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Altice met en pratique le secret des affaires pour étouffer la presse

« Le site Reflets.info, avec qui je travaille, sort demain un premier volet d’enquête sur Altice et Patrick Drahi » , lance le journaliste Jacques Duplessy, le 4 septembre devant les caméras de BFMTV. En plateau, le malaise est total. Pour cause, la chaîne d’information en continu appartient au groupe Altice, dirigé par le milliardaire Patrick Drahi. Chose promise, chose dûe, Reflets.info publie, entre le 5 septembre et le 4 octobre, une série de huit articles qui portent sur la gestion des entreprises du groupe, sur ses méthodes d’optimisation fiscale ou encore sur les dépenses et exigences pharaoniques de la famille Drahi. Le média annonce qu’il poursuivra son enquête pendant « des mois ». Ces révélations, issues de dizaines de milliers de documents piratés et rendus publics par le groupe de cybercriminels Hive, provoquent la colère de Patrick Drahi. Le milliardaire tente alors d’obtenir la censure de quatre de ces articles, invoque le secret des affaires et assigne le journal en référé devant le Tribunal de commerce de Nanterre, pour une audience qui se tient finalement le 27 septembre. Le résultat du délibéré est attendu ce jeudi.

Le secret des affaires pour contourner le droit de la presse

 Une procédure-bâillon d’un genre nouveau en France car, habituellement, c’est la 17ème chambre du Tribunal correctionnel de Paris, spécialisée en droit de la presse, qui traite ce type d’affaires. Ici, c’est un juge consulaire, professionnel du commerce élu par ses pairs et exerçant à titre bénévole qui doit rendre son verdict. « C’est mon premier référé », lâche le magistrat en ouverture de l’audience, selon les journalistes présents sur place. Une scène ubuesque qui questionne la légitimité d’une institution pensée pour régler les litiges commerciaux à juger le bien-fondé d’un travail journalistique. « Ils ne nous accusent pas de diffamation ou d’avoir diffusé de fausses informations. Ils invoquent le secret des affaires pour pouvoir contourner le droit de la presse », assure Antoine Champagne, cofondateur et rédacteur en chef de Reflets.info. Un tour de passe-passe rendu possible par une directive européenne, décriée et transposée dans le droit français en juillet 2018. Elle stipule, entre autres, que « l’obtention d’un secret des affaires est illicite lorsqu’elle est réalisée sans le consentement de son détenteur légitime », notamment par un accès non autorisé à des documents ou fichiers. Cette loi entend aussi sanctionner la personne qui, au moment de diffuser une information, « savait, ou aurait dû savoir au regard des circonstances, que ce secret avait été obtenu [...] de façon illicite ».  

Un danger pour la presse

Fort heureusement, la loi relative à la protection du secret des affaires prévoit aussi quelques exceptions qui protègent, en principe, la liberté de la presse. Ainsi, le secret des affaires ne peut être invoqué si les informations divulguées l’ont été « dans le but de protéger l’intérêt général ». Un axe autour duquel la rédaction de Reflets.info a articulé sa défense. Défense éminemment légitime, puisqu’après tout, l’essence même du métier de journaliste est de servir l’intérêt général. Si le site d’information venait à être condamné au terme de cette procédure inédite, cela ouvrirait la voie à d’autres tentatives de censure du même genre et mettrait en péril l’exercice de l’enquête journalistique. Car, si les journalistes n’avaient jamais pu consulter de documents issus de fuites ou de piratages, ils n’auraient jamais pu révéler la multitude de scandales liés aux Uber Files,  aux Macron Leaks, aux Pandora Papers ou aux Luxembourg Leaks. Si le Tribunal de Commerce de Nanterre décidait de sanctionner Reflets.info, « cela pourrait aller encore plus loin », déplore Antoine Champagne. Il précise : « Comment pourrions-nous établir, systématiquement et avec certitude, que nos sources n’ont pas acquis les informations qu’elles nous transmettent de manière frauduleuse ? »

Des procédures bâillons affaiblissant les médias

Sans évoquer le coût faramineux de telles procédures judiciaires pour les médias visés, qui suffisent déjà parfois à dissuader les journalistes de travailler sur certains sujets sensibles . « De notre côté, nous avons lancé une souscription auprès de nos abonnés pour payer nos frais de justice » , raconte Antoine Champagne. Avec trois affaires en cours, et malgré le soutien de ses lecteurs, Reflets.info pourrait ne pas survivre à une nouvelle vague de procédures, de l’aveu de son rédacteur en chef. Le site est loin d’être seul dans ce cas. En attendant le résultat du délibéré du Tribunal de commerce de Nanterre, prévu ce jeudi, la presse française a les yeux rivés sur l’affaire et sur l’inquiétant précédent qui pourrait en découler. Le tout, au grand dam de Patrick Drahi, qui espérait camoufler la fuite de ses données et faire taire les journalistes qui les ont relayées.

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— reflets.info (@_reflets_) October 1, 2022