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«Après Julien Bayou, à qui le tour?»

FIGAROVOX/TRIBUNE - Après les accusations de Sandrine Rousseau contre Julien Bayou sur un plateau de télévision, le député a dû démissionner de ses fonctions de secrétaire national. Au-delà du cas Bayou, cette affaire pourrait tous nous entraîner dans un engrenage de justice médiatique, s'inquiète le médiologue Philippe Guibert.

Philippe Guibert est consultant, ancien directeur du SIG. Il a publié La Tyrannie de la visibilité (VA Press, 2020).

La démission de Julien Bayou de ses fonctions partisanes signe bien le retour de Kafka dans la vie politique française (on pouvait déjà le rencontrer, il est vrai, dans sa vie administrative). «On avait sûrement calomnié Joseph K., car sans avoir rien fait de mal, il fut arrêté un matin», tel est l'incipit du roman Le procès, du célèbre écrivain praguois, maître de l'absurde et de la culpabilité modernes. On croyait Kafka remisé au fond de notre imaginaire cauchemardesque ; las, la culpabilité sans cause est en passe de connaître une nouvelle actualité, par la grâce médiatique du progressisme féministe.

«Je suis accusé de faits qui ne me sont pas présentés», écrit Julien Bayou lundi matin dans son communiqué, «dont mes accusateurs-ices (on appréciera l'inclusif subtil) me disent qu'ils ne sont pas pénalement répréhensibles, et dont je ne peux pour autant pas me défendre, puisqu'on refuse de m'entendre».

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Bayou n'a pu se défendre, faute d'acte d'accusation ! On lui a seulement dit, perversité suprême, que les faits n'étaient pas «pénalement répréhensibles». En ajoutant sans doute: «Mais tu dois partir maintenant, Julien, c'est comme ça, tu sais bien». Il y a un congrès bientôt, chez EELV... L'absence de procédure contradictoire, malgré l'existence d'une commission interne dédiée, dont l'avocate de Julien Bayou souligne qu'elle a refusé quatre fois de l'entendre, démontre l'absence de sens élémentaire de la justice dans les mœurs écologistes. On se croirait dans une dictature finissante, quand le tyran décide de se débarrasser d'un récalcitrant ou d'un gêneur sans autre forme de procès. Notons que cette façon de faire constitue une régression regrettable par rapport aux célèbres procès staliniens, dans lesquels il y avait au moins mise en scène d'une procédure au bout de longues semaines de préparation, avec élaboration de mensonges officiels et confessions forcées de l'accusé.

En réalité, ce n'était pas une accusation que celle-ci avait lancée contre Julien Bayou sur le plateau de C à vous , une semaine plus tôt. On avait mal compris: c'était une fatwa.

Philippe Guibert

Sous Staline, on essayait de sauver les apparences, pour le bon peuple soviétique et quelques naïfs occidentaux. Avec Sandrine Rousseau, on ne rend pas compte au peuple, on ne se doit qu'au Bien. Toute contestation est le mal, c’est-à-dire «partie du problème» selon l'expression du féminisme en vogue – le problème du patriarcat évidemment. On pourrait sourire et se souvenir des exclusions sommaires prononcées dans le huit-clos de groupuscules extrêmes, en particulier gauchistes, dans les belles années de l'après 68. Mais ni EELV, ni LFI ne sont des groupuscules, ce sont des partis avec des élus, locaux et nationaux, participant à la vie politique d'une démocratie libérale, qui s'honorait de ne pas condamner arbitrairement, au bout de plus de deux siècles d'apprentissage des procédures.

Mais chez nos écoféministes en lutte contre les dominations prédatrices de l'androcène, (leur dureté est-elle une façon de dénoncer ce préjugé sexiste qui associe le féminin à la compassion ?) la présomption de culpabilité pèse dès lors qu'un simple soupçon existe. Il suffit d'en parler. Mais pas avec n'importe qui: avec la nouvelle vengeresse de toutes les femmes victimes des hommes, Sandrine Rousseau en personne. En réalité, ce n'était pas une accusation que celle-ci avait lancée contre Julien Bayou sur le plateau de C à vous , une semaine plus tôt. On avait mal compris: c'était une fatwa. D'ailleurs Yannick Jadot, pourtant adversaire interne de Sandrine Rousseau, a renchéri, avec une élégance rare, en demandant à Bayou de démissionner quelques jours plus tard. Car dès lors que l'affaire était médiatisée, la messe était dite et Bayou condamné: le soupçon remplace toute idée de procédure, avec son lot de rumeurs malfaisantes. On savait déjà que le secret de l'instruction, la présomption d'innocence, la rigueur d'une enquête indépendante et quelques autres principes étaient des vieilleries ringardes, en 2022. Mais on découvre ici que nulle procédure, même singée, même interne, n'est indispensable. D'ailleurs, puisque les faits ne sont pas répréhensibles pénalement, c'est donc qu'ils le sont moralement. Et qui décide de la morale ? Sandrine Rousseau évidemment.

La loi des suspects de notre grande terreur révolutionnaire a donc elle aussi retrouvé un avenir, fût-il aseptisé: la guillotine est aujourd'hui politique et médiatique, et non plus physique ; on vous efface, on vous «cancel». Être rendu à l'invisibilité, dira-t-on, est moins définitif que le couperet du bourreau. Voire: demandez à M. de Rugy et à ses homards.

Il suffit d'être soupçonné d'avoir commis une faute morale, inconnue de son auteur et nullement attestée si l'on en croit le récit de son avocate, dès lors que ce soupçon est proclamé par une grande prêtresse féministe.

Philippe Guibert

Avec l'affaire Quatennens il est devenu clair que confesser publiquement une faute et s'en repentir constitue une circonstance finalement aggravante. Une faute, fut-elle apparemment sans lendemain, mérite la dégradation politique intégrale, avant enquête judiciaire, en place publique. C'est entendu et c'est moral, puisqu’une gifle répréhensible, c'est la preuve indubitable que vous êtes un homme violent. Avec l'affaire Bayou, on franchit une étape supplémentaire: il suffit d'être soupçonné d'avoir commis une faute morale, inconnue de son auteur et nullement attestée si l'on en croit le récit de son avocate, dès lors que ce soupçon est proclamé par une grande prêtresse féministe. Morale partout, justice nulle part, dans le camp du Bien – mais beaucoup de petites manœuvres.

C'est un peu court de renvoyer ces responsables politiques destitués au principe de l' «arroseur arrosé». Et c'est un peu illusoire de croire que ces destitutions publiques resteront cantonnées au camp «progressiste»: la force du système médiatique, qui se rêve depuis si longtemps juge définitif du bien et du mal, en épousant l'idéologie dominante et en faisant de nous les jurés du faux procès, continuera sur sa lancée. Des ministres ont été conduits à la démission dès leur mise en examen. Normal en effet. Puis des ministres ont démissionné sans être mis en examen, puis sans incrimination pénale. L'étape suivante, logique, est de démissionner sans aucune faute, par décision d'une autorité «morale». C'est si bon de voir chuter un présomptueux - spectacle à audience garantie.

Ceux qui se moquent devraient réfléchir: c'est peut-être pour eux aussi que sonne le glas.