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Arctique : « Avec la disparition de la banquise d’été, c’est un pilier de notre système climatique que l’on perd »

Une décennie plus tôt que les projections du Giec… L’Arctique pourrait être privé de glaces de mer (banquise), en été, dès les années 2030, alertent cette semaine des scientifiques coréens, canadiens et allemands dans la revue Nature Communications. Par absence de glace, cela veut dire une surface inférieure à 1 million de km2, car il pourra toujours rester de la glace résiduelle le long des côtes, détaillent les auteurs. Qui pointent les émissions de gaz à effet de serre comme principale cause à cette évolution d’ores et déjà inéluctable.

Une mauvaise nouvelle de plus sur le front du changement climatique. Et celle-ci est de taille, insiste la glaciologue française Heïdi Sevestre, membre de l’Amap, le programme de surveillance et d’évaluation de l’Arctique et récompensée l’an dernier de la médaille Shackleton pour la protection des régions polaire. « Je n’ai jamais vu un article scientifique aussi puissant de toute ma carrière », lance-t-elle. Heïdi Sevestre explique pourquoi à 20 Minutes.

Comment expliquer que cette fonte des glaces en Arctique se révèle bien plus rapide que prévu ?

La science avance très vite – peut-être pas assez – dans la compréhension du changement climatique. C’est une sorte de course contre la montre. On voit arriver de nouveaux outils, de nouvelles techniques, le socle de connaissances et de données sur lequel s’appuyer s’étoffe. 

Et plus on avance, plus on se rend compte que les conséquences du changement climatique sont beaucoup plus avancées qu’on ne le pensait. En particulier sur les glaciers. Cette étude en est un nouvel exemple. Certes, on savait déjà qu’on risquait d’avoir des étés sans banquise en Arctique. Mais en se basant sur les observations depuis les années 1970 et jusqu’en 2019, et en les confrontant aux derniers modèles de simulation et aux derniers scénarios, ces scientifiques concluent que cette situation pourrait arriver dès le début des années 2030. Quasiment demain, donc.

Pourquoi ces scientifiques prennent-ils le mois de septembre comme référence ?

La banquise a un fonctionnement cyclique sur l’année. L’hiver, elle s’étend, l’été, puisqu’il fait un peu plus chaud, elle prend naturellement moins de place. Septembre est justement le moment où la superficie est à son minimum, si bien que ce mois sert de référence pour mesurer le bilan de santé de la banquise. 

Il est probable que cette disparition commence en septembre puis s’étende, petit à petit, aux autres mois de l’été. Il ne faut pas croire non plus qu’à compter de 2030, on n'aura subitement plus jamais de glaces de mer l’été en Arctique. Il y aura toujours des années avec et d’autres sans. Mais on devrait passer d’un phénomène ponctuel à quelque chose de plus en plus récurrent.

Qu’est-ce qui fait que les pôles Nord et Sud se réchauffent beaucoup plus vite que le reste de la planète ?

La région Arctique se réchauffe globalement quatre fois plus vite, et c’est en grande partie dû à cette fonte de la banquise. Il faut la voir comme le climatiseur de l’Arctique. 

C’est principalement une histoire d’albédo [le pouvoir réfléchissant d’une surface]. La banquise est une très grande surface blanche qui renvoie le rayonnement solaire - et donc la chaleur- dans l’Espace. Lorsque cette glace fond, elle laisse place à l’océan, dont la surface est bien plus sombre. Ce dernier absorbe donc le rayonnement solaire et emmagasine cette chaleur. En France, on a la même chose avec les Alpes, qui se réchauffent deux fois plus vite que le reste du pays, toujours parce que les zones de glaces et de neige s’amenuisent petit à petit.

Tout s’emballe derrière ?

Plus on émet de gaz à effet de serre, plus la banquise se réduit, plus l’Arctique se réchauffe. Or, dans cette région, il y a aussi du permafrost, ce sol gelé en permanence. Lui aussi fond sous l’effet du réchauffement et libère des quantités importantes de gaz à effet de serre, qui vont contribuer au réchauffement climatique... C’est un cercle vicieux que les scientifiques nomment « l’amplification arctique ».

Mais l’étude publiée cette semaine rappelle bien que les conséquences de cette disparition des glaces de mer l’été ne sont pas seulement locales. Elle évoque le risque d’augmentation des événements météorologiques extrêmes (canicule, feux de forêt...) à nos latitudes. Ce point est très important : la banquise stabilise aujourd'hui tout le climat partout sur Terre. Ne serait-ce parce qu’elle est l’une des pompes de la circulation océanique [le stockage et le transport de chaleur, de carbone, de nutriments et d’eau douce à travers le monde]. Pour que cette circulation fonctionne, il faut des écarts de températures et de salinités importants entre les mers et les océans. La banquise joue un rôle essentiel sur ce point. Or, non seulement l’océan glacial Arctique se réchauffe, mais il reçoit beaucoup d’eau douce de la fonte des glaciers du Groenland. Autrement dit : les écarts de salinité et de températures s’amenuisent.

Ce n’est qu’un exemple de tout ce qu’on doit à l’Arctique et à la banquise. C’est ce pilier-là de notre climat qu’on perd progressivement. On en subit déjà les conséquences en France. On sait que des gels précoces ou, au contraire, des vagues de chaleurs, sont aujourd’hui en partie dus à ce qui se passe en Arctique.

Après des décénnies d'alertes, ça y est, il est maintenant trop tard pour sauver la banquise d'été en Arctique. On a deux choix. Soit on reste sur la trajectoire actuelle et on attend que d'autres piliers de notre climat tombent, soit on essaie de sauver l'humanité? https://t.co/QgqU746p4w

— Dr. Heïdi Sevestre (@HeidiSevestre) June 7, 2023

Cette disparition de la banquise Arctique l’été est-elle irréversible ?

Oui. Même si on arrive à réduire nos émissions de gaz à effet de serre, même si on arrive à rester sous 1,5°C d’augmentation des températures, comme nous presse l’Accord de Paris, il est trop tard pour sauver la banquise d’été en Arctique. A terme, elle va disparaître, et rien n’y changera dans les prochaines décennies. 

Il faudrait pouvoir enlever d’un coup le trop-plein de CO2 dans l’atmosphère. Mais ça fait trente ans que les scientifiques tentent d’alerter sur ce risque. L’enjeu, aujourd’hui, c’est de s’adapter à cette nouvelle donne et de tout faire pour sauver les autres piliers de notre système climatique : les forêts primaires comme l’Amazonie, les récifs coralliens, les glaciers de montagne, le permafrost…

Pour ces autres écosystèmes dont nous dépendons tous, le temps presse, mais il est encore possible d’agir. C’est la raison pour laquelle cette étude dans Nature Communication est capitale : c’est le plus grand avertissement qu’on puisse avoir. Cette nouvelle devrait être un catalyseur mondial pour l’action climatique, une invitation à sortir au plus vite des énergies fossiles.