France
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Bousquet, assassiné, échappe à son procès

L e matin du mardi 8 juin 1993, avenue Raphaël, l’une des plus élégantes du 16e arrondissement de Paris, l’ancien chef de la police du régime de Vichy, René Bousquet, alors qu’un nouveau procès se prépare, ouvre sa porte à Christian Didier. Celui-ci tire cinq balles avec un revolver de collection. L’assassin, fébrile, convoque la presse avant de se rendre, soucieux d’expliquer son geste. Psychologiquement plus que fragile, le jeune homme avait déjà formé le projet avorté de s’en prendre à Klaus Barbie, ce qui lui avait valu un séjour en prison. En ce début de cohabitation, juste après le suicide de Pierre Beregovoy, l’assassinat met en lumière la scandaleuse immunité dont a bénéficié durant un demi-siècle l’un des principaux responsables des persécutions, des meurtres, des déportations des juifs et des résistants ­ sous l’Occupation.

« Le claquement des coups de feu »

L’Humanité du lendemain y consacre un bel éditorial de Claude Cabanes : « Le claquement sec des coups de feu qui ont abattu hier matin René Bousquet, au 34 de l’avenue Raphaël à Paris, a réveillé le souvenir de la plus effroyable barbarie qu’un groupe d’hommes ait jamais conçue. Tout à coup, à la porte de notre mémoire ont afflué l’image atroce des petits enfants juifs qui partent main dans la main vers leur destin tragique, l’odeur du sang dans la sciure au petit matin des exécutions, le roulement des convois de wagons plombés avec leur cargaison humaine destinée à la gueule brûlante des fours, les cris des résistants… l’immense rumeur de la plus gigantesque fosse commune de l’histoire… »

Ainsi qu’une interview de Marie-Claude Vaillant-Couturier où l’ancienne résistante et déportée indique : « La démocratie, la liberté, le respect des droits de l’homme ne sont jamais gagnés une fois pour toutes. Il n’y a pas des peuples capables de tortures et d’exterminations, et d’autres qui ne le seraient pas… La milice a torturé comme la Gestapo. L’enseignement du passé doit donc servir de mise en garde. Le procès Barbie avait permis à toute une génération qui n’a pas connu l’Occupation de découvrir ou de prendre réellement conscience de ce qu’avaient été les horreurs de la répression nazie. Le procès Bousquet aurait dû permettre de souligner la responsabilité de Pétain et du régime de Vichy. »

Qui était René Bousquet ? Né en 1909, fils d’un notaire de Montauban, il entame dans les années 1930 une brillante carrière au sommet de l’État. Sous le parrainage des frères Maurice et Albert Sarraut, tout-puissants sous la IIIe République et propriétaires de la Dépêche du Midi, il occupe différents postes à responsabilité. La défaite de juin 1940 le trouve préfet de la Marne à 31 ans.

Bousquet est nommé secrétaire général à la police en avril 1942, organisateur principal de la rafle de Vél’d’Hiv en juillet et de celles des juifs en zone non occupée en août. En janvier 1943, il dirige avec les nazis la grande rafle de Marseille. Au total, c’est sous sa direction que plus de 60 000 juifs sont arrêtés et remis aux occupants pour être déportés, tandis qu’une terrible répression s’abat sur les résistants, en particulier les communistes. Les représentants d’Eichmann en France, les chefs nazis de la police, travaillent à leur sinistre besogne en étroite collaboration avec Bousquet et son adjoint Jean Leguay.

Ami de nombreux hommes politiques

Après guerre, il est l’avant-dernier Français à comparaître devant la Haute Cour de justice. Le 23 juin 1949, René Bousquet est déclaré coupable du crime d’indignité nationale, mais réhabilité pour services rendus à la Résistance. La Cour n’a pas un mot sur sa responsabilité dans la déportation de milliers de juifs, allant souvent au-delà des ordres de l’occupant.

Comme le rappelle Robert Badinter dans deux entretiens : « Le procès de René Bousquet reste une honte pour la justice française… Il n’y a aucun doute que la chancellerie connaissait l’affaire Bousquet dans sa totalité et qu’il y a eu une volonté caractérisée de l’étouffer… En somme, il est sorti de son procès non seulement libre mais se voyant décerner un brevet de Résistance par un jury d’anciens résistants ! »

Bousquet est ami de nombreux hommes politiques, dont François Mitterrand, qui l’invitera même dans sa maison de Latché. Le fidèle Badinter s’en révoltera : « Ce n’est pas moi qui dirai ici ce que nous nous sommes dit ce jour-là et qui ne fut agréable ni pour l’un pour l’autre. »

Laissons le dernier mot à Claude Cabanes : « Le moins étonnant de la trajectoire de ce sinistre et arrogant personnage n’est pas “la brillante carrière” qu’il a tranquillement poursuivie après la guerre. (…) Sous l’ordre noir de la croix gammée ou dans les coulisses de la paisible République, les affaires restent les affaires. La vérité sur le régime de Vichy et sa cousine la justice a sans doute bien du mal à faire son chemin parce qu’une partie de la bourgeoisie française avait passé le cynique contrat avec les hommes de Hitler : la servitude contre le tas d’or. »