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Affaire Yuriy : l’engrenage des rivalités entre bandes devant la justice

Soudain, Yuriy est seul. Il a pourtant lui aussi tenté de déguerpir avec son groupe de copains, en voyant surgir d’un tunnel une autre bande de mômes, armés de béquilles, de barres de fer, de couteaux et de marteaux. Mais dans sa fuite, ce 15 décembre 2021, Yuriy, 14 ans, presque 15, est tombé. Le voilà seul, sur la dalle de Beaugrenelle, dans le XVe arrondissement de Paris, livré à lui-même et à la fureur d’une dizaine d’adolescents agissant comme un seul assaillant. Ils cognent, frappent, crient, s’entraînent les uns les autres dans leur violence, avant de s’enfuir, chassés par les protestations d’un riverain posté à sa fenêtre. Yuriy, en sang, est encore conscient. Il peste : «Fils de putes de Vanves !» Et presse les deux premiers témoins venus le secourir de glisser dans un bac à fleurs le tournevis planqué dans sa poche. Son pronostic vital restera engagé pendant une dizaine de jours. Sa convalescence prendra de longs mois.

Deux ans plus tard, treize jeunes sont renvoyés devant la justice, notamment pour «tentative de meurtre» ou «complicité de tentative de meurtre». Le procès des quatre premiers qui avaient entre 14 et 15 ans au moment des faits, commence ce mardi, à Paris, devant le tribunal pour enfants statuant en matière criminelle. Les neuf autres mis en cause, plus âgés, seront jugés devant la cour d’assises des mineurs, en décembre selon leurs avocats.

Comme le prévoit la loi, cette première audience, qui doit durer jusqu’à jeudi, se tiendra à huis clos, loin du tapage médiatique provoqué par la diffusion des images ultraviolentes de l’agression. Plusieurs personnalités publiques, Emmanuel Macron en tête, avaient apporté leur soutien au jeune Yuriy en 2021. Mais l’instruction a donné au drame une autre dimension. Derrières les coups, se dessine un engrenage de rivalités aux racines floues entre deux groupes d’ados puis alimenté à force de provocations et d’injures sur les réseaux sociaux. Qui finalement déraille dans un déchaînement de violence.

D’un côté, la bande de Vanves, commune des Hauts-de-Seine, aussi appelée «Bambes» ou «2BS» sur Snapchat. Elle est composée d’une «vingtaine de membres», âgés de 13 à 18 ans, selon l’audition de l’un d’entre eux. De l’autre, «RD4», ou «4FP» en référence à la rue des Quatre-Frères-Peignot, qui se déploie à quelques pas du centre commercial de Beaugrenelle. Yuriy nie appartenir à cette bande tout en admettant qu’il y a des amis. La première confrontation a eu lieu cinq jours avant l’agression de Yuriy. Cette fois, c’est un membre des «Bambes» qui est passé à tabac par plusieurs «RD4», en plein après-midi, sur le port de Javel, dans le XVe arrondissement.

«Vengeance, on y pensait mais on n’avait pas décidé»

Admis aux urgences, le gamin est salement amoché – une main fracturée, des hématomes et trois plaies non suturables – mais sort de l’hôpital le soir même. Il est à peine sur pieds que déjà des vidéos de la scène déboulent sur les groupes Snapchat des gars de Vanves. Face aux images, certains diront aux enquêteurs avoir ressenti «de la tristesse», d’autres «de la colère». Le rendez-vous des deux clans à Javel était «prévu», reconnaît la victime de la rixe originelle pendant son interrogatoire, mais il s’agissait de se retrouver «à trois ou quatre», «pour discuter sans violence», soutient-il.

Pourquoi ? On ne saura pas. La situation semble s’être enflammée en quelques jours, sans la moindre étincelle compréhensible. Seule une collégienne, scolarisée dans le même établissement que Yuriy, évoquera pendant l’instruction un épisode au cours duquel la bande de Vanves serait allée provoquer celle de Beaugrenelle, sur la dalle, en janvier 2021. Aucune autre explication tangible n’émerge des auditions. Mais l’attaque du 10 janvier a accéléré la machine à honnir. «La vengeance, on y pensait mais on n’avait pas décidé. L’expédition punitive a été décidée le jour même, a raconté aux enquêteurs un des jeunes qui sera jugé ce mardi. Le but n’était pas de le tuer. Sur le moment, c’était plutôt de faire comme ils ont fait.» Dans la bande de Vanves, le demi-frère du garçon à Javel tabassé bouillonne. «On savait [qu’il] allait se venger. Pour vous répondre, quand je dis «on», c’est la ville, tout le monde», relate un autre accusé. Et c’est tombé sur Yuriy, mais n’importe quel RD4 aurait pu être à sa place. Yuriy assure encore aujourd’hui ne pas avoir participé à la rixe du 10 janvier, rappelle son avocat, Me Francis Szpiner, en amont de l’audience.

«Cette violence, ils ne l’ont pas rationnalisée»

Les jeunes accusés nient avoir eu l’intention de le tuer. Le parquet n’a d’ailleurs pas retenu la circonstance aggravante de la préméditation. S’ils reconnaissent le désir de «vengeance» ainsi que s’être donné rendez-vous à la station de tram de Vanves, la plupart d’entre eux affirment ne pas avoir souhaité, ni même imaginé, que leur expédition à Paris prendrait cette «tournure». Au cours d’une confrontation organisée entre six mis en cause en janvier 2022, un des plus âgés, 18 ans au moment des faits, parle de «l’effet de groupe» ressenti en arrivant à Beaugrenelle : «Il n’y a pas une personne qui était au-dessus de l’autre. Dans la bande, il n’y a personne qui est violent. On s’est tous monté une idée dans la tête et c’est parti en live.» Tous ne participent pas à l’assaut de la même manière. Certains se tiennent à l’écart pendant que d’autres redoublent de brutalité, n’hésitant pas à utiliser leurs armes et à frapper Yuriy à la tête, alors qu’il ne parvient pas à se relever. Des images sont capturées puis brandies en ligne comme des trophées : «le taf est fini», «je lèche son sang», écrit un des ados pour agrémenter une des vidéos. Plusieurs ont exprimé des regrets dès leurs premières auditions.

Un des enjeux de ce procès, selon Francis Szpiner, avocat des parties civiles, sera «d’interroger le regard que portent aujourd’hui les agresseurs sur leurs actions, de constater s’ils sont capables, ou non, d’autocritique et d’introspection». Dans cette affaire, «Le groupe a permis la réalisation d’actes de violence qui individuellement leur échappe», analyse Margot Pugliese, avocate de la défense, dont le client sera jugé en décembre. Sur le moment, «cette violence, ils ne l’ont pas rationnalisée, pas conceptualisée. Elle a surgi d’un coup». L’institution judiciaire l’a rendue tangible. «Il y a une banalisation de la violence, favorisé par l’effet de groupe, qui peut expliquer le passage à l’acte», déplore-t-elle. La justice agit comme une douche froide et permet une prise de conscience.»