrit-il.

Les internautes interrogés sont d’ailleurs bien conscients que les règles ne sont pas une fin en soi. Oscar, 19 ans, en licence de droit, profite de la bienveillance du réseau social Discord pour poser toutes ses questions : « Ce que j’aime bien, c’est qu’en comprenant le sens de la règle, on en sait plus sur la religion, et sur les textes importants. » Un premier pas vers un approfondissement.

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De jeunes utilisateurs sur TikTok et Instagram

Avec près de trois milliards d’utilisateurs, Facebook reste le réseau social le plus utilisé dans le monde. Vient ensuite YouTube, puis Instagram en quatrième position et TikTok en septième. Twitter n’est qu’à la quinzième place.

En France, en 2021, 84 % des jeunes âgés de 16 à 25 ans étaient inscrits sur Instagram et 52 % sur TikTok, selon Statista.

Twitter, en revanche, est plus prisé par les 25-34 ans qui représentent près de 40 % du total des usagers à travers le monde. Selon une étude du groupe de réflexion américain Pew Research Center, ses utilisateurs sont aussi plus diplômés et ont un niveau de revenus plus élevé que la population générale.