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Activation à distance des caméras ou micros des téléphones : peut-on vraiment se dire que cela ne concerne absolument pas les « honnêtes citoyens » ?

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L'Observatoire des libertés et du numérique (OLN) a dénoncé une «surenchère sécuritaire» permettant de transformer tout objet connecté en potentiel «mouchard».

© Philippe LOPEZ / AFP

Surveillance

Le Sénat a donné mercredi 7 juin au soir son feu vert à une disposition controversée du projet de loi justice autorisant le déclenchement à distance des caméras ou micros des téléphones, dans certaines enquêtes

Fabrice Epelboin est enseignant à Sciences Po et cofondateur de Yogosha, une startup à la croisée de la sécurité informatique et de l'économie collaborative.

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Atlantico : Quels sont les risques associés à l'activation à distance des caméras ou micros des téléphones ?

Fabrice Epelboin : Il existe une réalité concrète dans les lois concernant la surveillance en France, qui consiste à légaliser une pratique existante. Je ne peux pas affirmer que cette loi légalise déjà la surveillance systématique des citoyens français. En tant qu'expert des technologies de surveillance ayant mené de nombreuses investigations approfondies sur leur utilisation en Afrique et en France, je peux vous dire que ce que j'observe dans la pratique, c'est la légalisation rétroactive. Ainsi, il est probable qu'en France, comme dans de nombreux autres pays, on utilise des logiciels similaires à Pegasus, qui sont fournis par des sociétés privées telles que NSO, le fabricant de Pegasus. Quant aux contraintes auxquelles sont soumises les personnes ayant accès à ce type de technologie en France, honnêtement, je ne le sais pas. Cela dépend de votre confiance dans ce qui est considéré comme une démocratie en France. Personnellement, je ne suis pas extrêmement optimiste. Par exemple, si vous êtes journaliste et que vous menez de véritables enquêtes, avec des sources et des publications susceptibles de déranger les personnes puissantes, vous pouvez être pratiquement certain d'être surveillé, au moins dans une certaine mesure, voire davantage. De même, si vous êtes politicien et que vous travaillez sur des dossiers sensibles, vous pouvez être certain d'être surveillé, car il y a des nations étrangères qui n'hésiteront pas à le faire. J'ai d'ailleurs le souvenir de cas où des personnalités politiques françaises ont été écoutées par le Qatar, bien que le Qatar soit un acteur mineur dans ce domaine comparé à ses voisins, tels que les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite. Donc, on peut supposer que ces personnes sont également sur écoute. Il est évident que l'on ne nous apprend rien en disant qu'Emmanuel Macron est au moins surveillé par Pegasus, et probablement par de nombreux autres équivalents de Pegasus. Le réveil que des personnes comme moi attendent, c'est la prise de conscience que nous sommes déjà plongés dans ce monde depuis un certain temps, et que toutes les personnes susceptibles de déranger quelqu'un, en particulier des personnes puissantes liées à des États ou affiliées à des États, sont surveillées. Le président de la République, les hauts fonctionnaires, de nombreux ministres, ainsi que de nombreuses personnalités au niveau européen, tout ce petit monde est sur écoute, et pas seulement par le Maroc ou les Émirats, mais par un grand nombre de personnes.

Et les écoutes de masse, qui consistent à surveiller tout le monde, ont été mises en place dans les années 2010. Il est difficile de savoir dans quelle mesure cela s'est étendu, car c'est une pratique complexe à mettre en œuvre, mais il est clair que les premières traces de la surveillance des citoyens français par l'État français remontent à 2010. Nous sommes maintenant en 2023, donc vous pouvez imaginer ce que cela peut signifier, mais je ne pourrais pas vous dire dans quelle mesure cela a été déployé, que ce soit 10%, 20%, 30% ou 100%. Je n'en ai aucune idée. Ce que je peux vous dire, cependant, c'est qu'à partir de 2010, étant donné que la France n'était pas la seule à mener de telles activités, les fournisseurs ont commencé à proposer ce qu'on appelle le chiffrement. Cela signifie que si vous échangez des messages via WhatsApp et que j'intercepte le message entre vous et le destinataire, je ne peux pas le lire car il est sécurisé. Par conséquent, l'accent mis sur la surveillance n'a pas été tant sur l'interception des messages, mais plutôt sur le piratage direct des téléphones pour accéder aux messages, ce qui me permet de lire vos messages WhatsApp puisque je peux déchiffrer votre téléphone. Cependant, cela ne peut pas être fait pour 70 millions de personnes, cela nécessite donc un ciblage spécifique. De plus, cela coûte très cher. Donc nous ne sommes pas dans une situation où nous surveillons en masse un million de citoyens français. Un citoyen français qui utilise de manière raisonnable des systèmes de chiffrement tels que Signal, Telegram ou WhatsApp et qui n'est pas spécifiquement ciblé n'a pas grand-chose à craindre de cette surveillance. En revanche, il a beaucoup plus à craindre de Facebook et d'autres entreprises similaires qui collectent des informations personnelles et peuvent extrapoler de nombreuses choses à partir de ces données, comme son orientation politique, afin de lui envoyer des messages qui pourraient potentiellement l'influencer de manière très spécifique. C'est un véritable danger. En ce qui concerne l'activation des microphones et l'espionnage des téléphones, il s'agit d'une surveillance ciblée qui concerne des citoyens spécifiques, pas l'ensemble de la population. Cela concerne notamment les journalistes enquêtant sur des sujets sensibles et les politiciens en général. Concrètement, cela signifie que les politiciens ne peuvent plus travailler en toute confidentialité vis-à-vis des nations étrangères et potentiellement vis-à-vis de leur propre gouvernement, si ce dernier venait à déraper. Je ne vous dis pas que la France fait cela, mais nous avons vu dans certaines démocraties des gouvernements mener de telles actions, et pas seulement un seul. De nombreux gouvernements démocratiquement élus, dans des systèmes tout aussi démocratiques, voire plus, ont utilisé cette technologie pour cibler leurs adversaires. De plus, il existe un autre problème, à savoir que les services de renseignement échangent des données, soit parce qu'ils ne sont pas en mesure de les obtenir eux-mêmes, soit parce qu'ils n'ont pas l'autorité légale pour le faire. Jusqu'à présent, la loi protégeait théoriquement l'écoute des avocats ou des hommes politiques par le gouvernement français, ce qui est normal dans une démocratie. Cependant, rien n'empêche les services de renseignement de fournir des informations au renseignement marocain, par exemple, en échange d'écoutes effectuées sur des politiciens français par le gouvernement marocain, qui n'est soumis à aucune contrainte juridique. Ainsi, tout l'arsenal juridique que nous avons construit pour protéger les avocats et les politiciens lorsqu'il s'agit de surveillance est détourné au niveau national, car l'État se rend complice en ne protégeant pas certains individus. Malheureusement, c'est la réalité.

Par le passé, à quel point des dispositifs visant auparavant à repérer des infractions ont été généralisés dans leurs usages ?

Les dispositifs antiterroristes ont été utilisés pour empêcher la participation de manifestants écologistes à des manifestations. Récemment, le gouvernement a utilisé ces mesures antiterroristes pour réprimer les protestations pacifiques. Il est clair que nous sommes confrontés à des personnes venant de provinces qui expriment leur colère en frappant des casseroles, et pourtant les lois antiterroristes ont été utilisées pour les réprimer. Ainsi, le débordement dont nous parlons est déjà une réalité. Il n'est pas nécessaire de dire que demain cela pourrait arriver, car cette dérive est déjà profondément enracinée. Malheureusement, il n'y a rien à faire, car il y a 10 ans, lorsque j'ai crié à l'attention en soulignant le danger de tout cela, il aurait été possible d'éveiller une prise de conscience, notamment parmi les politiciens de l'opposition, pouvant conduire à des actions sérieuses. Maintenant, il est bien trop tard pour cela.

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