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Agnès Buzyn à Midi Libre avant la journée mondiale du cancer : "La France est un pays pionnier dans le monde"

L’ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn a longtemps dirigé l'unité de soins intensifs d'hématologie de l'hôpital Necker, où on soignait de jeunes adultes atteints de leucémie. Elle sera le grand témoin d’un Lab Santé organisé à Midi Libre le mercredi 1er février, avant la journée mondiale de lutte contre le cancer, le 4 février. 

Ministre des Solidarités et de la Santé de 2017 à 2020, Agnès Buzyn a rejoint brièvement l'organisation mondiale de la santé avant d'intégrer la cour des comptes en septembre dernier, pour cinq ans. 

On vous connaît comme ministre de la Santé, on sait moins que le cancer a été le fil rouge de votre parcours de médecin...

J'ai dirigé pendant vingt ans à l'hôpital Necker une unité de soins intensifs d'hématologie où on soignait des jeunes adultes atteints de leucémie. Et je menais des travaux de recherche dans l'immunologie des cancers, à l'Inserm, pendant la même période.

J'ai travaillé sur un vaccin contre les leucémies.

Avec quel résultat ?

On utilisait les cellules malades du patient pour stimuler son système immunitaire et éviter une rechute. C'était au début des années 2000. Puis j'ai arrêté ma carrière de médecin et de chercheur pour faire une carrière plus administrative, j'ai présidé l'institut de radioprotection et de sûreté nucléaire puis j'ai dirigé l'institut national du cancer.

Pourquoi le cancer ?

J'ai toujours voulu travailler à l'hôpital, j'ai choisi une spécialité, l'hématologie, qui n'existe que dans le secteur public. Et j'ai choisi une activité extrêmement pointue, la greffe de moelle, le traitement des leucémies.

Un souvenir d'enfance m'est revenu, très tard, alors que j'avais déjà plus de quarante ans et que j'étais déjà professeur d'université : quand j'avais cinq ans, j'étais assise à côté d'une petite fille, Zoe. Un jour la maîtresse a dit que Zoe était malade. Une semaine après elle a dit que "Zoe (était) morte", qu'"elle avait une leucémie". C'était en 1967-68... J'ai réalisé à ce moment-là que la leucémie, la maladie qui avait tué ma petite copine de classe, était le mal absolu. 

Je pense qu'au fond de moi, ça a orienté ma carrière.  

Que vous ont appris vos cinq années de présidence de l'Inca, l'institut national du cancer ?

L'Inca coordonne toute la recherche et l'organisation des soins. J'ai eu la chance, en arrivant en 2011, d'avoir la responsabilité de travailler avec mes équipes sur le troisième plan cancer, très complet sur la prévention, l'organisation et la qualité des soins, la recherche, et l'après cancer. 

François Hollande, alors président de la République, l'a présenté à l'occasion de la journée mondiale de lutte contre le cancer le 4 février 2014. Mon travail a ensuite été de le mettre en œuvre.

Notre priorité était le cancer des enfants. On a beaucoup travaillé pour organiser la recherche, et faire en sorte que, partout en France, ils puissent avoir une analyse génétique de leur tumeur pour essayer d'accéder à des médicaments innovants. C'est une forme de fierté. 

C'est aussi ce plan qui a mis en place le droit à l'oubli, qui s'est ensuite retrouvé dans la loi : la possibilité, quand on est guéri, d'emprunter sans avoir de surprime des assureurs. C'est une des très belles réussites du plan. 

Vous regrettez qu'il n'y ait pas eu un quatrième plan cancer, qu'on soit passé à une "stratégie nationale de lutte", de 2021 à 2030 ?

Comment je vais dire ça de manière politiquement correcte... 

"La France est le pays le mieux structuré dans le monde"

Vous essayez encore d'être politiquement correcte ?

... Je ne suis pas sûre qu'il y avait matière à rédiger un quatrième plan cancer. La France est le pays, dans le monde, qui a le mieux structuré à la fois la qualité des soins et la recherche. 

C'est très difficile de faire mieux tout de suite et d'aller beaucoup plus loin. Pour un plan, il faut des objectifs clairs, je ne vois pas comment on pourrait mettre en place un plan aussi précis et aussi large que les précédents.

Je comprends qu'il y ait une stratégie sur les tumeurs qu'on ne sait pas guérir. 

C'est sous votre ministère qu'ont été prises certaines mesures, notamment le remboursement des perruques sans reste à charge, le forfait de soins post-cancer de 180 euros... ça peut sembler anecdotique, vous en êtes fière ?

Je suis très fière de tout ce qui fait que la vie d'une personne atteinte d'un cancer soit rendue plus facile.

Ces mesures étaient déjà écrites dans le troisième plan cancer, je les avais promises en tant que présidente de l'Inca, j'ai contribué à les mettre en œuvre en tant que ministre. Nous sommes un des pays qui prend le mieux en charge les "à-côtés" du traitement du cancer. Dans la prise en charge globale, on a atteint un degré de maturité unique au monde, on est pionnier.

"Il ne faut pas espérer le grand miracle"

Quelle est la révolution future que vous attendez avec le plus d'impatience, l'intelligence artificielle, l'immunothérapie... ?

Il n'y a pas un cancer mais des cancers, tous ont leur spécificité et des problématiques différentes. Il n'y aura pas un traitement mais des découvertes qui chaque fois apportent une brique à l'amélioration de la survie. Et globalement depuis vingt ans, la survie des malades s'améliore de 1 % à 2 % par an.

Il ne faut pas espérer le grand miracle. Il y en aura peut-être un pour un cancer donné, mais ce ne sera pas forcément adapté à tous les cancers. L'intelligence artificielle peut évidemment aider à la compréhension des signatures génétiques par exemple, et à identifier de nouvelles pistes de traitement. Ce sera pas à pas, avec de nouvelles molécules innovantes aussi. L'immunothérapie a fait faire d'immenses avancées, ça va continuer. Enfin, je suis sûre qu'on aura des vaccins pour éviter les rechutes... je suis sûre que mes travaux de recherche vont trouver une traduction. 

Vous restez en phase avec l'optimisme affiché dans une interview, il y a cinq ans, à la Ligue contre le cancer, très loin de vos terreurs d'enfant : ""Je ne peux pas avoir une peur globale de cette maladie". 

Le cancer est une pathologie fréquente, avec des progrès continus depuis vingt ans. Plus le malade est informé, mieux il sera traité. Et on n'a pas parlé de prévention : 40 % des cancers pourraient aujourd'hui être évités en changeant notre mode de vie.

Les médicaments contre le cancer font partie des molécules en tension. Quel regard avez-vous sur les difficultés d'accès actuelles ?

C'est un problème international. La raison peut différer d'un médicament à l'autre. Il faut d'abord comprendre qu'il y a eu, en vingt ans, une concentration des usines de production sur certains sites. Ce qui a des inconvénients : quand il y a un problème dans une usine, la chaîne de production s'arrête.

Il y a un autre problème qui est lié au fait que beaucoup de principes actifs chimiques sont fabriqués en Chine ou en Asie. J'ai longtemps cru que c'était lié uniquement au coût de la main-d’œuvre, mais j'ai compris il y a peu de temps que les usines étant extrêmement polluantes, et les normes européennes extrêmement contraignantes, on a délocalisé notre production dans les pays les moins regardants, très probablement parce que s'il fallait produire en Europe, les normes environnementales augmenteraient considérablement le coût. La question c'est jusqu'à quel point nous acceptons, en tant que citoyens, de payer plus cher pour recentraliser la production.

Les problèmes sont très complexes, beaucoup plus que ne peut l'imaginer même un ministre de la Santé. Pour chaque produit, il y a des problématiques spécifiques. Sachant que la population mondiale a doublé en l'espace de deux générations, on n'a pas forcément doublé les chiffres de production... tout ça n'a pas été anticipé dans les années 2000.

Quand j'étais ministre, on avait fait un plan contre la rupture de médicaments qui obligeait les industriels à avoir au moins trois mois de stock. On voit bien que ça ne suffit pas. 

La Cour de cassation vient d'annuler votre mise en examen pour "mise en danger de la vie d'autrui" dans la gestion de la crise du Covid, cet épisode est désormais derrière vous ?

Non, d'abord parce que je continue tous les mois à répondre aux questions des juges d'instruction, et que cet épisode de pandémie a été un traumatisme collectif. Il me semble qu'il manque encore un vrai retour d'expérience non seulement des politiques, mais aussi du rôle des médias ou des experts.

Vous avez le sentiment qu'il y a de l'injustice dans le "procès", pas devant la justice cette fois, qui vous est fait ?

J'ai encore des menaces de mort sur les réseaux sociaux, je porte plainte toutes les semaines. Je pense qu'un jour la vérité sera connue, elle éclate toujours. Tout ça a été très dur, très violent, ça l'est encore, je ne peux pas me promener seule dans ma rue, je vis avec une protection policière. 

Qui vous menace ?

Essentiellement des groupes complotistes, et pro-Raoult. 

Vous auriez accepté le poste de ministre si vous aviez imaginé que la vie politique était aussi rude ?

J'avais accepté parce que je pensais que des gens de la société civile devaient s'engager. Qu'il ne fallait pas laisser la sphère politique, qui décide de nos vies, à des personnes qui n'ont pas vraiment la compétence pour le faire. Aujourd'hui, je considère qu'il faut plus que jamais avoir le courage de s'engager, quel que soit le coût personnel, parce que l'avenir n'est pas très réjouissant. Nos démocraties européennes ne sont pas à l'abri d'un pouvoir totalitaire. Plus que jamais, j'engage les bonnes volontés à oser et à avoir le courage de s'exposer. C'est vrai que c'est une exposition et que le risque est grand mais l'enjeu nous dépasse. C'est pour ça que j'ai accepté un poste politique et je ne le regrette pas.

Vous êtes heureuse aujourd'hui à la Cour des comptes ?

C'est très intéressant. 

La réforme des retraites était déjà une question d'actualité sous la responsabilité de votre ministère, vous défendiez le cap des 65 ans, quel est votre regard sur le débat actuel ?

Je m'interdis aujourd'hui de faire des commentaires sur l'exercice du pouvoir par mes successeurs, ce serait malvenu. L'exercice du pouvoir est tellement difficile. On essaye de choisir la moins mauvaise.