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Avec la mort de Mahsa Amini, les Kurdes iraniens dans la tourmente

En pleine crise, Téhéran a revendiqué des frappes sur des bases de l’opposition kurde iranienne en Irak, cherchant, selon les Kurdes, à entraîner une confrontation militaire pour faire oublier le mouvement de contestation en cours en Iran depuis la mort de Mahsa Amini, une jeune Kurde iranienne. Dans le pays, cette minorité paie le prix fort de sa mobilisation contre le régime.

"L'Iran tente de détourner l'attention captée sur les manifestations en cours contre la mort de Mahsa Amini." Au téléphone, le chercheur Asso Hassan Zadeh, ancien vice-secrétaire général du Parti démocratique du Kurdistan d'Iran (PDKI), joint dans la matinée du mercredi 28 septembre, ne décolère pas. Il vient d'apprendre que plusieurs missiles iraniens se sont abattus sur le QG de son parti d'opposition dans la province d'Erbil, situé de l'autre côté de la frontière, au Kurdistan irakien. Il est inquiet pour ses proches.

Le bilan de ces bombardements est lourd. Plusieurs frappes de missiles et d'autres menées, selon Bagdad, par "20 drones chargés d'explosifs" ont tué au moins 13 personnes, dont une femme enceinte dont le bébé a pu être sauvé. Ces attaques ont aussi blessé une cinquantaine de personnes, en majorité des civils, dont des femmes et des enfants. Le PDKI a été visé, mais aussi plusieurs partis kurdes iraniens d'opposition armés, notamment dans la région de Souleimaniyeh. D'après l'antenne en Irak du Haut-commissariat de l'ONU pour les réfugiés, un camp de réfugiés iraniens et "une école primaire où se trouvaient des élèves" ont été aussi été touchés par ces bombardements à l'est d'Erbil.

Très vite, Téhéran a revendiqué l'attaque menée pour démanteler des "groupes terroristes", selon les Gardiens de la révolution, l'armée idéologique de la République islamique. Le Kurdistan d'Irak accueille plusieurs groupes d'opposition kurdes iraniens historiquement opposés à la République islamique d'Iran, même si leurs activités sont en recul ces dernières années.

"Téhéran diffuse des 'fake news', nous n'avons pas de peshmergas [combattants] en Iran à cause des restrictions et de la surveillance iranienne. Une bonne partie de l'Iran s'est soulevée pour mettre fin à la répression du régime depuis une dizaine de jours et les autorités cherchent à briser cette unité en prétextant que les Kurdes veulent démembrer l'Iran", insiste Asso Hassan Zadeh.  

Un réveil des tensions avec les Kurdes

De hauts responsables à Téhéran ont effectivement lié ces bombardements aux "émeutes" en Iran. La veille des frappes, le général Abbas Nilforoushan, haut représentant des Gardiens de la révolution, avait évoqué des éléments "infiltrés" en Iran "pour semer le désordre". "Ces éléments contre-révolutionnaires ont été arrêtés lors d'émeutes dans le nord-ouest, nous avons donc dû nous défendre, réagir et bombarder les environs de la bande frontalière", avait-il dit à la suite de tirs d'artillerie iraniens ayant visé dimanche, puis lundi de nouveau, des zones frontalières entre la région kurde d'Iran et le Kurdistan d'Irak, sans faire de dommages notables.

Ce n'est pas la première fois que l'Iran tire sur des cibles kurdes en Irak. En mars, les Gardiens de la révolution avaient visé à Erbil ce qu'ils ont appelé "un centre stratégique israélien", ce que les autorités du Kurdistan irakien ont démenti, déclarant qu'il ne s'agissait que d'un site civil à proximité d'un bâtiment du consulat américain.

Mahsa Amini, iranienne et kurde

Ce soudain réveil des tensions avec les Kurdes intervient dans un contexte épineux en Iran, où des manifestations nocturnes ont lieu quotidiennement depuis la mort de Mahsa Amini. Cette jeune Iranienne est décédée le 16 septembre à Téhéran, après avoir été arrêtée par la police des mœurs pour avoir mal porté son voile.

Le fait est que Mahsa Amini était non seulement iranienne, mais aussi kurde. La jeune femme, originaire de Saqqez, une ville de la province du Kurdistan iranien, était en voyage dans la capitale iranienne avec sa famille lorsqu'elle a été interpellée sous les yeux de son frère. Ce qui n'a pas freiné l'élan de solidarité des Iraniens, qui ont manifesté leur colère dans la rue dès l'annonce de sa mort dans toutes les grandes villes du pays.

"Ces protestations dépassent tous les clivages, ce qui effraie les autorités, qui tentent de diviser l'opinion publique", souligne Asso Hassan Zadeh. "Les Kurdes sont très présents et ils ont capté l'attention de l'opinion publique et la solidarité du peuple iranien."

Les premiers rassemblements ont bien eu lieu à Saqqez. Des vidéos montrant une nuée de bras levés secouant des foulards pour réclamer justice, ont rapidement fait le tour des réseaux sociaux, avant que les manifestations ne gagnent Sanandaj, la capitale du Kurdistan iranien, puis les autres grandes villes iraniennes.

Women of Iran-Saqqez removed their headscarves in protest against the murder of #Mahsa_Amini 22 yr from Kurdistan. They chanting:
death to dictator!
Removing hijab is a punishable crime in Iran. We call on women and men around the world to show solidarity. #مهسا_امینی pic.twitter.com/x0TFRrfph0

— Hana Human Rights (@HanaHumanRight) September 18, 2022

Répression accentuée au Kurdistan iranien

Au Kurdistan iranien, les protestataires ont subi de lourdes pertes. Au moins 25 personnes ont été tuées (soit plus d'un tiers des personnes tuées dans le pays depuis le début de la révolte) et la région compte 1 000 blessés et plus de 1 500 arrestations d'après un bilan datant de mardi soir, selon Asso Hassan Zadeh. "La répression chez nous est toujours plus forte. Ici les forces de l'ordre tirent plus facilement, car il y a un climat militarisé. Ils savent que les Kurdes sont plus mobilisés et plus politisés", explique le chercheur militant. "Il y a aussi une couverture médiatique très limitée au Kurdistan iranien, car les journalistes ne sont jamais autorisés à se rendre sur place."

La répression ciblée dans cette région sunnite de l'Ouest, dont les autorités centrales se méfient, n'est pas nouvelle. "Plus des 50 % des prisonniers politiques du pays, étaient jusqu'ici des Kurdes. Et la peine de mort y est plus systématique qu'ailleurs", précise Asso Hassan Zadeh.

Un constat confirmé par le rapporteur spécial de l'ONU sur la situation des droits de l'Homme en Iran, Javaid Rehman. Dans un compte-rendu publié en mars, il se dit "alarmé par le nombre disproportionné d'exécutions de membres de communautés minoritaires, en particulier les minorités baloutches et kurdes". je pen

Alors que les manifestations continuent en Iran, en particulier à Sanandaj, les autorités ont commencé à accuser les puissances étrangères d'avoir fomenté le mouvement. "L'ennemi a visé l'unité nationale et veut dresser les gens les uns contre les autres", a ainsi prévenu le président ultraconservateur Ebrahim Raïssi mercredi, jugeant "le chaos inacceptable" et accusant les États-Unis, l'ennemi juré de la République islamique, d'attiser la contestation. Les Kurdes, "de par leur proximité avec la frontière, les autres partis kurdes à l'étranger et le reste du monde", sont des proies faciles, estime Asso Hassan Zadeh.

Selon un dernier bilan donné mardi par l'agence officielle Fars, "environ 60 personnes ont été tuées" depuis le début des protestations dans l'ensemble du pays. Les autorités ont fait état en outre de l'arrestation de plus de 1 200 manifestants. L'ONG Iran Human Rights (IHR), basée en Norvège, faisait état lundi de 76 personnes tuées.