France
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Ainsi crée Miquel Barceló

En octobre, la star espagnole de l’art contemporain exposera à Paris et à Pantin. “El País Semanal” lui a rendu visite cet été sur son île natale de Majorque, où il vit et travaille une partie de l’année.

“On est qui on est”, lance le fils de Mme Francisca [la peintre amatrice et brodeuse Francisca Artigues, avec qui il a parfois exposé]. Pas besoin d’être Socrate pour comprendre qu’une telle profession de foi continue, des années plus tard, d’influencer ses peintures et ses céramiques, certes, mais aussi ses charcuteries artisanales [confectionnées selon la tradition majorquine, après l’abattage annuel du cochon], sa façon de faire griller les sardines et ses promenades en barque, et ce, même maintenant qu’il navigue dans les sphères les plus élitistes de l’art mondial.

Miquel Barceló (né à Felanitx [sur l’île de Majorque], 65 ans) continue d’être l’enfant qui plongeait dans la mer en quête de pieuvres majestueuses, l’adolescent qui lisait sur la vie des peintres dans la bibliothèque de la maison de sa mère et le jeune homme qui est parti s’éclater à Barcelone. Il est toujours l’artiste qui s’est installé à Paris puis s’est fait connaître à São Paulo et à Cassel, la star internationale bénie du marchand suisse Bruno Bischofberger, dont la toile Faena de Muleta a été adjugée pour 4,4 millions d’euros lors d’une vente chez Christie’s en 2011.

Le chaos comme mode de vie

Pas besoin d’être Socrate pour comprendre l’identité majorquine pérenne et furieuse qui habite Barceló, un artiste qui se déplace constamment entre Tokyo et Paris, Londres et Madrid, le Kenya et l’Himalaya, mais qui finit toujours par revenir ici, sur son île.

Nous sommes venus à Majorque pour constater tout cela. À peine arrivés à la teulera (“tuilerie”) de Sa Rabassa, l’atelier de céramique de Miquel Barceló à Vilafranca de Bonany, dans le centre de l’île, on commence à comprendre comment les choses se passent ici. On sonne à plusieurs reprises, mais l’artiste n’est pas chez lui. Après avoir passé du temps dans le village, on l’appelle : “Ah, je pensais que vous arriveriez plus tard. J’arrive tout de suite !”

Disons qu’un après-midi de semaine dans la campagne majorquine n’est pas tout à fait comme un après-midi de semaine en ville. Et que le chaos convient au mode de vie de notre homme, même s’il s’agit d’un chaos organisé. Miquel Barceló, distrait, était parti rendre visite à un cousin à moitié ermite qui vit loin du monde et avec qui il partage de temps en temps de nombreuses questions et de rares réponses. On peut supposer que l’exercice est beaucoup plus enrichissant que de répondre aux questions des amis journalistes. Mais il est en route pour nous rejoindre.

Comme si un colosse était passé par là

Sa Rabassa est un énorme entrepôt industriel que Barceló utilise depuis une dizaine d’années comme atelier de poterie. Tamar, la copine de l’artiste, une Australienne charmante qu’on croirait directement sortie d’un film de Rohmer, joue avec un border collie femelle magnifique et enjôleur, Uma, qui serpente habilement entre les vases, les tables et les sculptures géantes.

“Regardez, ça, c’est pour un jardin à Chaumont-sur-Loire, en France. On va faire une sorte de chapelle, une grotte dans laquelle on pourra pénétrer et admirer des peintures.” L’artiste avance en direction de l’un des coins de l’entrepôt et, l’air fier, il entre dans une structure circulaire faite de briques géantes, blanchâtres et tordues, comme si un colosse avait voulu les déformer. “Ça ne te fait pas penser aux talayots ?”, demande-t-il, enthousiaste, faisant référence aux tumulus préhistoriques caractéristiques de Majorque. “Mais c’est vrai qu’il y a aussi des éléments qui rappellent les cultures aztèque, maya et dogon.”

Un frénétique élan créatif

Barceló ne cache pas sa fierté quand il parle du concept derrière cette œuvre. C’est une œuvre évolutive, dont le présent est bien là, devant nous, mais dont l’avenir est presque impossible à deviner. “Certains jours, j’ajoute ou j’enlève des trucs, ou je change la forme de la structure, je modifie tout”, raconte-t-il.

“La forme actuelle ne me plaît pas trop, je préférerais qu’elle soit beaucoup plus ouverte… Je suppose qu’un jour je l’installerai quelque part de façon définitive.”

Nul besoin d’éliminer ou d’exclure, car une fois de plus s’enclenche l’un des mécanismes favoris dans la démarche artistique typique de la maison. L’idée, c’est qu’une œuvre peut n’être rien de plus que le germe d’une autre œuvre. On a l’impression que les questions, les matériaux, les outils de travail, les idées et les façons dont elles se concrétisent s’entassent et se superposent dans la tête de Miquel Barceló. Après quarante ans d’une activité frénétique, ce dernier semble toujours animé du même élan créatif.

La fosse aux idées passées et à venir

Grimaçant de fierté, il nous montre du doigt une sorte de bassin sombre et rectangulaire rempli de morceaux d’argile, une espèce de réservoir terreux d’où l’artiste tire une matière informe qu’il transformera en poteries émaillées, peintes ou bosselées, ou tout à la fois, en vases avec des bouches de poisson d’où semblent s’échapper des cris, en coupoles aux couleurs criardes et en grottes ornées de stalactites et de stalagmites. Ce bassin, où il dépose les excédents de matériau qui pourraient un jour permettre de créer d’autres œuvres, représente en fin de compte les allers-retours exténuants entre les éléments mis au rebut et le matériau qui lui servira à façonner de nouvelles sculptures.

Miquel Barceló considère cette fosse obscure comme le point névralgique de l’atelier. “J’y mets ce qui ne me plaît pas et, peu à peu, je vois comment ça finit par disparaître. C’est ici que tout aboutit, mais aussi, souvent, que tout commence, car il m’arrive de venir y chercher un point de départ. Parfois je vois des bouts d’argile et je me dis : ‘Tiens ! Ce serait pas mal si je mettais cette pièce telle quelle dans le four !’ Il n’est pas rare que je trouve un intérêt à des trucs qui me semblaient horribles il y a q