Alors que la Commission européenne a autorisé la mise sur le marché de nouveaux produits, le sujet de la consommation d'insectes commence à arriver sur la table. Sources de protéines et bons pour la planète, les grillons, criquets et autres vers de farine finiront-ils dans vos assiettes ?

L'entomophagie serait pratiquée régulièrement par près de 2 milliards d'humains. Photo ivabalk/Pixabay

Il y a quelques semaines, la Commission européenne a autorisé la mise sur le marché d'une poudre de grillons domestiques. Le 3 janvier 2023, son réglement d'exécution 2023/5 accepte en effet une demande de la société vietnamienne Cricket One, datant de juillet 2019, qui "portait sur l’utilisation de la poudre d’Acheta domesticus (grillons domestiques) entiers partiellement dégraissés" dans différents aliments, notamment les pains et petits pains multicéréales, les biscuits secs, les barres de céréales, les sauces, les pizzas ou encore les confiseries au chocolat.

Le dossier peut sembler anodin, il est pourtant lui aussi touché par une certaine pointe de complotisme. « On nous dit que la seule solution pour l'avenir, ce serait de manger des insectes. Le réchauffement climatique a bon dos. Comme le Covid, il permet de faire passer n'importe quelle décision idiote en la présentant avec un vernis soi-disant scientifique », peut-on ainsi lire sur une publication Facebook. On fait le point.

L'entomophagie (le nom savant de la consommation d'insectes) est donc encore loin de s'imposer chez nous, où la mise sur le marché est d'ailleurs régulée. Ces produits sont en effet considérés comme faisant partie de la catégorie "nouveaux aliments" (ou "novel food" en anglais), désignant juridiquement ceux qui n'étaient pas consommés de manière significative en Europe en 1997.

Dans le monde, on estime pourtant à près de 2 milliards le nombre de personnes pratiquant régulièrement l'entomophagie.

Le burger de l'Ain Ch'tite Fringale. Photo Progrès/Yannick BIGOT
Le burger de l'Ain Ch'tite Fringale. Photo Progrès/Yannick BIGOT

Il y en a déjà pour tous les goûts

En France, les insectes font encore figure d'attractions. « On retrouve chez nous les aventuriers, les gens qui cherchent de la nouveauté », constate Damien, patron du food truck L'Ain Ch'tite Fringale, basé dans l'Ain. Il a mis au menu un burger à base d'insectes.

Ceux-ci sont achetés à un éleveur bio du coin, Insectopie, à Yennes (Savoie). « Ils sont tués au congélateur, passés au déshydrateur et vendus nature ou aromatisés », explique le chef aindinois. « C'est conditionné dans des petits sachets et il n'y a pas besoin de cuisson, on met ça dans le burger pour remplacer la viande. »

Située à Foissiat, toujours dans l'Ain, la ferme du Tiret propose elle aussi des insectes déshydratés « prêts à être dégustés à l'apéro, comme des chips, ou saupoudrés dans des plats comme des lardons croustillants », selon l'éleveur Quentin Bozonnet.

Mais il lorgne aussi du côté des produits transformés : « On a fait des pâtes aux grillons, ainsi qu'une terrine insectes -champignons pleurotes par exemple. » Histoire de montrer que les insectes peuvent être incorporés dans beaucoup de régimes, et pas que pour les amateurs de Koh-Lanta.

« Quand vous mettez des insectes sur la table à l'apéro, il y a beaucoup plus de conversations que quand c'est une tapenade », remarque Jean-Philippe Beraud, patron de l'épicerie Sucré-Salé, qui vend des vers de farine, des grillons et des criquets à Saint-Étienne. « Les gens discutent en racontant qu'ils en ont mangé dans tel pays, en disant qu'ils ont vu ça à la télévision, en jurant qu'ils ne goûteront jamais, en contre-argumentant que c'est bon pour la planète… »

La question écologique, c'est d'ailleurs le moteur principal de cette nouvelle réflexion autour des insectes. Avec des avantages multiples : cycles de reproduction rapides, faible superficie nécessaire à l'élevage, moins d'émissions de gaz à effet de serre, déjections qui produisent une matière riche en azote utilisables pour faire des engrais naturels…

Le rapport de 2013 qui a tout déclenché

« Ce qui a déclenché la vocation de pas mal de gens, c'est un rapport de la FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations, organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, NDLR) sorti en 2013 et qui a mis en avant le potentiel des insectes pour apporter de la protéine saine et durable », témoigne Valérie Mixe, gérante de la micro-ferme urbaine Minus Farm, dans la banlieue lilloise. « Quasiment tous ceux que j'ai rencontrés qui sont dans ce milieu ont lu à un moment ou à un autre ce rapport. »

Photo SadiaK123/Pixabay

« Nous, c'est pour le côté agronomique », confirme Quentin Bozonnet, de la Ferme du Tiret. « On va utiliser des matières premières issues de l'agriculture biologique et un peu délaissées, comme des drêches de bière de brasserie bio, qui sont des déchets et deviennent des matières premières. On nourrit les insectes avec, et on cuisine ensuite les insectes. Ça permet de valoriser ces matières premières un peu oubliées aujourd'hui et de les transformer en protéines animales à forte valeur ajoutée, ainsi qu'en fertilisants. »

Photo Progrès/Photo Julio PELAEZ
Photo Progrès/Photo Julio PELAEZ

« Des protéines d'une qualité proche de la viande »

Isabelle Brivet, docteur en sciences des aliments, diététicienne nutritionniste à Dole (Jura)

Quelles sont les principales caractéristiques nutritionnelles des insectes ?

« Ce sont des protéines qui sont de bonne qualité, de qualité proche de la viande. Par rapport aux protéines végétales, elles ont beaucoup plus d'acides aminés essentiels. Au niveau des lipides, les insectes peuvent être intéressants pour la santé parce que les espèces les plus grasses sont riches en Oméga 3, qu'on trouve moins dans la viande. Au niveau fibres, il y a une petite carapace composée de chitine, qui n'est pas assimilable pour l'organisme, ce qui est intéressant pour le transit. On y trouve aussi des vitamines et des minéraux. »

Quelles peuvent être les craintes autour de l'entomophagie ?

« Il y a quand même certaines incertitudes par rapport aux risques des insectes. Cela dépend des espèces consommées. Certaines contiennent des toxines, par exemple des venins ou des facteurs anti-nutritionnels, c'est-à-dire des molécules qui empêchent l'assimilation de certaines vitamines. Certains insectes peuvent aussi être infectés par des agents pathogènes ou des parasites. Les insectes doivent vraiment être sains quand on les absorbe. En fonction des conditions d'élevage, certains peuvent être contaminés par des métaux lourds, des polluants ou des pesticides. »

Comment voyez-vous le futur pour ce type de produits ?

« La principale question est de savoir si le consommateur est prêt à consommer des insectes, et comment. Je ne sais pas si le consommateur est prêt à consommer un insecte s'il n'est pas un peu camouflé. On risque de se retrouver avec des insectes hyper transformés, frits, aromatisés, sucrés, colorés... Et du coup, est-ce qu'on ne va pas se retrouver avec des aliments ultra transformés, plus néfastes que bénéfiques ? »

La solution miracle aux problèmes environnementaux n'existe pas, et les insectes n'en seront pas une. Dans une tribune sur le site The Conversation, un doctorant en économie de l'environnement relativise ainsi les avantages environnementaux de la production d'insectes, étudiés sur des élevages asiatiques à petite échelle impossibles à reproduire à plus grande échelle en Occident : « Non seulement les insectes ne constituent pas une meilleure alternative que les protéines végétales sur le plan environnemental, mais en plus ils sont bien moins acceptés par les consommateurs ».

D'autres alternatives existent d'ailleurs. « L'association WWF a produit un rapport sur les 50 aliments du futur, en s'intéressant à des aliments intéressants d'un point de vue nutritif et dont la production permet une empreinte environnementale raisonnée », explique Djona Hounkonnou Salako, consultante en sûreté alimentaire basée à Lyon. « Aujourd'hui on se rend compte que 75% de l’alimentation mondiale provient de douze grandes cultures et cinq animaux. »

Photo inguaribile_viaggiatore/Pixabay

« La forme va être un vrai sujet »

Même si le choix a été fait par l'association au logo au panda de ne pas inclure les insectes dans sa liste, ceux-ci auront donc leur place dans la diversification de notre alimentation. Et même si la transition ne se fera pas d'un coup de baguette magique. « La forme de l'insecte est quelque chose qu'on n'est pas près de dépasser », avoue Djona Hounkonnou Salako.

« Pour envisager l'insecte comme une protéine animale de substitution, la forme va être un vrai sujet. Je pense que ce sera une solution pour les industriels. Quand on voit l’augmentation du prix des matières premières, ça va peut-être accélérer l'arrivée dans nos assiettes d'insectes sous forme transformée. »

Personne ne forcera donc les moins aventureux à croquer dans un grillon, mais ils pourraient consommer des insectes malgré tout.