France
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

Banlieues et climat : «On ne peut pas demander d’arrêter l’avion à quelqu’un qui ne l’a jamais pris»

Transports, alimentation, végétalisation… En 2023, Libé explore la thématique de la transition écologique lors d’une série de rendez-vous inédits. Objectif : trouver des solutions au plus près des territoires.

Né à Strasbourg, où il habite toujours, Féris Barkat a cofondé l’association Banlieues climat en décembre pour sensibiliser les jeunes à l’urgence climatique. Invité du Climat Libé Tour, il a ouvert l’atelier «Parlement génération transition» à Paris. Nous l’avions auparavant croisé à Bordeaux lors de la première étape.

Votre association s’appelle Banlieue Climat, quelle est votre définition de la «banlieue» ?

Abdelaali El Badaoui [fondateur de l’association Banlieue santé, ndlr] donne une définition que je trouve très juste : il s’agit des lieux bannis, là où les personnes sont mises au ban de la société. Il ne s’agit donc pas uniquement des quartiers populaires en périphéries des villes, sa définition inclut aussi les espaces ruraux par exemple. Mais dans l’imaginaire collectif, les banlieues sont plutôt associées aux quartiers populaires des villes, à un entassement de tours HLM, un environnement gris, pas attractif et sans espaces verts, à l’inverse des campagnes.

Votre association comble-t-elle un manque ?

A la maison et chez beaucoup d’autres jeunes, le climat n’était pas un sujet. Donc oui, on peut dire que d’abord on comble un déficit d’accès à l’éducation, à l’engagement sur les questions écologiques. En revanche, il ne s’agit pas juste de combler le vide mais de permettre l’émergence de nouveaux discours, de nouveaux projets. Si on est d’accord pour dire que la jeunesse est différenciée et qu’on doit intégrer les classes populaires, alors pourquoi on ne diversifie pas le discours qu’on propose ? C’est chez nous qu’on est le plus vulnérables donc de fait on est légitimes. Pourtant, personne ne vient nous former, j’ai dû me débrouiller tout seul.

On a le droit à de grands discours pour dire que les classes populaires sont les bienvenues, mais est-ce que vous êtes déjà allé à une manif écolo ? On ne se sentira jamais à notre place. A part si on prend notre destin en main en créant un mouvement qui nous ressemble, que ce soit au niveau des modes d’action ou au niveau des référentiels culturels. Aujourd’hui, la rhétorique climatique dominante – efficace pour une certaine classe sociale – gravite autour de l’hyper-responsabilisation des individus, de la consommation et des petits gestes. On ne peut pas demander d’arrêter l’avion à quelqu’un qui ne l’a jamais pris de sa vie.

Pourquoi les habitants des banlieues sont-ils davantage touchés par les conséquences du réchauffement climatique ?

Les quartiers populaires sont éloignés des espaces verts, mais proches des décharges, des incinérateurs et des usines polluantes. L’accès à une alimentation de qualité est compliqué aussi. On pourrait encore continuer longtemps mais ce qui est important, c’est de comprendre que les jeunes des quartiers sont d’emblée légitimes. Et le plus fou est qu’on a réussi à leur faire croire que ce n’était pas un sujet pour eux.

Pourquoi est-il plus difficile de développer une conscience écologique en banlieue ?

Il y a plusieurs explications possibles et je ne prétends pas parler à la place de qui que ce soit. J’ai en revanche pu identifier deux points importants. Bien sûr il y a la question du capital culturel et de la méritocratie défaillante mais le point crucial est le manque d’identification. Les activistes que j’ai pu croiser n’ont pas les mêmes centres d’intérêt que moi, les mêmes références, donc c’est compliqué de se projeter. D’où l’ambition de Banlieues Climat de mettre en avant autant que possible des jeunes différents qui peuvent totalement être passionnés par le climat. Deuxième point, c’est le référentiel symbolique : j’aime trop le foot et le rap mais malheureusement, l’imaginaire de réussite qui tourne autour est souvent tourné vers l’accumulation matérielle. Un peu loin des limites planétaires. Mais ces barrières sont facilement surmontables avec la bonne méthode de formation.

Quels sont les objectifs de votre association ?

Pour l’instant, notre principal objectif est de dispenser nos formations sur tout le territoire. On cherche à rendre ça plus concret auprès de nos adhérents en faisant certifier nos formations par l’Etat. En attendant, on propose aussi de les former à l’animation d’ateliers dans les écoles primaires avec un projet qu’on a mis au point avec l’association TessLab : éco-liers. Notre première promo s’est déroulée dans le quartier d’Hautepierre à Strasbourg, dans les locaux de TessLab, et la deuxième promo vient d’avoir lieu à Bagnolet [Seine-Saint-Denis] dans les locaux de l’AJDB, l’Association de jeunes pour le développement à Bagnolet.

On cherche vraiment à équiper les jeunes qu’on forme – âgés de 16 à 25 ans – pour qu’il puisse ensuite professionnellement s’impliquer ; que ce soit à travers les métiers de la transition, dans le milieu associatif ou en devenant formateur. L’écologie dans les quartiers ne peut être que libératrice, tant au niveau de la compréhension du monde qu’au niveau du quotidien ou des opportunités.

Tu définis ta génération comme une «génération miracle». Pourquoi ?

«Génération miracle» est le titre d’une chanson du rappeur Kerchak. La philosophie et le rap font partie de mes passions. J’explique donc souvent le lien que je fais entre cette expression de Kerchak et la définition du miracle du philosophe David Hume. Pour ce penseur, un miracle se produit lorsque les êtres humains dérogent aux lois de la nature. Si on applique cette définition à notre époque, je pense que nous sommes inévitablement dans un moment miraculeux puisqu’on a dépassé six limites planétaires sur neuf. Mais, en même temps, ma génération a des outils incroyables pour lancer des mobilisations : le rap, les réseaux sociaux, la création de contenus sur différentes plateformes… Je pense que notre génération peut donc provoquer le miracle.