France
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

Au « casino judiciaire », des « factieux » bien tranquilles

Elle aura été privée de liberté pendant plus de quatre jours pour avoir simplement manifesté, jeudi 23 mars, à Paris. Camille F. a été relaxée de toutes les poursuites qui avaient été engagées contre elle par le parquet. La jeune libraire de 27 ans, haut clair et chevelure noire bouclée, était jugée lundi 27 mars en comparution immédiate au tribunal de Paris, devant de nombreux soutiens, pour « participation à un groupement en vue de la préparation de violences ou de dégradations, dissimulation du visage au sein d’une manifestation, refus de prise d’empreintes, ou refus de donner le code de son téléphone portable », après avoir été interpellée au croisement du boulevard Poissonnière et de la rue Montmartre. « Si je suis là, c’est parce je suis allée en manif jeudi, et que je suis tombée. C’est la seule chose qui justifie mon interpellation », a indiqué Camille F. depuis le box des prévenus, les traits tirés et la voix légèrement hésitante.

La jeune femme fait partie des 457 personnes interpellées en France (dont 122 à Paris) lors de la 9e journée d’action appelée par l’intersyndicale – un record depuis le début de la mobilisation. Malgré la légèreté de son dossier, elle est aussi l’une des rares à avoir été soumise au jugement d’un tribunal, comme deux autres manifestants lors de cette audience : Pierre C., 24 ans, technicien de maintenance, et Sébastien S., 22 ans, manager de fast-food – deux amis, pas vraiment militants, qui défilaient ce 23 mars pour la première fois. À ces deux-là, la justice reproche un jet de bouteille sur un fourgon de police – « sans dégât apparent, a reconnu la procureure, mais c’est l’intention qui compte » – ainsi que des insultes aux policiers pour Sébastien. Tous deux ont un CDI, un logement, et reconnu l’essentiel des faits. « J’ai travaillé deux ans en alternance au ministère de l’Intérieur, je n’ai aucune haine des policiers », précise même Pierre C. « Si j’ai insulté ce policier, c’est parce qu’il s’apprêtait à matraquer mon amie Rachel », justifie son ami. Pas vraiment le profil de ces « factieux » qui chercheraient à renverser la République et voudraient « tuer un flic »…

menottée plus de deux heures

La défense de Camille F. n’aura guère eu de mal à démontrer la fragilité des poursuites lancées à son encontre, motivée surtout par « son courage et sa force de conviction » face à un « odieux chantage aux empreintes », selon son avocate, Me Émilie Bonvarlet. De fait, malgré l’utilisation de la vidéosurveillance, aucune image ne la montre en train de jeter des projectiles sur les forces de police, l’incrimination initiale choisie par l’agent qui a rédigé sa fiche d’interpellation. « Vous savez que c’est faux », a répété Camille F. lundi. Laquelle a pourtant été menottée plus de deux heures, entre son arrestation à 16 h 30 sur le pavé parisien et son placement en garde à vue à 18 h 46, au commissariat du 1er arrondissement. « Il est à douze minutes à pied du lieu de son arrestation, rien ne justifie que ma cliente ait été privée de ses droits aussi longtemps », a plaidé Me Bonvarlet, qui a aussi rappelé que « la jurisprudence européenne s’opposait à la collecte systématique des données biométriques et génétiques ». Les autres charges ? La détention de « matériel de chantier », la « dissimulation du visage », le fait d’être « habillée de noir »… « Quel matériel de chantier ? interroge l’avocate. Une pioche, une pelle ? Non, elle avait simplement un masque. » L’avocate tend aussi à la présidente une photo d’agence montrant l’interpellation de sa cliente, au sol, le visage parfaitement visible. « Être habillée en noir n’est pas encore, en France, une infraction pénale. Surtout quand la personne porte un pantalon blanc et une écharpe bleue ! » La garde à vue de Camille F. est annulée pour vice de forme, elle est relaxée des autres poursuites.

Avocat de Pierre C. et Sébastien S., Me Arié Alimi en a profité pour interroger le tribunal sur « ces profils qui représentent assez bien la sociologie de ceux qui manifestent aujourd’hui ». « Pourquoi des personnes qui travaillent, qui n’ont jamais manifesté et n’ont pas d’animosité contre les forces de l’ordre en arrivent à ces accès de colère ? Eh bien, parce qu’en face, il y a des policiers qui matraquent des têtes, des corps (…), parce qu’on interpelle des centaines de personnes sans raison, qu’on les nasse et qu’on leur impute des infractions au hasard, dans une sorte de casino judiciaire. » Pour le jet de bouteille, Pierre C. écope d’un stage de citoyenneté à effectuer, à ses frais, dans les six mois. Sébastien S., relaxé pour ces mêmes faits « faute d’éléments probants », est lui condamné à soixante-dix heures de travaux d’intérêt général pour les autres infractions.