France
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

Au Soudan du Sud, une Église catholique pauvre mais résiliente

Le visage souriant du pape François trône à chaque coin de Juba, capitale du Soudan du Sud. Avant son arrivée dans la plus jeune nation du monde, vendredi 3 février, du goudron est coulé sur les principaux axes, les bas-côtés sont ratissés… Loin du centre bouillonnant, dans le quartier périphérique de Jebel Timan, sœur Juan Susan Salvatory fait ses comptes. Emmener les 15 orphelins qu’elle héberge pour assister à la messe du pape lui coûterait 20 000 livres sud-soudanaises (près de 30 €). Alors elle s’en remet à Dieu pour réunir cette forte somme.

Cette religieuse incarne les dilemmes d’un peuple majoritairement chrétien, sans cesse freiné par les limites de l’institution à laquelle il appartient. Depuis l’indépendance du Soudan du Sud en 2011, l’Église catholique fédère en effet un habitant sur deux, rempart mais aussi miroir des souffrances de ses fidèles.

Richesse spirituelle et manque de cohésion sociale

« Cela fait deux jours que nous n’avons plus d’eau », déclare, de sa voix calme, sœur Juan Susan Salvatory. Quand les dons ne suffisent pas à couvrir les frais de scolarité, les professeurs renvoient les enfants dans le modeste orphelinat que « Mama » a ouvert. Parfois, ses protégés n’arrivent pas à s’intégrer à ce quotidien plus structuré et choisissent de retourner dans la rue. Ils sont les victimes indirectes des décennies de guerre qui ont ravagé le Soudan du Sud avant l’indépendance. Puis du conflit fratricide qui a ensanglanté le tout jeune État à partir de 2013, et qui se poursuit malgré l’accord de paix de 2018, comme en témoigne l’assassinat de deux sœurs catholiques en août 2021.

La ville septentrionale de Malakal fut particulièrement affectée. Les deux centres pastoraux ainsi que de nombreuses églises et écoles attendent toujours d’être reconstruits. « La pauvreté de la population se reflète sur l’Église, qui dépend entièrement du soutien de l’extérieur, résume l’évêque local, Mgr Stephen Nyodho Ador. Même pour nourrir les prêtres, nous devons chercher de l’aide à l’international. » À plusieurs reprises, il a sollicité le Vatican, ou encore le Secours catholique, sans recevoir de réponse suffisante. « En dépit de leur pauvreté matérielle, nos fidèles sont riches spirituellement. Leur foi en Dieu leur permet de continuer à aller de l’avant », souligne-t-il toutefois.

Mgr Stephen Ameyu Martin Mulla, archevêque de Juba, confirme. « Notre Église n’est pas si pauvre en termes de foi, d’espoir et de charité. En revanche, nous restons faibles sur la question de la cohésion sociale à cause de la guerre, des tensions politiques persistantes et des générations qui ont grandi en exil dans les pays voisins en s’imprégnant de ces différentes cultures », analyse-t-il, saluant pourtant l’émergence progressive d’une identité sud-soudanaise.

Se substituer au gouvernement

Sa structure hiérarchique et son lien avec le Vatican propulsent l’Église sud-soudanaise en première ligne des pourparlers de paix. Elle possède en outre sa propre commission pour la paix et la justice. À sa tête, le père Martin Ochaya a lancé divers programmes pour lutter contre le braconnage des vastes forêts qui recouvrent le territoire, nourrir les plus pauvres avec les invendus et enrayer les violences endémiques faites aux femmes.

« Nos politiques ont brisé le contrat social avec leur peuple. Nous devons donc nous substituer au gouvernement », dénonce-t-il. Avant d’ajouter : « Le Soudan du Sud n’est pas pauvre ! Nous possédons de larges ressources, mais elles n’atteignent pas la population. Quand nos politiques sont unis, ils nous volent et quand ils sont divisés, ils nous tuent. »

Face à l’église du père Martin Ochaya, dans la plus importante paroisse de Juba, un dispensaire traite les infections les plus fréquentes, dont le paludisme. Dans cette circonscription, les Sœurs du Sacré-Cœur de Jésus ont ouvert une école au cœur d’un quartier jusque-là dépourvu d’établissement scolaire abordable.

Mais les fonds temporairement alloués par l’Unicef n’ont pas permis de clôturer la cour de récréation. Résultat, les classes sont squattées par des sans-abri, regrette l’enseignant Keloy Bosco en désignant le robinet vandalisé du réservoir d’eau. La plupart de ses élèves viennent de villages. Certains ont commencé leur scolarité tard et peinent à comprendre les cours dispensés en anglais, tandis que la menace des mariages précoces plane. L’équipe pédagogique a évité, l’an dernier, l’union d’une jeune fille qui n’avait que 15 ans.

Les efforts de l’Église dans le secteur de l’éducation ne suffisent pas à combler les carences de l’État, entre professeurs peu qualifiés et interruptions de l’année scolaire au rythme des conflits sporadiques. « Nous rêvons d’emmener nos étudiants à un certain niveau. Mais leur formation initiale défaillante et les ressources limitées dont nous disposons ne nous permettent pas de satisfaire ces attentes », témoigne le père Baptist Karim. En tant que recteur de l’unique séminaire national, il se réjouit cependant de ne pas connaître de crise des vocations, ordonnant une dizaine de prêtres et diacres chaque année.

Des jeunes solidaires mais frustrés

À 22 ans, Nyayo Rejoice exprime sa gratitude envers l’institution qui a financé sa scolarité au lycée jésuite de Wau, deuxième plus grande ville du pays. Élevée par sa grand-mère, après avoir été rejetée par son père, elle étudie désormais le droit grâce à une bourse d’une organisation catholique. Elle est membre des Paroissiens de Saint-Joseph, un groupe de jeunes qui collecte des vêtements pour les enfants des rues et des fonds pour soutenir les malades hospitalisés. « Nous ne parvenons à aider qu’un petit nombre et délaissons les autres, nuance cette fervente catholique. Il est normal que nous assumions notre part mais nous aurions besoin d’une meilleure planification émanant du sommet de l’Église. Or, chaque fois que nous soumettons un projet, on nous renvoie au manque de moyens… »

Faida Mary partage cette frustration. Cette comptable de 24 ans a cofondé l’association catholique Caring Hearts Initiative for Community Development dans le camp de réfugiés ougandais où elle a grandi. Avec neuf autres militants, elle se mobilise notamment pour l’orphelinat de Mama. « L’Église n’y contribue quasiment pas, observe-t-elle. Son accompagnement peut être spirituel, mais quand on en vient au plan matériel, elle n’aide pas. »

Ces chrétiens marginalisés espèrent que le pape François convaincra leurs dirigeants d’instaurer enfin une paix durable, seule issue pour améliorer le sort de chaque citoyen. Et les posters géants qui ont envahi Juba de citer l’Évangile de Jean : « Je prie pour que tous soient un. »