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A Saint-Gobain, les retraités de l’usine font tourner l’économie : « Aujourd’hui, ce sont les parents qui aident les enfants »

Bâtiment fermé qui abritait l’un des deux fours à verre de la Manufacture des Glaces, fermée en 1993. Saint-Gobain, le 19 décembre 2022.
PALOMA LAUDET / ITEM / HORS FORMAT POUR « LE MONDE »
Par Elsa Conesa

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ReportageDans l’Aisne, la verrerie historique assurait travail, logement, école… jusqu’à sa fermeture en 1995. Les anciens ouvriers sont depuis devenus la principale richesse économique, dans une région désindustrialisée où l’emploi est sinistré.

L’école primaire accueille désormais le club de Scrabble. Tous les jeudis, une poignée de « seniors », comme on dit à la mairie, se retrouve dans la salle de classe où certains s’asseyaient déjà, enfants. Ici, ce n’est pas l’école communale, mais l’école qui était réservée aux enfants des ouvriers de Saint-Gobain, dont la manufacture royale des Glaces fut installée au XVIIe siècle dans ce petit village de l’Aisne, qui donna son nom à l’entreprise.

Au cœur d’une clairière, ce lieu reculé dans une épaisse forêt de chênes constituait alors le meilleur rempart contre l’espionnage industriel qui inquiétait tant Colbert. De sorte que pendant plus de trois siècles, la vie de la commune et celle de l’entreprise ont été indissociables. Jusqu’en 1995, lorsque les deux grandes cheminées de briques, plus hautes que le clocher de l’église, ont définitivement cessé de cracher leur fumée. Le site a fermé sans bruit : il ne restait qu’une grosse centaine d’ouvriers. Les deux tiers ont été mis en préretraite. Les autres envoyés plus loin, vers d’autres sites.

Près de trente ans plus tard, les retraités forment un gros tiers de la population de Saint-Gobain. Ils en sont devenus la principale richesse économique, dans une région désindustrialisée où l’emploi est sinistré. Ce sont eux qui font tourner l’économie locale, privée de confortables recettes fiscales depuis la fermeture du site. L’emploi y est désormais tourné vers la santé, le social, le grand âge. Du moins pour l’instant.

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« Quand l’usine ferme, la valeur économique d’un territoire disparaît, mais la consommation des retraités continue de faire tourner l’économie, résume l’économiste et géographe Laurent Davezies. Elle amortit le choc. Le vrai drame, c’est la mort des pensionnés, ça peut durer quarante ans. C’est un cancer qui ronge les territoires. »

Maison de la cité ouvrière de la Terrière, la plus vieille de Saint-Gobain (Aisne), construite dès les années 1760, ici le 19 décembre 2022.
Maison de la cité ouvrière de la Terrière, la plus vieille de Saint-Gobain (Aisne), construite dès les années 1760, ici le 19 décembre 2022.
Daniel Carlier, 70 ans, retraité du groupe Saint-Gobain, chez lui, à Saint-Gobain (Aisne), le 19 décembre 2022.
Daniel Carlier, 70 ans, retraité du groupe Saint-Gobain, chez lui, à Saint-Gobain (Aisne), le 19 décembre 2022.
Le « Logis » où habitaient certains dirigeants de Saint-Gobain de passage à la manufacture, devenu un musée sur l’histoire du lieu, à Saint-Gobain (Aisne), le 19 décembre 2022.
Le « Logis » où habitaient certains dirigeants de Saint-Gobain de passage à la manufacture, devenu un musée sur l’histoire du lieu, à Saint-Gobain (Aisne), le 19 décembre 2022.

Il n’est pas difficile d’imaginer ce qu’a été l’âge d’or de l’ancienne fabrique des glaces royales, dont les retraités sont les derniers témoins vivants. L’empreinte industrielle est omniprésente dans le village, presque entièrement construit par le groupe du même nom. Une petite dizaine de cités ouvrières, chacune avec sa rangée de maisons flanquées d’un jardinet, quadrillent encore le site, vestige d’un paternalisme disparu, destiné à fidéliser les familles autant qu’à améliorer leurs conditions vie, la plus ancienne datant de 1762.

« En quelques années, tout a disparu »

L’ancien cinéma a été repris – à perte – par la mairie et continue d’accueillir une cinquantaine de spectateurs chaque semaine, mais le dispensaire de l’usine a fermé depuis longtemps. L’Economat, épicerie jadis réservée aux ouvriers de l’usine, où les filles se formaient aussi aux travaux ménagers, est barré d’un panneau « à louer » après avoir été occupé par divers locataires de passage. « Dans les années 1960, il y avait presque un millier de personnes qui travaillaient sur le site, raconte Frédéric Mathieu, le maire de la commune, fils d’ouvrier et ancien professeur. En quelques années, tout a disparu. »

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