France
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

Au pays du cognac roi, alcool et dépendance

Autant d’hommes que de femmes se retrouvent tous les mardis pour partager leurs histoires. Tous luttent, grâce à la bienveillance du groupe et une honnêteté totale envers leurs addictions, pour rester loin de la tentation. Certains ont la quarantaine, d’autres plus. La grande majorité semble bien insérée socialement et professionnellement. On ne devinerait pas leur addiction en les croisant dans la rue. Loin des clichés, à fond dans la réalité.

Tous ont un point commun : ils sont tombés à outrance dans la bouteille. Et ont levé le pied en arrêtant de lever le coude...

Autant d’hommes que de femmes se retrouvent tous les mardis pour partager leurs histoires. Tous luttent, grâce à la bienveillance du groupe et une honnêteté totale envers leurs addictions, pour rester loin de la tentation. Certains ont la quarantaine, d’autres plus. La grande majorité semble bien insérée socialement et professionnellement. On ne devinerait pas leur addiction en les croisant dans la rue. Loin des clichés, à fond dans la réalité.

Tous ont un point commun : ils sont tombés à outrance dans la bouteille. Et ont levé le pied en arrêtant de lever le coude. « Je sais très bien que si je reprends un verre, ce sera la bouteille et le camion-citerne », glisse Olivier, abstinent depuis treize ans et demi. Les histoires ne sont jamais les mêmes. Stéphane raconte que ses proches ont halluciné en apprenant son addiction tant il la cachait bien. Sylvie, elle, était plutôt du genre pilier du comptoir qui finit l’apéro à la maison. Guy, rugbyman amateur, aimait un peu trop la troisième mi-temps. Corinne servait beaucoup ses ballons de rouge aux repas de famille. Autant de manières d’être alcoolique que d’individus.

« Facile de tomber dedans »

Dans une ville où le cognac est roi, la tentation est partout, la facilité d’accès au produit évidente. La bataille pour rester sobre, elle, encore plus rude. « À Cognac, on bosse tous plus ou moins en rapport avec la vigne, raconte Karine. C’est facile de tomber dedans quand il y a la distillerie à côté, l’alcool à disposition et les bouteilles de cognac offertes. »

S’il n’existe pas de statistiques locales, la région Nouvelle-Aquitaine est deuxième (12,3 % de la population) sur le podium national de la consommation quotidienne d’alcool chez les adultes de 18 à 75 ans. Lorsque l’on regarde les statistiques par sexe du Baromètre de Santé publique France en 2017, les hommes de la région sont les plus gros consommateurs quotidiens de France (19 %).

Les Alcooliques Anonymes ne sont pas les seuls, à Cognac, à aider les addicts à s’en sortir. Addictions Alcool Vie Libre y tient également des permanences une fois par mois, ainsi qu’à Jarnac. Le responsable départemental de l’association, Serge Becue, raconte être tombé dans la marmite de spiritueux alors qu’il était tonnelier.

Tous les matins à jeun, je prenais ma dose de cognac. Ça continuait comme ça toute la journée, j’avais toujours de l’alcool dans le sang.

« Tous les matins à jeun, je prenais ma dose de cognac. Ça continuait comme ça toute la journée, j’avais toujours de l’alcool dans le sang. Jusqu’au jour où je ne l’ai pas bue et j’ai fait un delirium tremens. J’ai arrêté par peur de ne plus pouvoir faire le travail que j’avais passé trois ans à apprendre. »

Cet échantillon de la population n’est toutefois pas représentatif de l’ensemble. « C’est sûr qu’à Cognac, s’il y a bien quelque chose de simple à se procurer, c’est de l’alcool, lance Nicolas Tricoire viticulteur, distillateur à Saint-Brice et vice-président de la commission communication du BNIC. Si on en est malade, c’est facile d’avoir de la matière première. »

Il en est pourtant convaincu, les gens de la région sont plus sensibles à la consommation modérée. « De ce que l’on voit globalement, j’ai l’impression que la consommation est maîtrisée. Que ce soit à Blues Passions ou lors d’autres événements festifs, on n’assiste pas à d’énormes scènes d’ivresse, comme aux Fêtes de Bayonne, même s’il y a évidemment des abus », dit-il.

Le négoce joue la prévention

Au BNIC, on assure que le cognac « se déguste et ne se conçoit pas dans la surconsommation ». L’interprofession mène une politique interne pour protéger ses salariés. « À aucun moment, un salarié doit se sentir obligé de consommer du cognac dans ses missions de représentation ou dans sa vie de tous les jours », dit-elle.

Les grandes maisons de négoce, Hennessy, Martell et Remy Martin prônent une consommation responsable. Cette dernière mène notamment des actions de sensibilisation et de formation interne auprès de ses collaborateurs. Un suivi médical et psychologique régulier des commerciaux du groupe est également d’actualité. « L’objectif est que 100 % d’entre eux aient été intégrés dans ce programme d’ici 2025 », affirme-t-elle. La maison Hennessy effectue également un bilan de santé annuel de ses salariés les plus proches du produit, commerciaux et membres de la commission dégustation en tête.

Hennessy a intégré le sujet à sa « Raison d’être », qui représente la politique RSE de l’entreprise. « Nous menons une politique volontariste avec notamment des campagnes publicitaires qui mettent en avant une manière de déguster mesurée et esthétique », détaille Cécile François, responsable de la communication de la maison. Lors des soirées interne, un service de raccompagnement à domicile est notamment proposé aux employés qui ne seraient pas en mesure de conduire. « C’est un sujet que l’on regarde de près. Pas parce qu’il y aurait des problèmes particuliers mais pour faire de la prévention. Après, de la même manière que dans la population, des salariés peuvent avoir des problèmes de consommation d’alcool. »

« Quand on sait qu’il y a apéritif, vin, digestif, il faut être vigilant, confie Damien Bertrand, qui a occupé le poste de responsable commercial export, auprès de deux négociants. Représentations professionnelles, discussions d’affaires : toutes ont souvent lieu autour d’un repas, où les dégustations peuvent aller bon train. Notamment en Chine, où les contrats se décrochent cul-sec.

Cocaïne et amphétamines tracent leur sillon

Les ambitions affichées par les maisons de négoce font sourire le docteur Philippe Batel, qui a passé sa vie à se battre pour alerter sur les dangers de l’alcool. « Les lobbyistes sont d’une paranoïa et d’une sensibilité absolument majeures pour garder leur image d’excellence », dit-il, en même qu’il fustige « la mission claire confiée aux employés d’augmenter les ventes d’alcool chez les femmes ».
Le psychiatre et alcoologue exerce aujourd’hui au Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) de Cognac. « On voit beaucoup de viticulteurs, des gens qui travaillent dans des chais et des cadres, voire des cadres sup de grandes maisons de cognac », raconte-t-il. Le psychiatre confie également qu’il est rare que l’alcool soit la seule substance consommée. L’ivresse se mêle souvent à la défonce, douce ou dure.
En revenant sur ses terres charentaises il y a quatre ans après une grande partie de sa carrière en région parisienne, le docteur Philippe Batel s’attendait à la consommation d’éthanol locale. Pas à l’usage massif des stupéfiants, qui l’a fortement surpris. « Je n’avais jamais vu autant de gens accros à la cocaïne. Il y a une explosion de l’usage des psychostimulants, amphétamines et coke, chez les cadres à qui on demande des résultats de croissance à deux chiffres ».