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Après l'affaire Quatennens, les nuages s'accumulent pour Jean-Luc Mélenchon

Temps de lecture: 6 min

«Quand ça veut pas, ça veut pas!» Cette expression populaire résume assez bien le cycle dans lequel se trouve actuellement Jean-Luc Mélenchon. Habitué, depuis plusieurs décennies, aux montagnes russes (sans jeu de mots) dans son parcours politique, le promoteur de l'insoumission et de la radicalité réunies est aujourd'hui au creux de la vague. Cette dépression suit une période d'euphorie pré-électorale.

Après avoir espéré, sans succès, être présent au second tour du scrutin présidentiel et après avoir lancé à l'électorat, sans plus de réussite, «Élisez-moi Premier ministre» lors des législatives, en faisant une lecture très personnelle de la Constitution, le chef historique de La France insoumise (LFI) était tout de même parvenu à bâtir un cartel électoral à l'Assemblée nationale avec le Parti socialiste (PS), Europe Écologie-Les Verts (EELV) et le Parti communiste (PCF).

Rappelons que cette alliance lui a permis de faire entrer 75 femmes et hommes Insoumis dans l'hémicycle –LFI est le second groupe d'opposition derrière le Rassemblement national (RN) qui en compte 89–, dominant ainsi largement les groupes socialiste (31 membres), écologiste (23) et communiste (22). Au bout du compte, un intergroupe de 151 unités constitue l'opposition de gauche à l'Assemblée, qui compte 577 députés. L'important pour Mélenchon était de montrer que cette opposition-là est plus imposante que celle d'extrême droite.

«Il manquait cinquante voix pour éjecter le gouvernement»

Ce souhait de montrer les muscles face au gouvernement d'Élisabeth Borne a trouvé sa concrétisation le 24 octobre, avec l'examen d'une motion de censure déposée par les quatre partenaires de la Nupes contre le recours à l'article 49.3 de la Constitution par la Première ministre pour faire adopter sans vote la première partie du projet de loi de finances (PLF). Cette motion a obtenu 239 voix pour une majorité requise de 289 voix. Elle n'a donc pas été adoptée malgré le soutien que lui avaient apporté les 89 membres du RN.

C'est ce soutien qui a posé un problème au sein de la gauche. Mélenchon, qui ne siège plus à l'Assemblée depuis les dernières législatives, a posté un tweet pour se féliciter (amèrement) du résultat de ce vote. «La droite sauve le gouvernement de justesse. II manquait 50 voix pour éjecter le gouvernement. Nous sommes prêts pour la relève», a-t-il écrit sur le réseau social. Déplorant l'abstention du parti Les Républicains (LR) assimilée à un ralliement au «macronisme», il passait sous silence, dans le même élan, l'apport des voix d'extrême droite.

La droite sauve le gouvernement de justesse. Il manquait 50 voix pour éjecter le gouvernement. Nous sommes prêts pour la relève. #DirectAN #MotionDeCensure

— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) October 24, 2022

Il n'en fallait pas plus pour que la cheffe du gouvernement dénonce une «alliance contre-nature» et que cette étrange forme de banalisation du RN par l'inspirateur de LFI provoque un malaise diffus au sein de la gauche. L'apport des voix d'extrême droite à une motion de censure de gauche pouvait au moins soulever quelques questions, ce qui n'a pas eu l'air d'effleurer Mélenchon, qui a ciblé ceux qui se les posaient justement. Sur son blog, le 1er novembre, il les fustigeait: «Sous prétexte de “refuser les voix RN” ils finissent en fait, sans oser le dire, par soutenir le gouvernement Macron en refusant sa chute.» Il fallait oser l'écrire. Fermez le ban!

Le PS ne vote plus les motions de censure LFI

Ces interrogations sur la pertinence de l'analyse et de la stratégie du chef des Insoumis en matière de dépôt systématique d'une motion de censure pour répondre à l'utilisation non moins systématique du 49.3 par Élisabeth Borne à propos des textes budgétaires (projet de loi de finances et projet de loi de financement de la Sécurité sociale) ont fini par convaincre les autres composantes de la Nupes de ne plus s'associer à la démarche de LFI.

Le groupe présidé par Mathilde Panot (LFI) a donc déposé seul quatre textes de censure depuis le 31 octobre. Si les deux premiers ont reçu, une nouvelle fois, le soutien du RN, il apparaît qu'ils ont obtenu de moins en moins de voix venant de la gauche écologiste et communiste. Les socialistes, eux, se sont totalement abstenus dès la deuxième motion solitaire des Insoumis.

Bilan des motions de censure de #LFI seule
4 ont été déposées depuis le 31 octobre
A partir de la 2e, le #PS ne les vote plus
La 1er : 218 voix avec celles du #RN
La 2e : 188 voix (dont 71 LFI et 87 RN)
La 3e : 85 voix sans RN
La 4e : 93 voix sans RN (74 LFI, 9 EELV, 9 PCF, 1 NI)

— Olivier Biffaud (@bif_o) November 28, 2022

À cette salve de déconvenues parlementaires, que Mélenchon tente de présenter sur son blog comme le résultat de l'autonomie bien comprise de chaque partenaire de la Nupes, s'est ajoutée, en cours de route, une autre assez embêtante pour lui: celle qui est baptisée «l'affaire Quatennens», du nom de cette figure du mouvement mélenchoniste accusée de harcèlement et de violence conjugale. L'affaire a éclaté en septembre par la révélation d'une gifle. Dès le début, Mélenchon a manifesté sa confiance, voire son soutien, au député du Nord, provoquant de sérieux remous internes.

Tout donne à penser que le triple candidat à l'élection présidentielle voyait en Adrien Quatennens, coordinateur de La France insoumise (sorte de secrétaire à l'organisation, c'est-à-dire un numéro 2), un successeur possible, sinon désigné, quand viendrait l'heure de la retraite politique pour lui. Avec ses principaux lieutenants, il a du reste œuvré pendant un moment pour préparer son retour à l'Assemblée nationale, d'où il est absent depuis plusieurs semaines.

Le chef en porte-à-faux sur les questions féministes

Mais fin novembre, les déclarations de Céline Quatennens, les premières, venant nettement en contradiction avec celles de son ex-époux puisqu'elle affirme avoir subi des «violences physiques et morales» pendant «plusieurs années» –déclarations qu'il conteste formellement– ont mis à bas le plan de son retour au palais Bourbon. Et le «coordinateur» a été suspendu de ses fonctions dans le parti, dans l'attente d'une décision de justice. Cette situation est un désaveu pour Mélenchon.

Cette déconvenue supplémentaire a mis en évidence la divergence de vue et de fond entre le chef historique et une partie du mouvement, notamment certaines cadres et de nouvelles députées beaucoup plus sensibles et réceptives aux questions féministes. En prime, des alliés au sein de la Nupes –Olivier Faure pour le PS et Sandrine Rousseau pour EELV– ont clairement dit que la réapparition de Quatennens sur les bancs de l'hémicycle n'était pas souhaitable pour le moment.

Résultat médiocre de la candidate pro-Rousseau à EELV

Le dernier revers en date est arrivé, en quelque sorte, par procuration. Il vient d'un autre parti de la Nupes, de chez les écolos d'EELV. Dans la compétition ouverte pour prendre les rênes du parti –Julien Bayou a quitté son poste de secrétaire national, en septembre, après des accusations de violences psychologiques formulées par une ex-compagne, accusations qu'il conteste–, Mélissa Camara, la candidate soutenue par Sandrine Rousseau, députée éco-féministe la plus proche des Insoumis, n'a obtenu que 13,5%. Très loin derrière Marine Tondelier, la candidate soutenue par Bayou, qui a rassemblé 47% des suffrages des adhérents.

Entre les deux, Sophie Bussière, la candidate soutenue par Yannick Jadot, candidat à la présidentielle (4,6% des voix) et cible non dissimulée de Rousseau, a fait 18% des voix lors de ce vote décentralisé par région organisé par EELV. Les règles internes du parti impliquant d'avoir 60% des sièges au conseil fédéral pour diriger la maison verte, Tondelier va devoir se tourner vers une ou plusieurs listes pour parvenir à une fusion permettant d'atteindre ce seuil. La logique voudrait qu'elle aille plutôt vers Bussière, assez critique de la Nupes comme elle, plutôt que vers Camara, ouvertement pro-Nupes.

Les ambitions présidentielles pointent le nez

Bien que Mélenchon présente les résultats de cette consultation comme une victoire implicite pour la Nupes, tout en reconnaissant, une nouvelle fois sur son blog, qu'il n'a peut-être «rien compris» –ce qui n'est pas impossible s'agissant des écologistes–, le décryptage du scrutin est sans doute plus compliqué que ça.

En effet, à EELV comme chez les socialistes lors de leur prochain congrès, la préoccupation principale est de «réarmer» l'autonomie et l'identité idéologique de chacun de deux partis en vue des futures échéances électorales, plutôt que de s'attacher prioritairement aux moulinets médiatiques du cartel électoral de la Nupes.

Enfin, une autre déconvenue risque de perturber la quiétude de Mélenchon. Il s'agit ici de l'émergence des ambitions présidentielles au sein du mouvement insoumis, ambitions somme toute parfaitement logiques et qui ne vont aller qu'en s'amplifiant au cours des prochains mois. Les membres les plus en vue dans ce domaine s'appellent François Ruffin et Clémentine Autain. Chacun à sa manière, les deux marquent leurs différences avec le «chef», en prenant soin de ne jamais franchir la ligne jaune... mais en flirtant avec elle. Une façon de planter les jalons de «l'après-Mélenchon». Ultime déconvenue?