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Au Brésil, la violence gangrène les élections générales

Ce sont les élections les plus polarisées de l'histoire récente du Brésil. Les plus radicales aussi. Partout dans le pays, la campagne électorale est entachée d'actes de violence : agressions, menaces de mort, assassinats… Une escalade qui inquiète à quelques jours du scrutin, car selon le dernier sondage de l'institut Datafolha, 67,5 % de la population a peur d'être victime de violences dans cette campagne.

"Je vais envoyer quelqu'un te tuer, je sais où tu habites." Depuis qu'il a reçu cette menace claire et laconique sur Instagram le 22 septembre, Chico Alencar arrive au conseil municipal de Rio en voiture blindée. Une nouvelle mesure de sécurité radicale pour le candidat du Parti socialisme et liberté (PSOL) à la chambre des députés de Brasília, qui vient s'ajouter à un garde du corps et une plainte déposée à la police civile. Car à 72 ans, cette figure de la gauche carioca n'en est pas à sa première menace.

Sur son profil, le militant bolsonariste auteur de cette menace compare le communisme, qui menace le Brésil selon lui, au nazisme. Ce jour-là, Chico Alencar a rendez-vous dans les bureaux du président du conseil municipal de Rio avec le secrétaire de la police civile, Fernando Alburquerque, pour savoir où en est l'enquête et l'arrestation potentielle du suspect.

"Nous assistons à de nombreux cas isolés qui, les uns ajoutés aux autres, forment une mosaïque de violence inouïe. Ces agressions sont provoquées par tous ceux qui remettent en question la légitimité du vote électronique, qui dénoncent une fraude électorale, qui disent que nous sommes l'incarnation du mal absolu. Il y a une radicalisation incroyable. L'adversaire politique est perçu comme quelqu'un qui doit être éliminé", confie Chico Alencar.

Chico Alencar, candidat (PSOL) menacé de mort et fervent défenseur de l'interdiction du port d'armes.
Chico Alencar, candidat (PSOL) menacé de mort et fervent défenseur de l'interdiction du port d'armes. © Louise Raulais, France 24

Meurtres politiques

Depuis quelques semaines, la radicalisation de la campagne a pris des tournures dramatiques. Le 24 septembre, dans un bar de Cascavel, petite ville de l'État du Ceara, un homme a poignardé à mort un autre se présentant comme électeur de Lula. Le lendemain, après une dispute de bar, un sympathisant de Bolsonaro a lui aussi été assassiné à coups de couteau dans le sud du pays.

Des meurtres politiques, selon les investigations de la police, qui s'ajoutent à deux autres affaires. Le 8 septembre, dans l'État du Mato Grosso, un partisan du président sortant a tué son collègue, sympathisant de Lula, d'au moins 70 coups de couteau et de hache, après une querelle. En juillet, un policier pro-Bolsonaro a tué par balle Marcelo Arruda, trésorier du Parti des travailleurs (PT) à Foz do Iguaçu, dans l'État du Parana, en criant "ici c'est Bolsonaro ! Lula voleur !", selon les témoins. La victime a été assassinée lors de sa fête d'anniversaire, dont le thème était l'ancien président Lula.

Une escalade de la violence dénoncée par neufs partis politiques, qui ont demandé au tribunal supérieur électoral la mise en place d'une ligne d'assistance téléphonique pour signaler la violence politique et assurer la sécurité des électeurs le 2 octobre.

Une population apeurée

Désormais, selon Datafolha, 67,5 % de la population a peur d'être physiquement agressée en raison de son choix politique. "Nous sommes face à une population apeurée. Environ 3 % des sondés, ce qui représenterait 5 millions de Brésiliens, ont affirmé dans cette enquête avoir été victime de violence politique", explique Mônica Sodré, politologue et directrice du Réseau d'action politique pour le développement durable, institut à l'origine de ce sondage inédit.

"Cela démontre la gravité de la situation. Nous ne pouvons pas négliger le fait que nous avons un chef d'État qui a un discours pro-armes et pro-violence. La manière dont un leader se comporte et la manière dont il s'exprime ont des répercussions sur comment la population reçoit ces discours et se comporte", indique la politologue.

Depuis son arrivée au pouvoir en 2019, Jair Bolsonaro a pris plus de 40 décrets pour faciliter l'accès des civils aux armes à feu, faisant exploser un marché qui enregistre une moyenne d'environ 1 300 armes achetées chaque jour par des Brésiliens.

Interrogé à ce sujet lors d'un débat télévisé sur la chaîne SBT le 24 septembre, Jair Bolsonaro, régulièrement épinglé pour ses propos provocateurs, s'est défendu de toute responsabilité face aux violences perpétrées en son nom. Il a préféré d'abord ironiser sur la situation, en comparant les agressions et meurtres politiques aux bagarres de supporters de football. Puis, le président sortant s'est plaint de la question de la journaliste. "Vouloir m'imputer cette responsabilité n'est pas du journalisme un minimum sérieux",  a-t-il lancé.

"Forte probabilité" de violences le jour du scrutin

Un comportement dénoncé par Mônica Sodré, car il menace l'existence même de la démocratie au Brésil. "Si nous sommes dans un régime qui n'est plus capable de garantir la sécurité des personnes et la liberté d'expression, et met donc la vie des gens en danger, la démocratie est en péril."

Selon un autre sondage de l'institut Datafolha, 40 % des électeurs brésiliens estiment qu'il y a une "forte probabilité" que des actes de violence se produisent le jour du scrutin. En raison de cette crainte, 9 % des répondants envisagent de ne pas se présenter au bureau de vote.

Le tribunal supérieur électoral a ainsi autorisé le déploiement des forces armées dans 568 municipalités, pour assurer l'exercice libre et démocratique du vote.

Mais c'est aussi la réaction du camp de Jair Bolsonaro qui inquiète, alors que le président sortant remet constamment en question la fiabilité du vote électronique et dont le camp propage quotidiennement des fake news sur de possibles fraudes le jour du scrutin… Difficile de savoir s'il acceptera le résultat du vote du 2 octobre, les sondages donnant Lula vainqueur dès le premier tour. Mais Mônica Sodré se dit rassurée par un des résultats de l'enquête : "90 % des personnes interrogées pensent que celui qui gagnera l'élection devra être investi quoiqu'il arrive le 1er janvier 2023".

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