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Avec l’album clandestin "Roya", des musiciens israéliens et iraniens bravent les interdits

Porte-voix des manifestants et des droits des femmes en Iran, l'actrice et chanteuse israélienne d'origine persane Liraz Charhi a secrètement collaboré avec des artistes iraniens en Turquie pour enregistrer son dernier album. Un défi lancé au régime des mollahs qui interdit toute coopération entre Israéliens et Iraniens.

L'enregistrement s'est déroulé en toute discrétion. Dans un sous-sol d'Istanbul, à l'abri des regards, la chanteuse israélienne Liraz Charhi a réuni au printemps son sextet de Tel-Aviv et des compositeurs de Téhéran pour donner naissance à son troisième album intitulé "Roya", sorti au mois d'octobre.

Un projet risqué pour les quatre musiciens venus d'Iran car depuis la Révolution islamique, Ie pays considère l’État juif comme son ennemi juré : voyager en Israël ou collaborer avec des Israéliens est strictement interdit et passible de sanctions.

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Après avoir participé à distance, par l'intermédiaire d'Internet, au précédent disque de la chanteuse, ces joueurs de violon ou encore de târ, le luth persan, se sont retrouvés cette fois-ci en chair et en os avec leur collègues israéliens en Turquie, l'un des rares pays accessibles aux Iraniens sans visa.

La chanteuse israélienne Liraz Charhi lors de l'enregistrement secret de son album "Roya", à Istanbul, en Turquie.
La chanteuse israélienne Liraz Charhi lors de l'enregistrement secret de son album "Roya", à Istanbul, en Turquie. © Ece Latifaoglu

Pour garantir leur anonymat et donc leur sécurité, leurs noms n'apparaissent nulle part sur la pochette de l'album et leurs visages ont été floutés sur toutes les photos et vidéos promotionnelles. Même précautions lors d'un concert à la synagogue de Cracovie l'été dernier, lors duquel les musiciens iraniens de Liraz Charhi sont apparus masqués.

"C’était un peu comme être en mission secrète pendant près d'un an. Nous savions que c’était dangereux mais nous avions convenu de ne pas en parler", confie Liraz Charhi sur l'antenne de France 24. "Cependant, dès que nous nous sommes rencontrés, la peur s’est transformée en joie et le rêve est devenu réalité pendant les dix jours d’enregistrement [...], c’était magique."

À la recherche d'un pays perdu

Née de parents iraniens ayant émigré vers l'État hébreu quelques années avant la révolution islamique de 1979, Liraz Charhi découvre la musique iranienne au début des années 2010, en s'installant à Los Angeles où vit une importante communauté iranienne.

"J'ai découvert que j'avais de la famille là-bas et c'est à ce moment-là que je suis tombée amoureuse de la culture iranienne et que j'ai commencé à explorer cet héritage [...]. J'ai eu ce besoin d'Iran, je ne peux pas me l'expliquer", raconte Liraz Charhi, qui ne connaissait alors presque rien au pays de ses ancêtres.

Si ses parents parlaient le farsi à la maison, ils préféraient laisser leurs origines derrière eux pour mieux s'intégrer dans leur pays d'adoption. Selon les estimations, quelque 20 000 personnes composent la communauté originaire d’Iran en Israël.

Depuis, sa carrière semble entièrement vouée à réconcilier cette double identité complexe et douloureuse. Chanteuse et actrice, Liraz Charhi est notamment célèbre pour un rôle taillé sur mesure dans la série israélienne "Téhéran". Elle y incarne une agente du Mossad envoyée dans la capitale iranienne pour sa première mission d'infiltration, qui se trouve être aussi son lieu de naissance.

"Elle se demande si elle est israélienne ou iranienne, ou les deux. C’est le dilemme de mon personnage, et c’est l’histoire de ma vie", expliquait en 2020 au journal Le Monde celle qui a aujourd'hui 44 ans.

La voix des femmes puissantes

Songes pop et psychédéliques, les chansons de Liraz Charhi, interprétées en langue farsi, puisent beaucoup leur inspiration dans l'âge d'or de la musique populaire persane des années 1970. Sur son premier disque, la musicienne avait d'ailleurs choisi de rendre hommage à deux figures féminines de cette époque, Gougoush et Ramesh, dont les carrières ont été brisées en Iran par l'arrivée des mollahs au pouvoir en 1979.

"Aujourd'hui, j'ai deux filles, je les élève pour qu'elles comprennent à quel point c'est une folie d'être une femme sur cette planète mais qu'en même temps nous avons cette force et que nous devons avoir de grandes ambitions", assure la chanteuse sur France 24.

Alors que l'Iran est secoué depuis la mort de Mahsa Amini par des manifestations brutalement réprimées, le nouveau disque de Liraz Chahri sonne comme un cri de liberté pour toutes les femmes iraniennes. "Danse avec moi comme s'il n'y avait pas de révolution, et marchons ensemble vers le soleil", exhorte la chanteuse sur le titre "Bishtar Behand".

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Figurant sur son précédent album, son titre "Zan", qui signifie "femme" en farsi, est également devenu l'un des hymnes des manifestants et accompagne de nombreuses vidéos de protestations sur les réseaux sociaux.

"Ce que je fais avec ma musique, c'est tout petit, mais en même temps, c'est une brèche pour parler de la situation des femmes en Iran. Elles incarnent la liberté et sont les véritables leaders de cette révolution", affirme Liraz Chahri. "J'espère qu'un jour, mes amis iraniens et moi-même pourrons jouer là-bas, quand l'Iran sera enfin un pays libre."