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À Washington, les anti-IVG préparent «l'après-Roe»

Temps de lecture: 5 min

À Washington (États-Unis).

Pour la première fois depuis 1974, la traditionnelle «Marche pour la vie» a défilé devant le Capitole vendredi 20 janvier. Pendant près de cinquante ans, la manifestation se déplaçait en direction de la Cour suprême pour s'achever devant les marches du palais de marbre, à l'endroit même où en 1973, sept des neuf juges ont consacré un droit constitutionnel à l'interruption volontaire de grossesse. Le nom de cette décision de justice est mondialement connu: Roe v. Wade.

Le 24 juin 2022, la plus haute juridiction fédérale est revenue sur cet arrêt, rendant aux États fédérés la compétence de décider de la licéité de l'IVG. La modification du trajet de cette «March for Life» 2023 va ainsi bien au-delà de la symbolique: après la fin de l'arrêt Roe, c'est désormais au Congrès que les «pro-life» demandent d'agir.

Une marche aux accents de célébration

Considérablement remotivés par l'arrêt Dobbs du 24 juin, les mouvements «pro-vie» ont cette année eu un air de célébration: les panneaux bien connus de l'association Students for Life clamant «Je suis la génération pro-life» affichent désormais «Je suis la génération post-Roe». D'autres ont fait le choix des tombes en carton floquées de la date de l'«avortement» de Roe v. Wade.

Pourtant, les chants sont restés peu ou prou les mêmes: pro et anti-choix ont rapidement fini côte à côte, les premiers déclamant que «Pro-vie c'est un mensonge, vous vous en fichez quand les femmes meurent» («Pro-life that's a lie, you don't care when women die») et les seconds «Pro-choix est un mensonge, les bébés ne choisissent jamais de mourir» («Pro-choice that's a lie, babies never choose to die»).

Venus jouer les trouble-fêtes, les mouvements pro-choix –à l'instar du collectif pour le droit à l'avortement d'Idaho– ont donné de la voix pour appeler à la fin des interdictions du droit à l'IVG: des interdictions désormais en vigueur dans treize États, principalement concentrés dans la «Bible Belt». Face à la contre-manifestation, la foule de la «March for Life» a appelé quant à elle à une interdiction pure et simple de l'avortement.

Un peu plus tôt, le leader de la majorité républicaine à la Chambre des représentants, Steve Scalise, avait chauffé son public à blanc en lui rappelant que le Parti républicain à la Chambre n'a pas attendu pour voter le Born-Alive Abortion Survivors Protection Act, un texte destiné à protéger un enfant né d'un avortement manqué –un cas de figure rarissime et pour lequel le droit fédéral en vigueur était déjà protecteur.

Dans le même temps, la nouvelle majorité républicaine a voté une résolution condamnant les actes jugés violents perpétrés à l'encontre des officines «pro-life».

Vers une interdiction fédérale

Parmi la jeunesse «pro-life» présente à la marche, le Progressive Anti-Abortion Uprising (PAAU) dénote: nul chant incantatoire religieux ou de signes d'inféodation au logiciel conservateur du Parti républicain. Et pour cause: l'association se réclame de l'extrême gauche. Sa présidente et fondatrice, Terrisa Bukovinac, est venue pour demander au Congrès d'agir au plus vite: «Nous voulons une interdiction de l'avortement au niveau fédéral et une législation qui permette de subvenir aux besoins des familles en crise. Nous demandons également le démantèlement de la loi FACE qui vise injustement l'activisme pro-vie.» À ses côtés, Lauren Handy ne connaît que trop bien la loi FACE (Freedom of Access to Clinic Entrances Act): la jeune femme a récemment été incarcérée pendant plus d'un mois après s'être introduite dans une clinique pratiquant les avortements.

Non loin du PAAU, quelques petites mains militantes des Democrats for Life ont répondu à l'appel. L'organisation affiliée au Parti démocrate est aujourd'hui réduite à peau de chagrin, minée par un Parti très majoritairement favorable au droit à l'IVG. Dans un sondage Gallup mené en 2022, il ressort que seuls 15% des Démocrates se considèrent «pro-life»: un constat qui interpelle le média américain Axios, qui les qualifie de «race en voie de disparition».

Ce constat n'effraie pas Terrisa Bukovinac, qui affirme vouloir mobiliser dans les États «bleus», c'est-à-dire à majorité démocrate. Pour ce faire, celle qui se revendique anticapitaliste estime qu'il convient en premier lieu de fournir de quoi subvenir aux besoins des personnes enceintes ou exerçant une charge parentale.

Reste à convaincre une opinion publique peu réceptive, notamment côté démocrate: selon le Pew Research Center, 61% de la population américaine est en faveur du droit à l'avortement. Pour la fondatrice du PAAU, cela n'est qu'une affaire de méthode: «Cette évaluation dépend du sondage ou de la manière dont la question est posée, affirme-t-elle. Selon presque tous les sondages, la grande majorité des Américains veulent que l'avortement soit plus limité qu'il ne l'est aujourd'hui, l'interruption volontaire de grossesse étant actuellement légale jusqu'au moment de la naissance» [ce n'est pas le cas partout: cela ne concerne que Washington D.C. et six États sur cinquante, ndlr].

Convaincue qu'être «pro-life» est «compatible avec les valeurs de gauche», Bukovinac se veut optimiste et enrobe son discours dans une rhétorique résolument progressiste: «Des mouvements de justice sociale ont vu le jour et ont gagné partout dans le monde, même lorsque les chances étaient infimes. Dans le cas de l'avortement, nous pensons que les statistiques sont de notre côté et que la victoire est tout à fait à portée de main.»

Le discours de Terrisa Bukovinac tient pour l'instant de la méthode Coué: lors des dernières élections, les pro-choix ont remporté une victoire décisive dans chacun des cinq États où se tenait un référendum relatif à l'interruption volontaire de grossesse. Ce «grand chelem» a entraîné depuis une véritable course au référendum pour sauvegarder ou restaurer le droit à l'IVG.

Mesure et contre-mesure

La ballot measure, ou «référendum», constitue en quelque sorte l'arme ultime du mouvement pro-choix pour parvenir à sauver le droit à l'IVG. En novembre dernier, il est parvenu à constitutionnaliser le droit à l'avortement en Californie, dans le Michigan et le Vermont. Aujourd'hui, les organisations militantes visent à réitérer l'exploit dans d'autres États… Ce qui n'est pas sans éveiller quelques inquiétudes dans le camp «pro-life».

L'exemple du Missouri est particulièrement frappant: la représentante républicaine Ann Kelley –soutenue en 2018 par le Missouri Right to Life– a récemment introduit une proposition de loi constitutionnelle visant à instaurer une majorité aux deux tiers pour les référendums. Cette proposition intervient à un moment où les Démocrates pro-choix du Missouri envisagent le recours à la démocratie directe pour restaurer le droit à l'interruption volontaire de grossesse.

Interrogée sur cette proposition de loi, Mallory Schwarz, présidente de Pro-Choice Missouri, ne cache pas son inquiétude: «Les politiciens utilisent les mêmes tactiques qu'ils ont utilisées pendant des décennies pour restreindre l'accès à l'avortement et aux soins de santé sexuelle pour tenter aujourd'hui de démanteler les outils mêmes de notre démocratie afin de rendre le processus du référendum d'initiative populaire extrêmement difficile. Les législateurs républicains vont continuer à faire tout ce qu'ils peuvent pour faire taire le peuple.»

D'ici à la prochaine «March for Life», l'IVG pourrait bien avoir à nouveau regagné du terrain. Si Dobbs fut un backlash, nous assistons au backlash du backlash.