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Attaque au couteau à Annecy : une cité traumatisée qui panse déjà ses plaies

« Une femme est entrée dans la gare en criant : « ll y a un attentat ! » Ça a fait peur à tout le monde. Deux minutes après, les militaires sont arrivés. Et nous, on était tous sur nos téléphones ». Employé du relais de la gare, Sylvain, 40 ans, a ensuite passé la journée suivre les événements derrière les cordons de sécurité. Comme la plupart des habitants interrogés, il confie sa « sidération » après l'attaque au couteau qui a fait 6 blessés ce jeudi 8 juin à Annecy. Il faut dire que l'attaque a eu lieu en plein centre-ville, dans le grand parc du Pâquier qui borde le lac, et qui est le point de ralliement de tous.

Arrivée dans l'après-midi, Élisabeth Borne a d'ailleurs décidé à la dernière minute, de ne pas tenir sa conférence de presse dans l'amphithéâtre du conseil général où les caméras des chaînes d'information étaient déjà installées et avaient, pour certaines, déjà démarré leur direct, mais a souhaité la faire dos au lac et au parc où l'attaque a eu lieu quelques heures plus tôt. Si le déplacement de toute cette troupe médiatique a créé une certaine cohue, elle n'a pas eu à aller très loin, mais seulement à traverser la préfecture jusqu'à sa grille d'honneur qui donne directement sur le parc du Pâquier.

Colère et retenue

Dans son sillage, le président de région Laurent Wauquiez (LR) a insisté sur le « traumatisme énorme pour la région » et n'a pas souhaité ouvrir de polémique, repoussant à plus tard le temps des « questions » : « Il y a de la colère […], il faudra qu'on comprenne ce qui s'est passé. Mais aujourd'hui, je voudrais juste penser aux familles, à ces enfants, aux soignants qui sont à leur chevet ». Une retenue que n'a pas eue le conseiller régional (Reconquête) Vincent Lecaillon. Écharpe régionaliste autour du cou, il s'était intégré au cortège de la Première ministre et l'a interpellée juste après sa déclaration, alors qu'elle passait à ses côtés. Pointant sa « responsabilité », il a rapidement été mis à l'écart par la sécurité et s'est alors emporté contre « tous les politiques immigrationnistes ».

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La petite foule qui s'était rassemblée derrière les cordons policiers et était maintenue à une cinquantaine de mètres de la Première ministre a au contraire affiché sa retenue. Plusieurs d'entre eux se déclaraient pourtant « Gilets jaunes », « contre la réforme des retraites », ou même adhérents du RN. « Tout à l'heure, il y en a un qui a crié « Darmanin démission », on lui a expliqué que ce n'était pas le moment. Il a compris, la police lui a demandé ses papiers, mais ils l'ont laissé revenir avec nous » raconte Sylvain, qui se présente comme « gilet jaune ». Mais dans les discussions des badauds, les « migrants » reviennent en boucle.

Lynda, la quarantaine et une belle robe bleue, tente de remonter un groupe de lycéennes : « Moi je dis que le maire a du sang sur les mains de laisser faire tout ça. Annecy est remplie de Syriens maintenant, il faut tous les virer ». Les trois lycéennes se disent « choquées » et « inquiètes », mais se gardent de reprendre le discours à leur compte. Clara, Marine et Charlotte ont profité de leur pause au lycée pour venir regarder à distance. Leur établissement étant voisin, elles ont souvent cours dans le parc, une classe de terminale y était d'ailleurs ce matin pour faire du Frisbee. Mais depuis le gymnase, elles en ont entendu assez pour avoir été traumatisées par la scène et sursautent à chaque nouvelle sirène. « Je suis bénévole pour donner des cours d'anglais dans une école, quand j'ai rejoint le lycée, tout le monde m'a crié de faire attention, qu'il y avait un type avec un couteau. Et après on a entendu les sirènes tout le temps, les secours… ». Charlotte abonde : « En sortant du lycée, on avait peur de tout le monde. Tous les types nous paraissaient louches ». Le lycée leur a déjà fait savoir qu'une cellule psychologique était mise en place, pour ceux qui en auront besoin. Mais les vacances commençant demain soir, elles ne sont pas sûres d'y retourner. « C'est clair qu'on va avoir les chocottes » dit Charlotte. « De base, on va au lac tous les jours. On mange pratiquement tous les midis ici. Là, limite on ne sait pas si on va revenir. Ce sera plus jamais pareil. »

Une ville traumatisée

Devant le lycée, la plupart des élèves interrogés relativisent cependant. Camille a été « choquée », mais elle ajoute : « C'est tellement tout le temps… Alors oui, cette fois, ce n'était pas loin, mais on est habitués je crois. Je n'irai peut-être pas tout de suite au lac, mais j'y retournerai ». Comme César et Alexandre, deux autres élèves de seconde, la plupart ont regardé la vidéo de l'attaque, qui a circulé en boucle dans le lycée. « C'est fou de voir une telle violence, c'est horrible » confie César. « D'autant plus que c'est un endroit où on va tout le temps » ajoute Alexandre. Mais aucun n'a souhaité aller à la cellule psychologique ouverte par leur établissement. Devant celui-ci, plusieurs enseignants semblent relativiser. « On est touchés, bien sûr. J'ai immédiatement appelé mon mari, mes enfants, pour leur dire de ne pas venir à Annecy. On en a parlé aux élèves, c'est un peu tôt pour le dire, mais ça avait l'air d'aller » confie ainsi Stéphanie.

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À distance du barrage des CRS, Raphaël, 25 ans, et Youssef, 28 ans, ont accouru par « solidarité avec les victimes ». Ils ne se connaissaient pas, mais ont entamé une conversation et s'emportent sur la « lâcheté » d'un « truc inimaginable à Annecy ». « C'est une ville où il fait bon vivre, où les gens sont solidaires. J'ai 4 filles, on vient tout le temps ici. Ça aurait pu m'arriver. Je pense que je ne vais plus laisser ma femme y aller aussi librement » confie-t-il. « Je connais beaucoup de monde ici, j'avais jamais vu ce type. Il n'est pas d'ici » ajoute-t-il. Avec un père algérien, Raphaël s'inquiète des « amalgames et des répercussions, dans une ville qui est assez raciste quand même. » Une opinion que ne partage pas Youssef : « non, ce n'est pas une ville raciste. Il y en a, comme partout, mais ici c'est une ville très solidaire. Et c'est une ville touristique, on sait accueillir. Il y a pas mal d'entraide, de partage, de fêtes de voisinage, de kermesses… »

Raphaël lui répond : « Ça dépend sans doute des cas. Mais moi, au collège, au lycée, j'ai souvent été pointé du doigt. Les discriminations ça m'a fermé des portes. Cette affaire, je crains que ça puisse avoir un impact sur les immigrés qui veulent s'intégrer. » « Moi les réflexions, ça m'est toujours passé au-dessus de la tête. J'ai compris qu'il fallait travailler deux fois plus que les autres, pour mon père c'était pareil quand il est arrivé du Maroc. Et tu avances » lui conseille alors Youssef. Tous deux sont convaincus que la ville restera longtemps traumatisée. « Après ça, tu vas avoir peur de sortir à Annecy pendant un bout de temps » conclut Youssef.